A quatre heures, il n' y a pas grand-chose à voir. On devine le lac qui renvoie ses relents salins et les phares des voitures inondent les dunes de sables d'une lumière blafardes. Il ne faut pas faire de bruit. De toute façon, toute l'équipe avance dans un silence pesant. On devine le stress et les nuits blanches à se demander si l'opération ne finira pas en fiasco. El Ménéa De notre envoyée spéciale Les enseignants, aguerris aux échecs et plus enclins à la mansuétude, encadrent la marche. A la file indienne, rassemblée vers un même destin, l'équipe du Pr Samraoui se rassemble aux abords du lac, là où l'odeur ne fait que piquer les narines. Un dernier briefing s'impose avant d'entrer dans les eaux du lac de Hassi Gara, à quelques 10 km d'El Méniaa. L'objectif aujourd'hui est de baguer des poussins flamants rose. Depuis plusieurs mois qu'ils travaillent dessus, il en est dénombré 23. On sait qu'ils sont réunis en crèche sous la gouvernance de quelques adultes. Les parents ne sont jamais bien loin mais la nourrice a toujours suffit à les maîtriser. Après tout, un petit flamant ne sait pas encore voler alors où donc irait-il ? C'est là-dessus que compte l'équipe du Pr Samraoui, tous venu de l'Université de Guelma pour baguer les bébés flamants, puisqu'ils ne volent pas encore, il va être possible de les capturer pour les baguer. L'opération a l'air simple comme ça mais requiert une stratégie de guerre et un doigté d'artiste. L'opération consiste à amener les poussins dans un enclos aménagé pour la forme. Il faut les garder unis en crèche et réussir parallèlement à faire partir les nourrices et les parents. Et puis il ne faut pas leur faire peur, car un poussin flamants rose, ça peut vite mourir du stress. On se répète les mêmes choses, on distribue encore les rôles, le partage des tâches, on différencie les équipes. Les regards pointent le lac droit devant. On se déchausse pour enfiler des chaussettes épaisses et hautes ou des bottes de caoutchouc. L'eau du lac n'est pas profonde mais pour y accéder il faut traverser une étendue de vase et d'eaux usées ragaillardi par le soleil et les moustiques. La communication Les portables sont allumés et si l'on a choisi le bon opérateur, il sera possible de joindre les chefs d'équipe par téléphone. A cette heure là de l'opération, le portable n'est pas un luxe. Il est nécessaire car il faut maîtriser et donner des instructions. En effet, le lac fait quelques hectares et il est difficile pour la trentaine d'étudiants et d'enseignants de couvrir tout le périmètre. Il faut veiller à ce qu'aucune faille n'existe qui pourrait permettre aux flamants de s'échapper. Le Pr Samraoui est près de l'enclos munis d'un téléscope ..Il peut voir l'avancée des oisillons et la progression de l'équipe. Et il doit pouvoir les joindre à distance d'où la nécessité des portables. Le matériel est là, les hommes sont prêts et aux aguets. Pourtant l'opération se fera dans un grand cafouillage, les portables paraissant désuet seront remplacés par les voix humaines, les cris, les gesticulations. Il y a aura des cris d'apaches, des hululements, des courses poursuites, des engueulades, des éclaboussures. Les portables voleront en l'air, le téléscope sera abandonné au profit de moyens humains, habitué qu'est l'homme de se servir de ses membres et de sa voix. Le stress aura pris le dessus faisant éclater les équipes, faisant oublier toute stratégie . Mais l'opération sera une réussite puisque 8 flamants seront bagués. Des méthodes prises dans l'urgence, à l'algérienne, dans un lac algérien avec des flamants algériens puisqu'ils n'auront jamais succombés au stress ! On ne peut s'empêcher de penser qu'en Algérie, surtout en Algérie, même quand tout fait défaut, la volonté humaine défie le destin, s'amuse du diable et s'élève au dessus de la logique. C'est ce qu'on appelle la baraka. Mais de tout ça personne