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L'engineering de la politique aux USA
Les boîtes idéologiques des néoconservateurs
Publié dans El Watan le 06 - 02 - 2005

En évoquant donc le processus de la décision, il est impératif de penser aux discours des lobbies mais surtout à la littérature des think tanks qui se sont développés après la Seconde Guerre mondiale à l'instar du Council on Foreign Relations, conseil sur les relations étrangères, fondé en 1921, dédiée à la production et à la diffusion des idées politiques sur les issues américaines et internationales.
Une revue d'autorité est éditée par le council et est considérée comme un véritable porte-parole de la droite américaine, pouvant atteindre les limites de la souveraineté par ses recommandations aux différents paliers de la décision politique, militaire et stratégique. Dans cet ordre d'idées The Heritage Foundation, qui est aussi l'une des premières machines de la propagande conservatrice sur le sol américain, est aussi considérée comme le principal acteur dans la refonte du Nato par ses études et ses conseils. Elle dépense approximativement 20% de son budget annuel qui a oscillé en 1998 aux alentours de $28,6 millions pour la promotion du genre de la littérature propagandiste des idées de la droite dans le milieu des législateurs et celui de la presse (7). Cette même boîte a participé activement à la mise en place de la stratégie de défense antimissile et a influencé directement sur le comportement politique des élites dirigeantes américaines dans les relations extérieures (8). Dans le même sillage, on peut faire référence à la RAND corporation qui propose des expertises dans plusieurs domaines y compris l'armement, les transports, les industries de transformation technologique, la politique et les relations internationales. Ses clients sont des institutions publiques et privées, des organisations, des fondations, des ministères américains et des ministères des autres Etats, des Etats (le Qatar, en l'occurrence), etc. La RAND est parmi les consultants de l'Administration Bush. Elle a une base de données de plus de 10 000 références sur son site Internet (sa propre littérature) et collabore avec les plus prestigieuses universités américaines. La recherche se concentre dans ces institutions d'élite sur des axes dont le plus important est relatif à la conviction inébranlable que le système économique, politique, culturel, etc, qui a rendu l'Amérique si puissante doit être étendu à tous les peuples, qu'ils le méritent ou non, qu'ils le veuillent ou non. C'est ainsi que de nouveaux concepts ont vu le jour avec toute les contradictions qu'ils véhiculent : la guerre humanitaire, l'intervention militaire chirurgicale, la guerre préventive, la résistance, c'est le ter rorisme, le terrorisme d'Etat, c'est le droit à la défense et Sharon est devenu un homme de paix, bombardements et vivres pour les peuples (comme cela s'est passé en Afghanistan). Ce sont de véritables assises du pouvoir politique, car représentant la domination idéologique de la frange qui est au pouvoir. C'est le courant dominant qui peut faire valoir l'éventail des éventualités de la décision politique par le truchement de quelques idées académiques faisant office d'intermédiaires entre le « monde académique, d'un côté, et le monde de la gouvernance, de l'autre (...). Elles (boîtes à idées) ont pour rôle de trouver les points de jonction entre le monde des idées et celui de l'action (9) ». D'ailleurs, Ronald Asmus, un responsable de la recherche au Conseil des relations étrangères admet que l'influence des boîtes à idées est très importante sur la société toute entière : « Il y a eu des moments dans l'évolution de la politique étrangère des Etats-Unis où les laboratoires d'idées ont modifié de façon décisive la sagesse populaire et engagé la discussion d'une question stratégique essentielle sur une voie nouvelle. » Le processus de la décision politique est de plus en plus soumis à des paramètres scientifiques élaborés par les institutions académiques qui ont pignon sur les décideurs de la Maison-Blanche. Richard Hass (lui même un pur produit des boîtes à idées, il a travaillé dans plusieurs de ces institutions), décrit en détail les missions stratégiques des boîtes à idées au sein de la société américaine en définissant leur rapport dans la « fabrication » de secrétaires d'Etat (l'équivalent de ministres en Europe et dans d'autres pays) et de leaders politiques. Beaucoup de références dans le domaine de la stratégie et de la prospective, après le 11 septembre 2001, font état de la fin de