Le premier responsable du Soir d'Algérie, Fouad Boughanem, a qualifié la demande du procureur près le tribunal d'Alger de suspendre le journal pour six mois de précédent grave et inquiétant. Il est persuadé que cette mesure ne concerne pas uniquement sa publication, mais c'est une sorte d'avertissement à la presse dans son ensemble, qu'elle soit privée ou publique. Il s'agit d'un second cas dans l'histoire de la presse algérienne où le parquet, dans une affaire courante, requiert une telle peine pour une publication. La première du genre a concerné en 1996 le quotidien La Tribune, qui a été suspendu, pour des motifs similaires, durant six mois. M. Boughanem estime qu'il existe une disproportion et s'interroge sur ce réquisitoire qui n'a aucune base légale. « Le recours à cette mesure portant fermeture d'un journal ne peut avoir lieu que lorsqu'il y a violation des dispositions du code de l'information telles qu'elles sont prévues par l'article 99 », a souligné M. Boughanem, qui explique : « Je suppose que les pouvoirs publics ont voulu à travers cet acte faire passer un message à la corporation de journalistes. Le message est que cette arme peut être utilisée contre les journaux dans le cas où... » L'article jugé diffamatoire remonte à 2001 lorsque deux cadres exerçant à la Banque de développement local (BDL) avaient déposé plainte contre Le Soir d'Algérie. La banque a utilisé son droit de réponse en adressant une mise au point au journal le 27 février de la même année, une semaine après la publication de l'article en question. Non satisfaits, les deux cadres ont décidé de déposer plainte avec constitution de partie civile. L'affaire instruite par la 8e chambre a été renvoyée devant le tribunal. Mardi 25 janvier 2005, la même instance a jugé l'affaire en l'absence du directeur du quotidien et en présence d'un seul cadre de la BDL. Me Bourayou, avocat de la défense, a relevé que la décision du parquet est extrêmement grave et porte atteinte à l'existence même de la presse écrite et aussi à la liberté d'expression. « La décision de suspension est très grave. Cela veut tout simplement dire qu'aujourd'hui aucun journal n'est à l'abri. Je ne conteste pas que l'exercice de la profession doit se faire dans le respect des lois, mais il est inquiétant de constater que pour une simple affaire de diffamation le parquet requiert la suspension d'un journal », a affirmé Me Bourayou. Par ailleurs, l'Union des journalistes arabes a dénoncé les décisions de justice prises à l'égard des journaux et des journalistes. « La condamnation de Ali Djerri et Omar Belhouchet, respectivement directeurs de publication des quotidiens El Khabar et El Watan, ainsi que d'autres journalistes à six mois de prison avec sursis et de lourdes amendes est un fait grave. Cette démarche est à contresens des nouvelles dispositions prises par le président de la République, notamment la réconciliation nationale et son appel à l'ouverture démocratique », a déclaré le responsable de cette organisation appelant le président de la République à user de son pouvoir constitutionnel afin de stopper le feuilleton des jugements et de « la répression qui ne fait que ternir le climat de la presse en Algérie ». Pour sa part, l'Organisation arabe pour la liberté de la presse a dénoncé les pressions que subissent actuellement les journalistes algériens. « Les décisions lourdes prises par la justice à l'encontre des journalistes algériens visent à notre sens la restriction de la liberté de la presse. Nous dénonçons ces pratiques et nous soutenons la presse algérienne dans son combat quotidien », a déclaré le président de cette organisation.