La situation en Asie, que jusque-là on disait figée, évolue de manière considérable, et même surprenante, à tel point qu'elle a pris de court la plupart des capitales occidentales qui se sont abstenues de commenter, ou tout simplement de voir de très près la rencontre, samedi, entre le président chinois et le vice-président de l'île de Taïwan. Après Hong Kong et Macao, voilà donc le tour de Taïwan ? La question aussi naturelle que difficile ne manquera pas en effet de sauter à l'esprit. Mais pour une première, c'en est véritablement une, surtout si on la replace dans le contexte de discours belliqueux échangés de part et d'autre. Reste que de part et d'autre de ce bras de mer qui sépare l'île du continent, cette rencontre déjà qualifiée d'historique entre le numéro un chinois, Hu Jintao, et le vice-président élu de Taïwan, Vincent Siew, constitue «un début de dégel» dans les relations sino-taïwanaises, a déclaré hier le président taïwanais, Ma Ying-jeou. Le président chinois et secrétaire général du Parti communiste, Hu Jintao, a rencontré une délégation taïwanaise, dont Vincent Siew faisait partie, à l'occasion d'une réunion économique régionale, le Forum de Boao pour l'Asie, sur l'île de Haïnan (sud de la Chine). Pour ceux qui suivent la situation dans la région, de telles rencontres n'ont rien de fortuit, et elles ne doivent rien au hasard. La tradition est quand même grande, et l'histoire a même enregistré la diplomatie du ping-pong dans les années soixante-dix permettant la reprise des relations diplomatiques entre la Chine et les Etats-Unis. Très officiellement cette fois, la question concerne la Chine et un territoire qu'elle revendique et jusque-là, le discours était au retour, y compris par la force, au sein de la mère patrie, ce que les Taïwanais ont toujours refusé. Cette rencontre constitue «un début de dégel à travers le détroit» qui sépare la Chine de Taïwan, a déclaré le président taïwanais, Ma Ying-jeou, élu le 22 mars sur un programme où il appelait au rapprochement avec Pékin et qui prendra officiellement ses fonctions le 20 mai. «Nous allons pousser en faveur de la réouverture de négociation bilatérales après le 20 mai», a ajouté le président Ma, représentant le parti Kuomintang (KMT). «Grâce à la rencontre de Boao, certaines des barrières à la reprise des discussions sont tombées», a-t-il ajouté. Hu Jintao et Vincent Siew ont eu des échanges sur les relations économiques croisées «dans une atmosphère naturelle, amicale et constructive», a encore indiqué M. Ma. Le vice-président du KMT, Chiang Pin-kung, va être nommé négociateur en chef et conduira les prochaines discussions avec Pékin, a ajouté le Président. Il va présider, par ailleurs, la Fondation pour les échanges inter-détroit (SEF), en charge des échanges civils entre Taïwan et la Chine. M. Ma a fait d'une détente avec le régime communiste, la pierre angulaire de son programme. Il a récemment réaffirmé sa volonté de signer un traité de paix avec la Chine pour mettre un terme au conflit armé qui n'a jamais officiellement pris fin depuis près de 60 ans. Les tensions avec la Chine s'étaient accrues après l'arrivée à la présidence de Taïwan en 2000 de l'indépendantiste Chen Shui-bian, qui avait ouvert une période d'escalades verbales et de défiance systématique. La réunification de l'île est qualifiée d'«enjeu majeur» par Pékin qui menace d'intervenir militairement si Taïwan officialisait une indépendance de fait datant de 1949. Cette année-là, les forces nationalistes du chef du Kuomintang, Chiang Kai-shek, battues par les communistes, se réfugièrent à Taïwan, où furent transférées les institutions de la République de Chine (ROC), tandis que les communistes fondaient sur le continent la République populaire de Chine (RPC). Il est encore prématuré de dire que l'histoire de cette région va être réécrite, ou écrite à l'envers ; mais en tout état de cause, il faut prendre ce rapprochement pour ce qu'il est vrai. Il y a un début à tout.