la politique basée sur l'équilibre des rapports de force entre les Etats et l'essence d'une nouvelle ère politique loin du concept de « containment » : c'est le lancement de la guerre préventive développé par les élèves studieux de Leo Strauss (10), le conscient des néoconservateurs dans les pamphlets édités et distribués par les boîtes à idées avant le Fahrenheit dramatique du 11/09. C'est le début de la politique globale qui exige un repositionnement stratégique des actions militaires des Etats forts dans le monde, à savoir les Etats-Unis d'Amérique et Israël. Cette stratégie n'est pas nouvelle pour les idéologues des deux pays, puisque les éléments sont contenus dans la « charte impériale » de ces deux puissances. Elle répond au sentiment de la puissance militaire et la culture hégémonique américaine, c'est-à-dire un américanisme semblable aux idées de l'Allemagne nazie ; car à notre sens, parler de l'américanisme aujourd'hui, c'est faire une brève référence à l'histoire des courants idéologiques extrémistes qui ont dominé le monde et engendré des centaines de milliers de victimes humaines tels que le nazisme, le stalinisme, le fascisme et autres courants similaires. Notre objectif n'est certainement pas de documenter ces mouvements, mais juste de transposer le vocable d'américanisme sur les concepts précédents, qui prend une dimension historique semblable à ces régimes. La pression exercée par les boîtes à idées sur le président Bush pour détruire l'Irak n'est pas nouvelle dans la mesure où Bill Clinton, lui-même, a rejeté le dossier et s'est consacré à construire une économie forte et un dollar très puissant. Le plus grand tort du président Saddam Hussein est d'avoir envoyé des missiles Scud, - rebaptisés Al Hussein et Al Abbas - sur la Palestine en 1991, autrement il n'aurait jamais été inquieté et se serait « éternisé » dans son fauteuil. Dans une étude statistique, - qui démontre la pression - les 25 prestigieuses boîtes à idées ont été citées par les médias américains 25 897 fois en 2002, et 28 197 en 2001 juste après les événements de septembre (11). Cela nous renseigne sur le poids des travaux scientifiques des boîtes à penser et l'hégémonie de l'idéologie institutionnelle recommandée par les nouveaux conseils idéologiques des boîtes à penser. La recette des boîtes à idées à renverser le président irakien est devenue exutoire depuis l'avènement des ultraconservateurs et la domination du lobby sioniste tel que défini par les différents pamphlets des disciples du juif Leo Strauss, notamment l'Anglo-Américain Bernard Lewis le pionnier de la formulation de l'idée de la guerre des civilisations dans un essai rédigé en 1964 dans lequel il évoque la pos sibilité de choc entre l'Orient et l'Occident (12). D'ailleurs en 1990, il fait clairement référence à cette idée en se basant sur la notion des Croisades et les arguments historiques pour expliquer ce qui se passe actuellement, tout en reconnaissant que l'Occident a le droit de se défendre. En documentant les différents courants civilisationnels, Lewis cite l'Islam dans la panoplie des religions et des « extrémismes » qui rejettent en partie ou en bloc l'Occident. (13) En fin de compte Samuel Huntington, un autre théoricien venu des grandes boîtes à idées annexées à des universitaires ne fait que répercuter Lewis pour crédibiliser la thèse d'un ennemi virtuel dans la revue des ultraconservateurs, Foreign Affairs, éditée en l'occurrence par le Conseil des relations extérieures. Donc, si l'invasion de l'Irak a été « facile » pour les troupes américaines et britanniques et n'a nécessité que deux mois de bombardements pour prendre possession de la capitale des civilisations, la préparation de cette guerre a par contre exigé plus d'une décennie de dur labeur, de communication, de propagande et d'intoxication pour décerveler les opinions américaine et mondiale et les préparer au chaos et à accepter les nouvelles visées de l'empire américain (14). Dans ce processus de raisonnement logique, on serait en droit de poser des questions sur le fait d'admettre que l'Irak soit une quatrième puissance mondiale, par exemple, ou soupçonner un régime baâthiste et laïque d'avoir des relations avec Ben Laden, et surtout comment croire à la possibilité de voir des missiles irakiens sur les côtes américaines : trois idées clés formulées comme certitudes par les stratèges des boîtes à idées dans leurs publications périodiques et autres rapports des agences d'intelligence et les théoriciens des grandes universités. Le seul danger que représentait le président irakien était pour son peuple.
