Youcef Tahari taquine bien les mots, tantôt rieur, tantôt goguenard. Son passage, jeudi dernier, à l'espace Noun, fut une belle occasion de sonder la mémoire éclatée d'un peuple hardi, sous le joug d'un ordre colonial méchant et absurde. Dans sa gibecière d'errant entre deux rives, on y trouve deux romans, Les chiens rouges, paru chez Casbah-Editions en 2007 et La falaise des sept lumières, publié en 2004, chez le même éditeur. Deux livres qui se conjuguent au passé. Les chiens rouges est le récit d'une foultitude de personnages anonymes et héroïques à la fois. C'est un peu l'odyssée de Salah, un blédard débarquant en ville qui assiste comme ses semblables à l'arrivée de colons arrogants. A travers l'histoire de ce personnage atypique, « une âme sans liens » et témoin d'une Algérie colonisée, l'auteur ne fait pas de cadeau en dénonçant cette mécanique spoliatrice de la terre des ancêtres. L'écriture y est dépouillée et exquise. « Je voulais rendre hommage à ces spahis, dont on ne veut pas parler en France », commente-t-il. Son premier roman, La Falaise des Sept lumières, est une exhumation de la vie anodine des habitants d'un minuscule village perché sur le flanc sud de l'Ouarsenis. Ce clin d'œil mnémonique se veut, dit-il, l'incarnation d'un mythe fondateur, celui de « remettre au goût du jour des senteurs qui étaient mortes ». Ce roman actuellement en chantier de traduction en langue arabe, aussi passionant que poignant d'une ère révolue, se lit d'une traite. Romans historiques ? Youcef Tahari s'en défend, quand bien même les événements sont incontestablement situés dans un contexte historique, celui de la colonisation française. « Les romans historiques sont le récit des princes, des seigneurs et des sultans. Je situe des événements en filigrane. Mes personnages sont simples et anonymes », proteste-t-il, sans trop convaincre les invités de l'espace Noun. Youcef Tahari qui vit en France depuis quinze ans est également l'auteur d'une pièce de théâtre Les Colliers de jasmin ou La Balade de Noro (Marsa-Editions, 2000), montée par la compagnie Belugo en mai 2001. L'auteur y a voulu restituer les odeurs de jasmin de sa Mitidja. « J'avais besoin de réécrire mon histoire qui est la Mitidja », explique-t-il. Mais pourquoi justement écrire ? « L'écriture est le besoin de témoigner », dira-t-il, en promettant un autre roman, dans la même veine, qui viendra couronner une fort belle trilogie.