ne sait encore. L'équipe enfonce ses pieds dans l'eau boueuse et nauséabonde, l'heure est à la concentration. Le Déroulement Les flamants roses sont hauts sur pattes et à l'approche de l'équipe, les nourrices resserre la crèche. Trois équipes sont réparties à trois endroits différents du lac. Deux équipes sont en action et se rapprochent des flamants. Ils s'étaient aventurés dans l'eau du lac, loin de la vue des oiseaux. Maintenant ils sont visibles et leur progression fait s'agiter les flamants perturbés dans leur sommeil. Une équipe stationne à proximité de l'enclos réservé pour accueillir les poussins flamants. Une fois la crèche à l'intérieur de l'enclos, une porte de tissu blanc doit se refermer sur eux. Pr Samraoui est à proximité de l'enclos, le portable à la main. Il suit la progression des flamants. Son épouse, Mme Samraoui, est a à proximité avec l'équipe qui est aux abords de l'enclos et qui doit diriger les poussins une dernière fois à l'intérieur et fermer. Pr Bouzid, de l'université de Ouargla qui a déjà une grande expérience dans les flamants fait partie de l'équipe qui se trouve au centre du lac et qui progresse plus vite. Et du côté est, une dernière équipe doit resserrer les rangs. La progression se fait lentement mais les flamants paniquent vite. Ils avancent de leurs longues pattes dans l'eau à un rythme assez accéléré. On les sent paniqué voir essoufflé, eux qui avait pour habitude de dormir sur une patte pour réchauffer l'autre sous leur aile. Mais jusque là, les oisillons sont toujours rassemblés en crèche, sous la garde des nourrices qui ne veulent pas partir et qui les incitent à fuir en avant. Et justement la fuite en avant arrange tout le monde puisqu'elle aboutit à les amener vers l'enclos. Seul la présence des nourrices est dérangeante. « Doucement, doucement », crie Pr Samroaui qui ne sait plus s'il s'adresse aux hommes ou aux portables. Les parents des flamants poussins ont pris leur envol mais sillonnent le ciel au dessus de leur petits, non désireux de s'en séparer. Ils s'éloigneront difficilement. Les équipes s'approchent des poussins qui s'agitent mais beaucoup de distance reste à parcourir et trop de failles existent entre les équipes laissant présager du pire. Et puis c'est la panique. Une équipe qui s'est trop vite rapprochée, une autre qui a perdu du leste, un poussin qui s'écarte de la crèche et c'est la débandade. Tant chez les poussins que dans l'équipe bien trop effrayé par le spectre de l'échec. Pr Samraoui hurle ses instructions, les équipes n'entendent plus, obnubilés par ces poussins qui se dispersent. Comment les rassembler, quelle attitude adopter ? De là où ils sont, ils ne savent où est la faille. Celle qui pourrait permettrent aux poussins de s'enfuir. C'est la panique. Les poussins s'affolent dans tous les sens et tentent quelques malheureux battements d'ailes. Les hommes font pareils que le désespoir fait s'agiter. On applaudi dès qu'un poussin approche pour le faire reculer, on pousse des cris, on gesticule des bras comme des poules pour les rassembler à nouveau. Les poussins qui passent entre deux sont attrapés à la volée, maintenu les pattes repliées. C'est le système D mais on sait comment les prendre sans les blesser. Une partie des poussins s'évade entre la faille creusée entre les deux équipes et chacun y met du sien en hululement pour les rassembler. A ce stade on ne sait qui est l'homme de l'oiseau. On a envie de pleurer mais on ne peut s'empêcher de rire du spectacle. Pf Samraoui hurle mais plus personne ne l'écoute. On ne veut pas croire à l'échec et il n' y en aura pas. Le stress fait prendre des courbures et des postures animales à chacun et comme devant un match de foot où l'équipe semble perdante et qu'on est à quelques minutes de la fin, l'espoir reste la dominante. Un retour aux primates, au primitif, à ce qui faisait que l'homme pour