Mustapha Benfodil, journaliste à El Watan, ne peut qu'être familier des librairies, lui l'auteur prolifique et le lecteur acharné que l'on devine. « Mus » nous donnera un aperçu « archéologique » de ce métier... De vraies librairies, on n'en trouve pas beaucoup à Alger. Que représentent pour vous ces espaces où les gens se retrouvent le temps d'une lecture ou d'une recherche livresque intéressée ? Je me réjouis tout d'abord de la revanche des libraires sur le bazar sauvage que sont devenus Alger ainsi que nos grandes villes. Je constate avec bonheur, que plein de librairies nouvelles ont ouvert là où l'on se serait attendu à voir une énième boutique de téléphonie mobile ou une énième supérette superflue prendre place, en réduisant un peu plus la liberté de nos trottoirs. Les librairies représentent pour moi, au premier chef, le point d'impact entre le texte et le lecteur, et en l'absence de vraies bibliothèques et autres espaces autorisant la rencontre véritable avec le livre, y compris à l'école, la librairie se présente comme le lieu quasi-exclusif de cette rencontre. A ce titre, elle devient un lieu de survie pour les mots ; le lieu et le lien ultimes de la fusion entre le poète et la ville, l'écrivain et la rue. La décision de certains « libraires » de céder leurs espaces vous inspire quel commentaire ? Je ne vais pas vous livrer un discours du genre « une librairie est plus noble qu'une pizzeria ou un cabaret », puisque les personnages de mes fictions évoluent « aussi » dans ces milieux. Maintenant, est-ce qu'un magasin de chaussures est moins prestigieux qu'un Ferdinand De Saussure pour paraphraser notre confrère Azzeddine Lateb ? C'est à la société de voir. Je comprends les contraintes économiques que subissent parfois nos amis libraires et me félicite de leur capacité à résister pour préserver leur métier. Ce n'est pas un boulot facile, et l'apparente embellie éditoriale que nous connaissons depuis quelques années, ne devrait pas nous faire occulter les défis capitalistiques qui guettent les métiers du livre en l'absence d'une politique hardie du livre dans notre pays. Le métier de libraire semble céder à un certain mercantilisme de mauvais aloi qui s'est emparé de la société algérienne. Trouve-t-on encore aujourd'hui sur la place d'Alger, de vrais libraires qui ont une haute idée de leur métier ? Quelles en sont les qualités s'ils existent ? Nous assistons effectivement à un cancer de l'argent généralisé qui gangrène le corps de la société. Mais, fort heureusement, nous comptons nombre de libraires professionnels qui sont jaloux de leur métier et qui le font avec passion et dignité. Je ne peux donc que saluer tous les efforts déployés par nos amis libraires pour promouvoir et diffuser le livre, particulièrement le livre exigeant. Et tant mieux si cela leur rapporte de l'argent à l'occasion. A Alger, il y a beaucoup de librairies de qualité et de libraires qui forcent l'admiration. Ces librairies sont devenues de véritables espaces alternatifs où l'on peut venir rencontrer des auteurs, écouter une lecture théâtrale, voir un film ou une expo d'arts plastiques. Récemment, suite à la perte tragique de notre immense Mahmoud Darwich, j'ai pu assister à la projection d'un film consacré au grand poète palestinien intitulé Et la terre comme la langue, de Simon Bitton, et cela, grâce à une initiative forte de mes amis Nacéra et Kiki de l'Espace Noûn. Je pense qu'il faut encourager cette diversification sur le plan de l'animation, comme le fait si bien justement l'Espace Noûn et ne pas se limiter aux ventes-dédicaces. Bref, les vrais libraires existent, et j'ose espérer qu'ils ne constituent pas une espèce en voie de disparition. Je ne peux pas les citer tous, mais j'en citerai tout de même quelques-uns, à l'instar de Sidi Ali Sakhri (librairie Mille feuilles), Wadi Boussad (la librairie des Beaux-arts) qui a eu le mérite, dois-je le rappeler, de publier Benchicou et M. Ali Yahia Abdennour, Fatiha Soal (Librairie Kalimate), Ali Bey (Tiers-Monde), Chantal Lefèvre à Blida (librairie Mauguin), la librairie Chikh à Tizi-Ouzou ou encore mon ami Yacine Hannachi qui fait un travail remarquable à Constantine (librairie Media Plus).Je leur rends tous, ainsi qu'à leur corporation, un fervent hommage.