Typologie des think tanks
La typologie des institutions de la pensée doctrinale américaine répond aux exigences de l'organisation sociologique, culturelle, politique, stratégique, militaire, publique, civile, et. et elle est surtout normative des intérêts des groupes qui ont pignon sur l'élite politique qui reste fédérée par les orientations idéologiques des groupes de pression des boîtes à idées. La typologie des boîtes à idées renferme donc toutes les activités sociales, politiques, économiques, industrielles. Ce n'est pas une division scientifique de la pensée, car une même boîte peut être pluridisciplinaire et couvrir des axes de recherche qui peuvent répondre aux impératifs de la demande. La RAND corporation est un des exemples illustratifs de la pluridisciplinarité de l'activité de ces institutions idéologiques des hyperconservateurs américains. Bien que le nombre exact de ces boîtes à penser ne soit pas connu, elles sont estimées approximativement à 1500 institutions qui se livrent à toute une gamme d'activités liées aux politiques publiques et aux questions internationales. Elles fonctionnent selon des organigrammes qui ressemblent aux institutions dédiées à la recherche scientifique pouvant faire appel aux compétences et aux personnalités politiques, dont l'expertise est confluente avec la ligne éditoriale de la boîte. La promotion des intérêts américains est une constante dans tous les programmes de travail. Elles ont tendance à couvrir la totalité des questions qui préoccupent la classe politique américaine, car aucun laboratoire d'idées ne veut rester en marge des questions publiques locales et, ou internationales. Le fonctionnement budgétaire est assuré par des donations, des revenus des prestations de services et des consultations très onéreuses qu'elles pratiquent. De façon générale, il est possible de distinguer deux grandes catégories de boîtes à idées :
Militaires et stratégiques : elles sont dédiées à la prospective des stratégies et la mise en œuvre des scénarios de guerre et de paix dans le monde. Les clients sont en général le Pentagone et la Défense, les Affaires étrangères, les industries militaires et autres activités de support. Ce sont les experts de cette catégorie de boîtes à penser qui ont théorisé la suprématie américaine et mis en place la nécessité de s'attaquer à quiconque qui n'est « pas avec nous ». Un objectif vital a été défini par ces boîtes à idées : dominer les sources mondiales de l'énergie avec la force militaire.
Economiques et sociales : ces boîtes à idées couvrent la totalité des activités sociologiques de la société américaine : l'éducation, la culture, la consommation, les services étatiques, la démographie, les ressources, et leur objectif fondamental est de façonner la société selon le modèle économique libéral, mais socialement conservateur (15), car la « raison et la bonne volonté gouvernent l'utilisation des connaissances et permettent la conduite des affaires humaines. Que les opinions différentes se rassemblent dans la noble recherche de la vérité et de la sagesse. » (16) Les transformations sociologiques subies par les Etats-Unis d'Amérique et la domination des recettes ultra conservatrices ne sont pas l'apanage des évènements du 11 septembre 2001 comme aiment à le dire certains observateurs. Elle est la résultante des travaux de « ces boîtes à idées n'hésitèrent pas à ‘‘penser l'impensable'' » (17). C'est à travers la pression intellectuelle qui permet de nouvelles hégémonies par le biais des stratégies d'infodominante et le contrôle des ressources énergétiques mondiales, mettant en exercice une véritable doctrine de la guerre en continu et médiatisée en direct dans tous les pays du monde. La politique américaine sera maintenue pour des générations à venir à la lumière du chiffre croissant des boîtes à idées ultra-conservatrices qui seront d'ici à la fin de la décennie plus de 2000 boîtes à idées avec toute la littérature qu'elles produisent et le matraquage idéologique qu'elles exercent sur les Américains dans le domaine de la sécurité et de la mondialisation à travers les réseaux straussiens bien organisés et qui ont bien dominé la cour de la Maison-Blanche et celle du Pentagone avec un projet semblable à celui des fascistes.
