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La Préface du Nègre
Publié dans El Watan le 11 - 12 - 2008


L'ami d'Athènes
J'avais de mauvaises chaussures de sport usées mais auxquelles je tenais comme un paysan à ses deux chèvres, un mauvais numéro qui me rappelait vaguement un accident ou une malchance, un mauvais couloir, un mauvais peuple derrière le dos pour m'encourager mais dès la détonation, j'ai bien couru. Comme on me l'a appris : longues foulées, bras pliés le long des côtes, tête collant son oreille sur la poitrine pour retrouver le rythme du cœur et les yeux ne suivant plus que la poulie de ma seule respiration que je devais maîtriser peu à peu.
Comme on le faisait des chevaux», me disait mon entraîneur en me montrant à chaque fois, et jusqu'à hier, le gros point d'arrivée en l'entourant d'un trait au feutre rouge. La cible que la main unique de mon peuple me désignait du doigt. Un moment, j'ai senti l'air chaud contre moi, les autres contre moi comme un courant de mer contraire ou un mauvais œil qui ne cillait jamais, j'ai senti le public contre moi, assis tout autour, jusqu'au ciel, dans les gradins, sur les nuages, mais surtout sur mes épaules ; j'ai senti mes pieds contre moi, mais j'ai couru avant même de me mettre à penser.
Le stade était immense comme la création de Dieu mais les bruits y étaient encore plus gigantesques comme le bruit d'un océan volumineux, que l'on retrouve entier dans l'oreille coupée de l'un de ses coquillages : j'y voyais toutes les couleurs possibles et toutes les folies et les choses qui vous rapetissaient jusqu'à faire de vous un grain de sable impossible à numéroter au creux des gradins géants. Les autres coureurs de fond couraient plus vite et moi je voyais devant moi les choses qui empêchent tout Algérien de courir avec ardeur dans le monde : lui-même, la certitude que cela ne sert à rien, l'évidence que ceux qui ont couru l'ont fait les premiers jours de l'Indépendance en 1962, à une époque où l'histoire ressemblait à des films de cinéma si rapides que même ceux qui n'avaient rien à faire ou n'avaient rien fait du tout semblaient courir vers une arrivée.
Un film où les lois étaient si burlesques que l'on pouvait posséder une chose rien qu'en la touchant le premier, accaparer une maison en s'y adossant avant les autres ou devenir l'homme le plus riche en courant plus vite que tous les autres vers le butin, les restes d'un repas de colons à peine refroidi ou juste une chemise et voir des morts revenir après leur exécution par les colons, des gens tomber des immeubles et se relever en se frottant les fesses et des foules s'amasser autour d'hommes qui ne disaient rien et ne faisaient qu'ouvrir et refermer leurs lèvres sur un fond de musique jouée par un pianiste monotone. Une ancienne histoire certes qui n'avait rien à voir avec la course de ma vie, mais toutes les histoires dans mon pays, même celles destinées aux enfants ou celles qui expliquent les noms des villages par les sources d'eau ou celles des meurtres inexplicables, commencent par celleci curieusement, à la date du 5 juillet 1962.
La préface du nègre
Nous étions au paradis : il y avait le figuier, le pommier dont je ne voyais que la moitié, à droite, par la grande porte-fenêtre qui donnait sur la cour, il y avait aussi une nuée d'oiseaux qui laissait imaginer des espèces infinies. Je voyais aussi le ciel encore frais par delà le mur du jardin et je m'y laissais absorber lorsque la voix du Vieux ne s'adressait plus qu'à lui-même, par dessus toute l'humanité qui déjà lui tournait le dos. Avant même de naître à ses pieds et de jacasser à l'infinientre prophètes et mathématiques. J'aurais voulu posséder une maison pareille : un endroit où je n'aurais rien d'autre à faire que de donner des noms aux choses, car c'était là mon véritable don dans ce pays qui perdait l'usage de ses langues.
