Un jet de pétards prend la tournure d'une crise intercommunautaire inextricable. Localité paisible longeant la vallée du M'zab, Berriane plonge depuis maintenant deux ans dans un cycle interminable de jacqueries dont l'intensité laisse perplexe. Comment ce qui habituellement constitue un simple fait divers peut se transformer en une crise grave ? Quels sont les éléments déclenchants ? Quels facteurs permettent de les expliquer ? Ils sont en fait multiples. La responsabilité de la presse a été mise en avant. Des journaux ont été pointés du doigt par les habitants leur reprochant le ton démesuré employé dans le traitement de l'information. Berriane n'est qu'un exemple parmi d'autres qui suscitent des réactions virulentes de lecteurs qui se sentent parfois heurtés dans leur sensibilité. Devant la rude concurrence entre les journaux qui cherchent à gagner de nouveaux espaces dans un marché qui foisonne de titres (plus de 70 quotidiens), le sensationnel domine. Dans ce qui s'apparente à une course pour la place de leader, certains titres adoptent comme stratégie le buzz. On trouve ainsi des articles qui « crucifient » ceux qui épousent une autre religion que l'Islam, des pamphlets contre ceux qui expriment leur particularité culturelle ou identitaire. Certains journaux ont descendu en flammes ceux qui ont manifesté le 20 avril dernier en Kabylie, les accusant de « séparatistes » et de « traîtres » à la solde de « groupuscules étrangers hostiles à l'Algérie ». Ce qui a suscité l'indignation de beaucoup de citoyens qui considèrent cela comme une dérive. On se souvient aussi de cette manchette osée d'un quotidien d'expression arabophone qui dénonce des « journalistes » qui transgressent la sacralité du Ramadhan. Ou encore, cet article traitant le comédien dramaturge Fellag d'anti-Algérien pour simplement avoir fait un monologue dans lequel il présente les Algériens comme des mécaniciens. Un péché ? Outre le ton exagéré usé par son auteur contre l'artiste, l'article présente Fellag comme un analphabète, lui, qui a pourtant fréquenté l'école depuis son jeune âge avant de finir diplômé de l'Ecole de l'art dramatique d'Alger. Ce comédien de renommée internationale a même été qualifié d'« âne » par un lecteur et cela a été publié sur le site web d'un journal. Les frasques de la presse sont nombreuses. Et ces « dérives » suscitent beaucoup de questionnements ? Les deux principaux quotidiens pointés d'un doigt accusateur sont Echourouk et Annahar. Leurs responsables se défendent et affirment n'avoir « jamais » manqué à l'éthique journalistique. Contacté par nos soins, Anis Rahmani, directeur d'Annahar, réfute ainsi cette accusation et affirme que son journal « fait tout pour éviter la diffamation ». « Nos journalistes sont libres de traiter l'information comme ils veulent en leur âme et conscience. Mais jamais on ne tolère qu'un article porte atteinte à quiconque. Nous critiquons dans les règles de l'art et preuve à l'appui », souligne-t-il, précisant avoir gagné les procès qui ont été intenté contre son journal. De son côté, Mohamed Yacoubi, directeur de la rédaction d'Echourouk, ne voit pas la faillite éthique ou déontologique du journal. « Il y a certains sujets et dossiers sur lesquels on ne peut pas transiger ou rester neutres. Car il y va de l'avenir du pays, de son intégrité et son de unité territoriale. A Berriane, il y a eu une fitna entre rites. Nos envoyés spéciaux ont fait leur travail, c'est le cas du terrorisme et d'autres questions relevant des constantes nationales », nous indique-t-il. « Nous ne pouvons pas nous taire sur les agissements de ceux qui tentent de toucher à l'unité nationale », ajoute-t-il comme pour justifier les « écrits » de son journal sur le président du Mouvement pour l'autonomie de la Kabylie. Il considère également que « Fellag a manqué de respect aux Algériens en les traitant de mécaniciens » ! Qui a donc raison ? Et qui a tort ? Où est la faille ? Pour le professeur Brahimi Brahimi, spécialiste des médias, ces « frasques médiatiques » dénoncées par les uns et les autres sont dues aux difficultés que connaît la presse écrite qui se trouve face à la rude concurrence de la télé et de l'internet. « Si la manière de survivre est plutôt de respecter l'éthique, de défendre la vérité et de rechercher l'objectivité, la presse écrite, il faut le dire, a effectué un changement radical », souligne-t-il. Et quel changement ? « On est passé de 4 à 5 quotidiens dans les années 1980 à plus de 70 quotidiens en 2008. Beaucoup d'entre eux ne sont pas libres et subissent des pressions publicitaires et financières en matière de moyens d'impressions. Il y a 5 quotidiens qui sont dirigés par les journalistes eux-mêmes qui n'appartiennent ni au pouvoir politique ni à celui de l'argent. Ils sauvent l'honneur et font dans l'intérêt général et continuent, malgré les pressions publicitaires, à consacrer 70% de la pagination pour l'information (politique, économique, culturelle et sportive) », affirme cet expert qui plaide pour une distribution transparente de l'aide de l'Etat aux entreprises de presse. M. Brahimi revient également sur la régulation de la presse qui doit rester l'affaire des journalistes et non pas des gouvernements. Il explique, dans ce sillage, l'échec du Conseil de l'éthique et de la déontologie, installé en 2001, par l'absence d'éditeurs dans sa composante. Un conseil qui doit être reconstitué pour que les journalistes fassent leur autorégulation et éviter certaines dérives qui peuvent entacher la crédibilité de l'ensemble de la corporation. Pour sa part, l'avocat Khaled Bourayou estime que « le journaliste a le devoir de rapporter l'information de manière objective et se dégager de sa propre conviction vis-à-vis de l'événement qu'il rapporte ». Cela relève, selon lui, de la déontologie du métier.