Lyon : De notre correspondant Qu'ensuite, le jeune «apprenti» moine quitte le monastère de Tamié (Haute-Savoie) avant ses vœux définitifs pour créer un lieu monacal en pleine cité nord de Marseille, au cœur de l'immigration, cela détonne carrément. C'est cette vie, extraordinaire pour le lecteur, évidente pour lui, qu'il raconte dans l'ouvrage Moine des cités, de Wall Street aux quartiers nord de Marseille, publié dernièrement par les éditions Nouvelle Cité. En quoi cette histoire concerne-t-elle l'Algérie et pourquoi est-il utile de la chroniquer dans ces colonnes ? Henry Quinson nous donne lui-même la réponse à plusieurs reprises dans son témoignage : «Je suis encore à Paris songeant à la vie monastique lorsque une étrange vision s'imposa à moi le 24 octobre 1989, consignée le jour-même par écrit : dans ma prière j'ai vu que je faisais l'école aux enfants maghrébins de Marseille…». La période n'est pas anodine. C'est particulièrement celle de la montée de l'islamisme radical, caractérisée en Algérie par la victoire du FIS quelques mois plus tard aux élections municipales, puis aux législatives de fin 1991. Cette question algérienne va ensuite se poser à rythme régulier dans le récit que fait Quinson, marqué particulièrement par les assassinats de 19 religieux chrétiens en Algérie entre 1994 et 1996. Les informations sur ces crimes apparaissent dans le récit comme des marqueurs du temps, qui mettent en relief la montée paradoxale de sa volonté d'engagement irrépressible. Tout part pour lui de cette abbaye de Tamié, poumon spirituel des trappistes, qui a des liens très forts avec celle de Tibhirine avec laquelle les échanges sont réguliers. C'est le cas du moine de Tamié, Philippe, ou encore avec Paul et Christophe Lebreton, et du «prieur de l'Atlas», Christian de Chergé, qui seront trois des sept moines assassinés en mai 1996. Et la France dans ce monde chaotique du début des années 90 ? «La France, quant à elle, écrit Quinson, est confrontée à la mémoire douloureuse de sa ‘‘sale guerre'' en Algérie et doit faire face à une immigration de plus en plus visible en provenance du Maghreb. La question de l'intégration des jeunes de culture musulmane vivant dans ces cités HLM montre que le voisinage avec l'islam ne va pas de soi. Ni le monde musulman ni l'Europe n'ont vraiment digéré, semble-t-il, les invasions des uns, et les croisades des autres. Beaucoup de méfiance et de peur se sont installées des deux côtés de la Méditerranée. On se connaît, en fait, si peu ! Toute la question est de sortir de cette coexistence malheureuse de manière pacifique.» Vivre ensemble, découvrir les chemins communs. Voilà, au détour de ces quelques repères, l'état d'esprit d'Henry Quinson qui fondera, dans un modeste appartement, à la fin de l'année 1996, la Fraternité Saint-Paul, du nom du quartier. Là, outre la vie religieuse personnelle des «moines», qui ne se confond jamais avec un prosélytisme inutile à leurs yeux, et leur activité professionnelle pour alimenter la «maison commune», (Henry Quinson, Franco-américain, donne des cours d'anglais dans un collège privé), c'est la vie quotidienne qui prend le dessus fait notamment d'aide aux devoirs aux petits Maghrébins et Africains de la cité, et d'échanges de tous les jours, dans la vie ordinaire. Pour Henry Quinson, «la vie monastique en cité HLM n'est qu'un modeste témoignage de ce mystère fécond de la métamorphose spirituelle : dans l'humilité de la vie quotidienne naît un monde nouveau, ouvert et fraternel, fruit d'une promesse». Loin des croyances de chacun, voilà bien un credo à partager. *Henry Quinson est aussi l'auteur de la traduction du livre Passion pour l'Algérie, les moines de Tibhirine (Siloë 2006) et de Prier 15 jours avec Christophe Lebreton, moine, poète martyr à Tibhirine (Nouvelle cité 2007).