survivre chassait et l'animal fuyait. C'est inscrit dans les codes de chacun et après des siècles de vie sur terre, ces codes, face au stress, domineront toujours nos comportement. L'équipe aura attrapé 8 petits flamants roses qui seront rassemblés dans l'enclos. Les parents ont fini de tournoyer dans le ciel laissant leur progéniture entre les mains de l'homme. Le stress a fait place au soulagement et l'euphorie pointe déjà son nez. « C'est pas le moment de s'extasier, il reste du boulot, il faut faire vite et ne pas les laisser trop longtemps dans l'enclos », rappelle à l'ordre le Pr Samraoui à son équipe. Le Pr Bouzid reprend son souffle. Pointilleux comme il est, il hésite entre joie et déception. Perfectionniste, il s'avouera vaincu devant la joie collective. Le baguage Deux équipes proches de l'enclos procèderont rapidement au baguage des flamants. Alignés les uns à côtés des autres, chacun à une tâche bien précise. D'abord un flamant est récupéré non sans mal dans l'enclos. Avant toute chose, on lui place une bague. Puis un autre le mesure : patte, aile, tête plus bec et chaque information est répertoriée par une sorte de greffier. Il lui est attribué un code qui correspond à celui de la bague. L'animal ne se laisse pas faire, il envoie des coups de bec et on lui place la tête sous l'aile pour le calmer. Puis on lui prend une plume ou deux avec si possible quelques gouttes de sang. Les plumes sont mises dans des éprouvettes dans lesquelles se trouve un liquide. Il s'agira de déterminer leur ADN. De façon presque mécanique et promptement, l'opération de baguage se finira par le lâchage des poussins. Etourdis par tant d'aventure, nombreux sont ceux qui ne savent plus s'orienter et se dirigent maladroitement du côté opposé au lac. Ils retrouveront vite leur chemin. Mais avant de partir, quelques mots tendres, un caresses sur la tête, une photo. On les aime ces flamants qui ont donné du fil à retordre. Et c'est avec émotion qu'on les découvre rejoignant leur gîte. L'opération est finie. On rassemble les affaires et on compose une dernière fois avec l'odeur putrantielle du lac quelque peu asséché. Le soleil est presque haut dans le ciel et promet une autre journée chaude. Il est 7 h 30. Quelques uns vomiront caché derrière les voiles de l'enclos. Une dernière fois pour dire adieu aux moustiques, en souvenir de toute cette bile contenue durant l'opération. La fête Les flamants ont rejoint le lac et les hommes la terre ferme. On se déchausse de ses chaussettes et bottes où une boue bleuâtre s'est accumulée. Le lac offre un spectacle splendide, brillant, faisant miroir ave la montagne accrochée derrière. C'est l'euphorie. On peut enfin laisser éclater sa joie, ses rires. Tandis qu'on se lave pieds et mains, la musique tambourine les voitures pour s'échapper dans cette zone humide rarement perturbée. Les garçons dansent, un drapeau algérien entre les mains. A quatre jours du match Algérie - Zambie, la fête semble annonciatrice de bonne nouvelle. Les enseignants chercheurs comparent leur chiffre et discutent sérieusement à l'écart, laissant à la jeunesse leur nouvelle profession de foi. On remercie les gardiens qui ont participé à l'opération. Ces mêmes gardiens qui ont surveillé les lieux des mois durant pour empêcher toute intrusion humaine avant l'opération. Après l'expérience de …, tout avait capoté parce des individus avaient perturbé les flamants et les avaient fait fuir. Les filles qui composent l'équipe sont spectatrices d'autant de profusion de joie et sourient d'autant de manifestation. Le matériel est rangé et le lac retrouve un peu de sa sérénité. Un dernier déhanchement et on rentre dans les voiture pour regagner la ville. On s'arrêtera avant pour aider quelques malheureux dont la voiture s'est enlisée dans le sable. C'est que le moindre faux pas ne pardonne pas. Ce qui sauve, c'est la volonté humaine.