(Suite et fin)
Par Lakhdar Ydroudj (*)
(*) Chercheur
Notes de renvoi :
7) Le site de la fondation fait référence à la distribution de ses travaux scientifiques au président des Etats-Unis, à tous les membres du Congrès, à 700 administrateurs travaillant avec le président Bush et à quelque 1500 leaders et faiseurs d'opinion de la presse tous supports confondus. Cf. http://www.heritage.org/support/about.cfm. Consulte 9 octobre 2004.
8) James McGann, Les laboratoires d'idées et la transnationalisation de la politique étrangère, In Revue électronique du département d'Etat des Etats-Unis, volume 7, numéro 3, novembre 2002, disponible à http://usinfo.state.gov/journals/journals.htm#fr consulte le 9 octobre 2004.
9) Haass (N. Richard) : Think Tank and US Foreign Policy : A Policy Maker's Perspective, In US Foreign Policy Agenda - november 2002, consulte le 12 septembre 2004. Disponible : http://usinfo.state.gov/journals/itps/1102/ijpe/pj73haass.htm.
10) Un site est consacré à la doctrine straussienne dans lequel le lecteur trouvera certainement les fondements de la philosophie doctrinale recommandée à ses partisans pour s'intégrer et dominer le « royaume secret » spécialement son ouvrage La renaissance du rationnalisme politique classique, cf : http://www.straussian.net/
11) http://www.why-war. com/news/2003/08/01/progress.html Visité le 23 septembre 2004.
12) Bernard Lewis, The Middle East and the West, Indiana University Press, Bloomington, 1964.
13) Lewis (Bernard) : « The origins of Muslim rage Why so many muslims deeply resent the West, and why thier bitterness will not easily be mollified », The Atlantic Monthlu, Boston, septembre 1990. Disponible sur le site http://www.cis.org.au/Policy/summer0 1-02 Summer01 3.html.
14) L'article de Condoleezza Rice, qui fait de la promotion des intérêts américains dans le monde une affaire de souveraineté, est publié dans un article de la revue conservatrice Foreign Affairs - éditée par le Conseil sur les relations extérieures - un plan de travail à court terme pour faire disparaître Saddam Hussein parce qu'il est considéré comme un obstacle à l'expansion de ses intérêts dans la région. C'est dans le même article que Rice nomme l'Irak, la Corée du Nord et l'Iran comme cela relève du nouveau rôle des Etats-Unis d'Amérique pour la promotion des intérêts stratégiques nationaux et internationaux. Cf : Condoleezza Rice : Promoting the national interest, Foreign Affairs, January/February 2000.
15) Desloges Emmanuel présente une analyse sur la relation des lobbies avec les boîtes à idées. Nous empruntons la catégorisation de ces institutions à cet auteur. Cf. « Les Think Tanks : organes de manipulation », article disponible sur la toile : http://www.reseauvoltaire.net/article8744.html.
16) Halimi (Serge) : « Demanteler le new deal, faire payer les pauvres, Les boîtes à idées de la droite américaine », in Le Monde diplomatique, mai 1995.
17) Halimi (Serge) : « Des idées désormais jugées naturelles, Quand la droite américaine pensait l'impensable », Le Monde diplomatique, janvier 2002.


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