Des fetwas ont déclaré leurs produits financiers « hallal ». En réalité, les banques islamiques restent avant tout des banques. Alors que l'Algérie intéresse de plus en plus ces établissements des pays du Golfe, et que les banques conventionnelles cherchent à développer une gamme de « produits islamiques », El Watan Vendredi a enquêté sur ce milieu très secret… « Je ne fais plus confiance aux banques, car elles ne sont pas conformes aux préceptes de l'Islam. Erriba (usure) est haram (interdit en Islam), nous confie Hamza, gérant d'une imprimerie à Kouba. Aujourd'hui, je passe par des banques islamiques pour financer mes projets. J'ai découvert el moucharaka sur les chaînes satellitaires coraniques. » Depuis plusieurs mois, les Algériens s'intéressent de plus en plus aux banques dites « islamiques », pour la plupart issues des pays du Golfe, où à elles seules, elles gèrent un portefeuille de plus de 1000 milliards de dollars issus de la rente pétrolière. A l'origine de cet engouement : une transparence affichée dans la gestion des transactions et un partage des pertes et des profits, le tout imprégné des valeurs humaines prônées par le Prophète. Car cette finance islamique est basée sur deux principes : l'interdiction de l'intérêt, appelé usure (erriba) et la responsabilité sociale de l'investissement. Selon les préceptes de l'Islam, toute transaction ayant recours à l'intérêt (erriba), à la spéculation (gharar) ou au hasard (massir) est prohibée. Bref, de quoi séduire tous ceux qui rejettent la recherche de l'enrichissement personnel porté en valeur par l'Occident. Qui lui aussi, succombe à la mode. « Les puissances occidentales encouragent l'implantation de ces banques qui regorgent de liquidités sur leur territoire afin de tirer profit de cette masse monétaire, malgré leur caractère islamique, crise économique oblige », analyse un consultant de KPMG. Mais cette devanture humaniste s'accommode-t-elle des obligations de profit d'une banque ? La réalité serait un peu moins noble. Un banquier d'Alger, sous couvert de l'anonymat, trouve « qu'un flou entoure ce genre de pratiques ». Ces banques utilisent le label « halal » pour vendre leurs produits financiers. Influence des chaînes satellitaires Dans une société aussi conservatrice que la nôtre, il est normal que les gens se tournent vers ce type de banque, d'autant que les produits proposés font l'objet d'une vulgarisation par la presse et spécialement par les chaînes satellitaires religieuses, où des faqi'h (jurisconsultes) dispensent des cours sur la finance islamique. Hamid, un promoteur immobilier, a recours à ce genre de financement depuis quelques années. « Je finance mes projets grâce aux principes de la moucharaka : ma banque m'offre la possibilité de réaliser mes projets en toute conformité avec l'Islam. J'ai connu cela à Dubaï, et à mon retour en Algérie, j'ai cherché après une banque islamique. » Moucharaka, mourabaha, istisna'a, salam… Ce nouveau jargon propre aux banques islamiques est essentiellement inspiré du Coran et de la sunna. Ainsi, la moucharaka est une association entre deux parties (ou plus) dans le capital d'une entreprise, projet ou opération moyennant une répartition des résultats (pertes ou profits) dans des proportions convenues. Elle est basée sur la moralité du client, la relation de confiance et la rentabilité du projet ou de l'opération. Il s'agit en l'occurrence pour la banque d'un emploi à long ou moyen termes de ces ressources stables. Narimane, professeur à l'université d'Alger, a, quant à elle, recouru à la mourabaha pour financer son ,véhicule. Un contrat de vente au prix de revient majoré d'une marge bénéficiaire connue et convenue entre l'acheteur et le vendeur. La banque intervient en qualité de premier acheteur et de revendeur à l'égard du client : elle achète la marchandise comptant ou à crédit et la revend au comptant ou à crédit à son client moyennant une marge bénéficiaire convenue entre les deux parties. Un conseiller chez KPMG, révolté par les pratiques de ces banques, considère « aberrant qu'elles trouvent le moyen à l'aide de comités de fetwas (consultation juridique islamique) de se qualifier d' islamique et d'en tirer profit. » Le spécialiste en finances islamiques Anouar Hassoune du cabinet conseil Moody's ajoute : « Et les banques s'arrachent les muftis les plus crédibles pour décreter leurs produits hallal. » Et le conseiller de KPMG de s'interroger : « Peut-on vraiment croire à la conformité de ces produits financiers à la chari'a ? Toutes ces appellations (moucharaka, mourabaha) ne sont que des subterfuges. Dans la pratique, c'est autre chose : ils ne font en réalité que du leasing : ''j'achète et je te revends. Effectivement, il n'y a pas de taux d'intérêt apparent mais il est inclus dans le prix de revente pratiqué par la banque ! » L'Algérie compte deux banques islamiques : la première, Al Baraka Bank (du groupe Dallah, Arabie Saoudite) a fait son apparition en 1991, et Al Salam Bank (Emirats arabes unis) a commencé ses activités début 2009. Rendez-vous décommandés, renvoi de service en service, instructions venues « d'en haut »… nos tentatives pour y trouver un interlocuteur ont échoué. Un responsable du secteur banquier ne s'en étonne pas : « Il est normal qu'elles cherchent à rester discrètes, car le sujet est très sensible. » L'explication est donnée par un cadre de la Banque d'Algérie : « Le problème, c'est que ces banques sont certifiées ''halal'' à l'étranger, mais il n'y existe en Algérie aucun organisme religieux en mesure de leur décerner ce label… »