Comme l'écrit Abidine, son biographe et traducteur : « En 1928, à son second retour clandestin de Moscou, Nazim Hikmet, poète de 26 ans, sera arrêté à Hopa, mer Noire, Turquie et enfermé dans un bâtiment militaire isolé. C'est dire qu'excepté le grondement de la mer Noire voisine, nul ne vient le distraire. » Et pourtant, Nazim Hikmet, qui sait qu'il est déjà condamné à quinze ans de prison par contumace, résultat de ses activités précédentes, jubile en inventant cette fable La Joconde et si-ya-ou, son premier long poème : « Le rédacteur poète Du présent opuscule Connaît bien des choses Sur la vraie Joconde Et sa triste fin. » Admirateur de Leonardo Da Vinci, le grand peintre italien de la Renaissance, Nazim Hikmet crée ici tout une histoire fabuleuse. Il fait détacher « La Joconde » du célèbre tableau de Da Vinci, lui donne une vie intime, des idées révolutionnaires et un … amant : « Cette gazelle sans pareille Avait un amant Originaire de Chine Si-Ya-Ou était son nom. Yeux amandes Paroles troublantes. » La figure de Si-Ya-Ou, révolutionnaire utopique créée par Nazim Hikmet dans cette Chine de la fin des années trente, une Chine en « ébullition », situe le point de départ vers une sagesse, toute chinoise, une sagesse supérieure, révolutionnaire. En poète visionnaire, Nazim Hikmet mélange sa vie à celle de son héros : « Moi Nazim Hikmet Scribe écrivain Sur ce sujet Promet de faire Toute la lumière. » Et le symbole de Nazim Hikmet, ce lointain Chinois dénommé Si-Ya-Ou, prend ainsi une valeur universelle qui dépasse les singulières figures en qui le poète s'est incarné. Et cette Joconde amoureuse ? Symbole de « La liberté », avec un grand « L », elle sera brûlée. Et pourtant : « Le briquet s'alluma La Joconde flamba. » Peintre d'une flamme rouge éclatante,la Joconde du fond, du cœur souriante, ria, La Joconde en riant ainsi brûla … » Si la grandeur du poème de Nazim Hikmet est faite de ces symboles de la « Joconde » et de « Si-Ya-Ou », son charme secret vient de l'émotion qui le baigne. La force de la pensée victorieuse de la mort, la douceur de l'amour ouvrant ses bras pour étreindre le monde. Tout ce que Nazim Hikmet aime et admire est en ces symboles, en ces mots du célèbre poète : « Voilà qu'enfin l'histoire se termine, tandis qu'au loin l'infini s'achemine … » Repose en paix, Nazim Hikmet tu appartiens à l'infini. (*) La traduction du poème est de « Abidine ».