En 2003, Claude et Menad M'barek se rencontrent dans le village breton de Lamballe pour l'atelier de mémoire initié par une association locale. Ce jour-là, Claude Vinci a raconté sa vie à des jeunes Français et Algériens comme décrite dans son livre Les Portes De Fer : «Ma» Guerre D'Algérie et «Ma» Désertion (Ed. Temps des Cerises, 2002), telle que racontée à Jacques Charby dans Les Porteurs d'Espoir (Ed. La Découverte, 2004) et à sa biographe Marie-Joëlle Rupp dans Vinci soit-il… (Ed. Temps des Cerises, 2006). Plusieurs récits parce que peut-être il a eu plusieurs vies, heureusement encore en cours… On pourrait imaginer ainsi le début de son récit : «J'avoue que je suis passé un peu à côté du 1er Novembre 1954, je n'ai pas bien compris l'événement» A cette date, il avait 22 ans et vivait à Paris. Il étudiait la chimie et jouait au football tout en rêvant de chanter. L'Algérie évoquait pour lui quatre mots «La paix en Algérie» que des jeunes Français criaient en manifestant de la place de la République à celle de la Bastille. Ces manifestations ont permis à Guy Mollet d'arriver au pouvoir et de s'empresser de faire le contraire ! Claude Vinci se voit donc rappelé sous les drapeaux. La guerre ? Il en était traumatisé pourtant : ses parents recherchés par la Gestapo, sa participation à la vie d'un maquis de la résistance à l'âge de 11 ans. «Après la guerre, ce fut l'enthousiasme et tout de suite après, la déception. Il fallait reconstruire la France… capitaliste !» Jeune léniniste, Claude avait accepté d'aller en Algérie avec l'idée de «réformer le système de l'intérieur» et avec des armes si possibles. Le train de soldats pour l'Algérie, de Versailles à Marseille, mit une semaine, immobilisé à chaque fois quand les tuyaux reliant les wagons étaient coupés. Les soldats étaient réembarqués à coup de matraque des CRS. Quand le bateau «Ville d'Alger» accoste enfin, les nouveaux débarqués sont reçus par des infirmières de la Croix-Rouge qui leur donnent des boîtes de jus de fruits avec recommandation de les écraser après consommation «afin qu'elles ne servent pas à la fabrication de bombes pour les fellaghas». Claude commence à s'interroger sur ses positions. Après une mise en adaptation dans une ferme coloniale au Fondouk (auj. Khemis el Khechna), Vinci et ses compagnons sont dirigés vers les Bibans, aux Portes de Fer comme s'intitule son livre. Jours tranquilles où les soldats découvrent les vins algériens et se baignent au barrage d'El Ksob, près de Bordj Bou Arréridj. Ils reçoivent même Robert Lacoste à l'occasion du 14 Juillet. Sans descendre de son hélicoptère, le gouverneur général est reçu par les «Algérie algérienne» des appelés et rappelés qui ne comprenaient pas trop pourquoi ils étaient là. Le 8 août 1956, Vinci et ses compagnons vont se ravitailler comme d'habitude en ville. Ils sont arrêtés par un barrage militaire et reçoivent un nouvel ordre : protéger les arrières des paras et légionnaires qui attaquaient au lance-flamme les douars. «La plupart des copains se sont exclamés : enfin, on va manger du fellouze !» se souvient Claude. Il ne peut oublier ce jour où sa vie a basculé. Il a vu des femmes et des enfants (parce qu'il n'y avait pas d'hommes) transformés en torches vivantes. Sa mitraillette à la main, il a essayé de tirer sur les porteurs de lance-flammes. Immédiatement après, la guerre était finie pour lui. Il abandonne tout, rentre à pied à Bordj Bou Arréridj et prend le premier train pour Alger, oubliant même qu'il portait l'uniforme. Une fois à Alger, il contacte des amis communistes. «Puisque je suis en Algérie, je veux combattre du côté des opprimés. Trouvez-moi un contact pour monter au maquis ALN.» On lui demande de bien réfléchir. S'il était normal pour lui de rallier l'ALN, il serait mieux peut-être à Tunis ou en France. Quelques jours après, il retourne en France avec une fausse identité, en compagnie de Mohamed Boudia. Il démissionne du PCF et attend le signal du FLN. Quelques semaines plus tard, on l'appelle. C'était Jean Lhote, réalisateur à la télévision qui le présente à un libraire de la rue Claude-Bernard qui, à son tour, le met en contact avec Salah Louanchi de la Fédération de France du FLN. Avec un billet de 500 FF coupé en deux, il va voir un vendeur de journaux à Melun. Ce dernier lui montre l'autre moitié du billet et lui remet une valise pleine d'autres billets. Les fameux 500 millions mensuels cotisés par les émigrés algériens dont la descendance se retrouve aujourd'hui mal dans son pays «d'accueil» comme dans son pays d'origine… Par la suite, le réseau Jeanson est démantelé et Vinci se voit confier une nouvelle mission par l'avocat Mourad Oussedik : la fameuse évasion de la prison de Fresnes par creusement d'un tunnel. Un scénario de film hollywoodien qui a eu pourtant lieu. Le plus dur, après l'évasion, était de trouver des planques et de nourrir les 13 évadés. Le contact avec le FLN était coupé et surtout il fallait les empêcher de sortir, ce qui n'était pas toujours aisé…Pendant ce temps, Vinci se rappelle de son art quand il va se planquer à son tour chez le couple Montand- Signoret. Dans la chanson aussi, il a milité et milite toujours. Si toutes les maisons de disques reconnaissent sa belle voix à sa juste valeur, ils rechignent à ses textes «trop révolutionnaires». C'est son éditeur de livre qui sortira son dernier disque, De Désespoirs en Espérances, en association avec un producteur de disques en 1998. Bouleversé par ce récit, M'barek Menad, militant associatif et professeur de lycée à Tigzirt, confie à Vinci son désir de lui consacrer un film. M'barek fait des films quand il le sent seulement, comme en 2001, lorsqu'il a réalisé «Mémoire d'une tragédie : Les balles de la haine.» Son film Au «Non» de Vinci, a-t-il reçu une quelconque aide institutionnelle ? Non. Son film sera-t-il diffusé à l'ENTV ? Non plus. Cette dernière préfère diffuser de vulgaires caméras cachées. Qui l'a produit alors ?» Ma volonté et quelques amis comme Hocine Redjala et Samuel Nissim.» Et pourtant, le film est projeté partout, comme cet été au festival de Douarnenez ou le 5 mars dernier* au CCF d'Alger, en présence de Claude Vinci. Menad n'enseigne ni l'histoire ni le français mais… le sport. Après tout, le cinéma n'est-il pas un sport de combat ? *Le dernier numéro consacré aux expressions de femmes nous a amené à différer la publication de cet article.