Une maison vieille et calme comme un ciel vacant et dont une porte donnait sur le monde, et l'autre sur des mémoires en poupées russes. Le jardin était si beau, même si je n'en voyais qu'une partie, qu'on pouvait y arrêter de vieillir, pensais-je, en restant assis sous l'un des deux arbres. Au septième jour pourtant, je m'ennuyais ferme et, sur la table, je laissai le dictaphone servir d'oreille au vieillard tellement bavard qu'il en devenait immortel. J'ai souri et je me suis dit, avec la grimace intelligente que vous devinez : «parce que la mort évitera sûrement de donner l'éternité à un homme qui ne sait pas se taire ». Une belle phrase. Du genre de celles que l'on peut graver sur une très vieille pierre ou écrire en exergue à un livre profond. Je me promis de m'en servir, un jour lorsque je m'adresserais à mon tour à l'humanité.
Pour le moment, j'étais un Nègre et sous ma couleur, comme les hommes de couleur déportés, je laissais croître paresseusement des jungles brèves et dévergondées et je les suivais comme un singe agile lorsque la tâche devenait trop dure au soleil. Je pensais à tout, à rien comme un cerf-volant, en écoutant la voix d'un petit serpent imaginaire et jamais l'histoire de ce Vieux qui, de toute façon, ne pouvait avoir ni début ni fin, sauf si on marchait sur le cadavre de celui qui la racontait, ou si on lui tirait dans la bouche la même balle qu'il avait tirée il y a des décennies, avant que le pays ne soit libre et inutile. Je m'ennuyais tant que je rêvais de n'importe quoi : lui jeter à la figure son jardin, lui rendre son argent et le regretter ensuite pendant des millénaires, me répéter qu'il n'existait pas, en fin de compte, sauf pour lui-même ou le tuer en lui tournant le dos pour le laisser planté là, au beau milieu de son éternité, entre deux arbres, sur un trône chétif et avec d'immenses rouleaux de recommandations à l'adresse de ses créatures.
Je pouvais aussi sortir dans la cour, manger toutes ses pommes et me gratter insolemment l'entrejambe pour lui signifier ce que je pensais de son désir de dicter un livre qu'il ne pouvait pas écrire ou… oser écrire peut-être, ce que j'ai décidé de faire depuis le début, parce qu'il s'agissait pour moi de ressortir vivant de cette tombe où je me rendais presque chaque jour. Cela avait duré trois mois, j'aidais le Vieux à ramasser ses propres morceaux et à les vérifier un par un, pour reconstituer sa mémoire.
D'ailleurs, dès le début, avant même qu'il ne commence, dans sa folie, à dérouler ses papyrus moisis, à me considérer comme son portrait miniature, ou le meilleur morceau de sa création ou le jouet destiné à casser sa solitude, j'avais décidé de me dérober en lui faisant face avec une histoire clandestine qui doublerait la sienne, lui survivrait et en habiterait la carcasse comme un ver patient. Là aussi, vous pouvez m'imaginer sourire derrière un masque : un ver dont le but n'était pas de devenir le papillon trop prévisible du proverbe, mais de manger les feuilles, le fruit, puis tout l'arbre, et toute la forêt et se déclarer Dieu à la fin. Une stratégie de copiste incapable d'élever la voix à l'intérieur d'un siècle défavorable, coincé entre le besoin de manger et celui de mourir le plus tard possible. Un petit combinard dont l'enjeu eschatologique ne serait pas une doctrine secrète, l'avènement d'un livre caché, mais simplement le besoin de faire contrepoids à l'ennui de ce métier et l'obligation de fournir un manuscrit jugé au poids et payé à la page.
On comprendra donc que si je préface ce livre aujourd'hui, c'est surtout parce qu'il n'existe pas. Son auteur ne l'a jamais écrit et, quelque part, je n'ai fait que le lire à haute voix pour tromper un analphabète qui a fait l'histoire de ce pays mais n'arrive ni à la lire ni à l'écrire, ni même à y retrouver le tracé familier de son nom. Le comble de cette double infamie, c'est que le Vieux me demanda cette préface avec une insistance qui me mit mal à l'aise et provoqua en moi une sale colère, tant cette miette semblait une sorte de pitié ou d'aumône faite à un estropié, incapable de porter les armes, et qui ne faisait partie de l'histoire que parce que les héros n'avaient pas le temps d'acheter du papier et des stylos. Je me trompe peut-être, mais cette relation de nègre à narrateur, à peine entamée, avait fini par ressembler à cette lutte de volontés concurrentes d'où débouchent, en rampant parfois, l'amour, l'amitié et, la plupart du temps, des sentiments de possession ou de proximité.


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