El-Kala reste de loin la plus belle région d'Algérie, avec ses lacs classés patrimoine mondial et ses plages paradisiaques. Mais El-Kala se meurt, dans une indifférence que rien ne semble expliquer. Pourtant, toutes les maisons des particuliers ont été louées dès avril dernier. La dizaine d'hôtels que compte El-Kala sont surbookés pour la période estivale, en dépit de la hausse vertigineuse des prix pour cette saison. our visiter et profiter d'El-Kala, il est indispensable d'être véhiculé. En abordant la route de l'aéroport de Annaba, sur une distance de 80 kilomètres, le spectacle qui s'offre est plus que saisissant : des lacs qui vont mourir en mer, des oiseaux, des vaches, et des forêts qui ne finissent pas meublent tout le parcours. Un gendarme posté dans un barrage à quelques encablures de la ville donne un avant-goût de ce qui nous attend. “Vous laissez Alger pour venir ici ?” nous demande-t-il, l'air étonné. Le spectacle est assassiné par une entrée de la ville d'El-Kala, qui ressemble à toutes ces cités hideuses qui vous donnent l'envie de fermer les yeux, de vous boucher le nez et les oreilles, jusqu'à la sortie de la ville. Le centre-ville grouille de monde. En dépit des routes défoncées et de l'état de délabrement avancé des vieilles bâtisses, El-Kala reste une petite ville où il fait bon vivre, même si ces derniers temps, l'on assiste à une montée en flèche de la petite criminalité. Au marché de la ville, les gens se plaignent : “Nous avons un port de pêche, mais il n'y a pas de poisson sur les étals”, fait remarquer un directeur d'école. Un restaurateur renchérit : “Dans une wilaya agricole, on n'arrive même pas à trouver des citrons !”. Et pourtant, tout le long de la route qui mène vers Annaba, des champs sont cultivés de pastèques grâce aux eaux des lacs. Les pastèques ne manquent pourtant pas sur les marchés qui, d'ailleurs, sont inondés, cette année, par la production tunisienne, bon marché. Les estivants devraient faire leurs comptes ou aller faire leurs emplettes à Annaba. Pour les hôtels, même si la plupart restent du type classe populaire, ou de mauvaise fréquentation, deux se distinguent par la qualité de leurs services, par rapport aux prix pratiqués. Deux autres hôtels devraient ouvrir bientôt leurs portes. Ceux situés au Cap-Bon restent les meilleurs, à tout point de vue, d'autant plus que la mairie a entamé des travaux d'aménagement de la plage y attenante. Des travaux qui devraient être achevés dans quelques jours et qui donneront lieu à une superbe plage, avec des allées pour les balades. Le tout dans un superbe décor. Le centre-ville devrait être davantage attrayant, avec la réception du nouveau port de pêche, en cours de réalisation, et avec lui, la nouvelle corniche reliant l'ancien port, au cœur de la ville, au nouveau port se trouvant à l'autre extrémité de la ville. Cet ouvrage contribuera à rendre le centre d'El-Kala plus beau et plus vivant pour les estivants et surtout pour les Kaliotes qui se sentent à l'étroit dans l'ancien centre-ville. Pour ce qui est des campings, un seul se trouve en ville et un autre sur la plage de la Mecida. Le seul avantage d'El-Kala réside dans le fait qu'elle dispose de la plus belle auberge de jeunes du pays. Située en plein lac Tonga, elle dispose de cours de tennis, d'un espace pour le sport équestre et de cafétéria. D'ailleurs, bon nombre de familles et de notables d'El-Kala viennent y passer leurs après-midi. Mais, pour apprécier les beautés d'El-Kala, il faut sortir du centre-ville et prendre n'importe quelle direction. À l'Ouest, la plage de la Vieille Calle, cet ancien comptoir romain, dont les vestiges rappellent l'importance de la cité dans l'histoire, est d'une beauté à vous clouer au sol. Le poste de la Protection civile est ouvert. Quelques familles se baignent. D'autres préfèrent l'ombre de la forêt pour fuir la canicule et le brouhaha de la ville. Ici, pas de restaurants, pas de maisons, juste un parking, et des tonnes de détritus qui s'entassent à l'entrée de la plage comme pour rappeler que le lieu est livré à lui-même. Sur la route, une très belle auberge, sur le lac Mellah, qui affiche des repas plus qu'alléchants. Dommage que le restaurant n'ouvre qu'occasionnellement et qu'il reste méconnu des touristes sédentaires ou de passage. Un peu plus à l'Ouest, se dresse Cap-Rosa. Son phare qui trône sur les lieux, sa rivière qui va mourir en mer, sa forêt, sa montagne et son sable doré et scintillant. S'il y a un lieu sur terre ressemblant au paradis, c'est bien Cap-Rosa. S'il y a une définition de la beauté, Cap-Rosa sera sa référence. Et pourtant, sur place, quelques familles profitent de ce don de la nature, alors que deux gargottes font semblant d'exister. Elles ne proposent que des frites omelettes. Même le poste de gendarmerie reste fermé. Les toilettes sont hors d'usage