Nouakchott. Jeudi 4 juin. Les Mauritaniens se lèvent les yeux braqués sur le Palais des congrès, où devrait être scellé, d'un instant à l'autre, l'avenir de leur pays. Nouakchott (Mauritanie). De notre envoyé spécial La signature de l'accord-cadre de sortie de crise conclu à Dakar, mardi dernier, aurait lieu le soir. Mais rien n'est encore sûr en ce début de matinée caniculaire. La cérémonie devait initialement avoir lieu mercredi, le lendemain de la conclusion de l'accord, grâce à la médiation sénégalaise et à l'aide de la communauté internationale. Le report de la veille fait douter les Nouakchottois. Ils s'interrogent si cet accord va être entériné dans la journée. Dans la rue, on parle du refus du général Ould Abdelaziz de libérer les détenus du coup d'Etat dont le Premier ministre, Yahya Ould Ahmed Waghf, arguant que cela n'était pas écrit dans l'accord. L'attente se fait longue. En début d'après-midi, le doute se dissipe avec l'annonce de la libération de tous les détenus du coup d'Etat. Quelques heures plus tard, l'avion du président sénégalais, Abdoulaye Wade, facilitateur des négociations entre les trois parties protagonistes, atterrit à l'aéroport international de Nouakchott. Le Palais des congrès connaît une affluence nombreuse de « supporters » et « supportrices » de « Aziz », prénom du général Ould Abdelaziz par lequel les Mauritaniens le désignent. Mais seules les personnes accréditées y accèdent. A l'intérieur du palais se trouve déjà une foule compacte d'hommes et de femmes en melahfa traditionnelle (long voile multicolore qui l'enveloppe de la tête aux pieds) frappée de l'effigie du général Ould Abdelaziz. « On les a fait venir pour chauffer la salle », lâche un journaliste mauritanien. On remarque également des portraits du président déchu, Sidi Cheikh Ould Abdellahi. Les délégations arrivent l'une après l'autre. Dès l'apparition du général Ould Abdelaziz, la salle se met à l'acclamer. Des cris « vive Aziz » fusent de partout. Les représentants des différentes parties se mettent à table et signent l'accord sous le regard veillant du président Wade. Les facilitateurs des négociations, dont les représentants de l'Union africaine et des Nations unies, apposent également leur signature sur ce document qui devrait remettre la Mauritanie sur les rails. Les « témoins », dont le représentant de l'Union européenne, signent aussi l'accord. Avant de se rendre au palais, le président Wade a reçu les trois chefs des parties protagonistes au niveau de la résidence d'Etat, où ils ont procédé à une première signature de l'accord. Celui-ci prévoit la démission volontaire du président renversé Sidi Ould Cheikh Abdallahi et la formation d'un gouvernement d'union nationale, avant un scrutin présidentiel le 18 juillet. Les signataires sont les représentants du Front national de la défense de la démocratie (FNDD) ayant dénoncé le coup d'Etat, le Rassemblement des forces démocratiques (RFD) d'Ahmed Ould Daddah et le parti du général Aziz, l'UDP. Le président déchu ne participait pas à cette cérémonie. Mais le président Wade, venu spécialement pour l'événement, lui rend un « hommage » appuyé, évoquant son « grand patriotisme ». Consensus pour revenir à la légalité Prenant la parole à la fin de la cérémonie, M. Wade déclare : « Vous étiez dans une situation de prise du pouvoir par un groupe militaire, ce qu'on appelle un coup d'Etat, et par la force du dialogue, nous avons pu rétablir l'ordre républicain grâce à l'abnégation du président Sidi Ould Cheikh Abdallahi. » Assis à côté du représentant du FNDD, Ould Mawloud, le général Ould Abdelaziz a l'air défait. Le président Wade poursuit son allocution en disant : « Simplement, il a compris – ce que beaucoup de chefs d'Etat ne veulent pas comprendre – qu'entre le pouvoir et le peuple, il y avait quand même un écart. Et il a accepté qu'on consulte à nouveau le peuple sur le pouvoir. C'est un grand geste. » M. Wade affirme n'être avec aucune partie et n'avoir accepté d'assurer la médiation que pour « rétablir l'ordre constitutionnel ». Il ne cite Mohamed Ould Abdelaziz que dans ses « remerciements » aux leaders politiques ayant fait des concessions pour que l'accord aboutisse. Auparavant, les représentants des trois parties protagonistes ont pris la parole pour remercier la communauté internationale de les avoir aidés à surpasser leurs divergences et à s'entendre sur un minimum dans l'intérêt du pays et de son peuple. Le leader du RFD affirme « sa bonne volonté » d'aller jusqu'au bout de cet accord qui, selon lui, « marque le début d'une nouvelle ère qui s'annonce positive pour l'avenir de la Mauritanie ». Le général Aziz ne fait aucune déclaration. Il se contente de se lever de temps à autre pour calmer les dizaines d'hommes et de femmes qui, pendant toute la cérémonie, ont couvert les discours de leurs cris « Aziz ! Aziz ! ». Un négociateur du Front antiputsch a été contraint de renoncer à son intervention sous l'intensité des hurlements tout en lâchant au microphone : « N'importe qui aurait pu remplir la salle. » Par la suite, le représentant du camp du général, à savoir Sid Ahmed Ould Rayess, assure de leur détermination à « mener cette transition apaisée, ensemble, avec toutes les forces politiques, jusqu'à la tenue des élections ». Au bout de deux heures, la cérémonie prend fin. A l'extérieur du palais, des centaines de personnes attendent la sortie du général Aziz. Certains disent être là pour « Sidi », d'autres pour Ould Daddah. Assises à même le sol, des femmes enveloppées de voiles légers et colorés forment un demi-cercle d'amies : « C'est l'euphorie. On l'a eu, finalement, cet accord ! C'est l'échec du coup d'Etat du 6 août, le début d'une nouvelle ère. » D'autres personnes leur répondent de l'autre côté du trottoir : « Aziz a prouvé qu'il est bien le président de toute la Mauritanie, bien qu'il ait la majorité dans le pays. »L'animosité des uns envers les autres fait craindre des affrontements. Des renforts de police arrivent et dispersent la foule. Le général Aziz salue, de sa voiture, ses partisans avant de partir en trombe. La prochaine présidentielle, fixée au 18 juillet, s'annonce d'ores et déjà serrée. Certains évoquent la candidature de Ely Mohamed Vall, d'autres parlent d'un possible retour de Maaouiya Ould Sid'Ahmed Ould Taya, renversé en 2005 par les mêmes militaires qui ont déchu Sidi. Si aucune annonce officielle n'a été faite, il reste que l'accord de Dakar lui offre l'opportunité de participer, au même titre que tous les autres citoyens, à la présidentielle de juillet prochain.