et les détritus jonchent les abords de la plage. Dommage, car, aussi bien pour Cap-Rosa que pour la Vieille Calle ou la Mecida, les autorités locales ont aménagé des routes en excellent état. À l'est de la ville, les innombrables criques s'offrent aux baigneurs avides d'un coin de paradis, loin des plages surpeuplées. Au bout de la route, des plages, se dresse La Mecida, d'une beauté enivrante, avec sa plage, ses vestiges des comptoirs romains, sa rivière et ses dunes de sable qui montent au ciel. La route fait un ricochet pour déboucher tout droit dans le lac Tonga. Les lacs naturels que compte El-Kala (Tonga, Oubeira et El-Mellah), pourtant classés patrimoine de l'Unesco, se trouvent dans un piteux état. Sur place, pas l'ombre d'un touriste. Les gardiens des lacs s'ennuient à mourir et le premier visiteur est reçu chaleureusement. C'est que les visiteurs sont très rares. “Hormis les couples qui s'y aventurent de temps à autre, les braconniers et quelques fêtards voulant se remplir la tête, les lacs n'attirent presque personne”, reconnaît un gardien des lieux. Il nous guide dans le dédale d'un lac, pour constater la boue qui s'amoncelle, sentir les odeurs nauséabondes qui s'y dégagent et constater les dégâts causés par les sangliers qui y ont élu domicile. “Tout cela à cause d'une vanne qui est tombée en panne et qui empêche l'eau de continuer sa route vers la mer. Pendant les inondations, nos chalets ont pris l'eau. Je vous jure que si j'avais les moyens, j'aurais réparé cette vanne de mes propres ressources”. La rage au ventre, ce gardien se lamente sur ce paradis qui se meut dans l'indifférence totale. Les autres lacs ne sont pas mieux lotis. Rien n'est fait pour attirer les touristes. Même les investisseurs qui ont proposé d'y édifier des lieux de détente pour les familles, tout en s'engageant à protéger le milieu naturel, se sont heurtés au refus des autorités locales. Evidemment, le chantier du siècle ne va pas arranger les choses. L'autoroute Est-Ouest devrait traverser le parc naturel sur une distance de 15 kilomètres. Pour le moment, les travaux sont à l'arrêt. Le matériel a été transféré pour renforcer des tronçons plus prioritaires. Déjà avec la route nationale qui traverse le parc, depuis Annaba jusqu'à la frontière algéro-tunisienne, le parc subit des dégâts incommensurables, notamment aux abords de la route nationale, mais aussi en raison de l'exploitation excessive et incontrôlée des eaux des lacs pour les besoins d'irrigation. Et pour noircir davantage le tableau, le parc animalier, situé en plein cœur de la réserve naturelle, est fermé depuis quatre ans pour travaux d'entretien. Sur place, nous ne croiserons qu'un gardien qui, avec un flegme dont il est le seul à garder le secret, nous renvoie bredouilles. Et comme El-Kala n'est pas uniquement un lieu de villégiature, mais beaucoup plus une zone de transit pour les centaines de milliers d'Algériens qui préfèrent encore passer leurs vacances en Tunisie, une virée à Oum Tboul, le poste frontalier s'impose. Sur place, les policiers se prélassent dans leur poste de contrôle. Le rush des estivants est pour bientôt. Quelques Algériens font la traversée, mais ce sont surtout des Tunisiens qui passent faire le plein de carburant et s'acheter des choses à moindre coût dans la petite ville d'Oum Tboul. En période creuse, le poste est surtout fréquenté par les habitants des zones frontalières et les régions allant de Annaba à Tébessa et jusqu'à Souk-Ahras qui vont se payer du bon temps au complexe touristique de Aïn Drahem ou à Tabarka. “Il suffit de traverser la frontière pour sentir la différence”, nous confie Adel, un habitué des soirées nocturnes à Aïn Drahem. “Les Tunisiens connaissent la valeur de l'argent et respectent les clients. Ce n'est pas le cas chez nous où un serveur peut te renvoyer du restaurant parce que ta tronche ne lui plaît pas”. La bonne nouvelle, pour les Algériens en partance vers la Tunisie : le nouveau poste frontalier tunisien, jouxtant celui d'Oum Tboul, est fonctionnel depuis une année. Plus besoin de descendre jusqu'au minuscule poste de Meloula. En revanche, mauvaise nouvelle : le poste algérien ne dispose d'aucune commodité, pas même des sanitaires pour des familles qui sont contraintes d'y passer la nuit pendant les périodes du grand rush. Ce n'est pas le cas du poste tunisien d'en face qui, lui, dispose de toutes les commodités. Des investisseurs ont émis le vœu d'installer des commerces juste à côté du poste frontalier. Mais les autorités locales leur ont signifié un niet catégorique. On comprend aisément pourquoi des centaines de familles qui prennent la route de la Tunisie ne s'arrêtent même pas à El-Kala, histoire de déjeuner ou de prendre un café. D'ailleurs, le seul café familial d'El-Kala se trouve en face de la prison, à côté de la station de bus. A. B.