– Azouz Begag, je vous dis bonjour ! Oui, Dites-moi bonjour (son nouveau roman), salam Alaïkoum! – Pourquoi, cette injonction, cette doléance, cette formule phatique de politesse diurne ? Parce que je voulais signaler que dans une société de consommation comme la France, ce qu'on appelle aujourd'hui la sociabilité est en voie d'extinction. Yaâni (cela veut dire) tous les codes élémentaires de vivre ensemble sont en train d'être «tués» par la violence de la ville. La violence numérique urbaine. Quand je vous parle, j'ai l'impression d'évoquer Paris, mais en vérité si je regarde ce qui se passe à Alger, c'est la même chose. Quand vous êtes dans le métro parisien aujourd'hui à 7 ou 8 heures du matin et que vous êtes heureux et que vous avez envie de dire : bonjour tout le monde ! Eh bien tout le monde va croire que vous êtes malade, fou, anormal, psychiatriquement atteint. Je trouve très intéressant de constater cela aujourd'hui.(Rires). Alors qu'il y a 30 ou 40 ans dans le milieu rural en Algérie ou en France, c'était absolument naturel de dire bonjour, salam alaïkoum… C'était grave et choquant de ne pas dire ça. Aujourd'hui, c'est exactement le contraire. – Dites-moi bonjour est un conte urbain et «rurbain»… Oui, c'est un conte urbain où tous les animaux sont des êtres humains qui sont plus ou moins désabusés, frustrés dans la société de consommation. Il y a un personnage clé du roman qui traverse les pages et qui, lui, a pour rôle de donner des explications sociologiques. C'est un «sorciologue». D'ailleurs, il habite Marseille, c'est le savant de Marseille.(Fou rire). Il explique que la société est devenue individualiste, violente et se rétracte sur elle-même comme des huîtres , des moules… (Sourire). Et j'ai vraiment trouvé qu'on pouvait faire beaucoup de choses intéressantes pour un roman comme celui-là en utilisant les animaux et en racontant leur société. – C'est aussi une allégorie politique… Il y a un homme qui est à la tête du pouvoir à Paris qui s'appelle «Le Prédisant de la République». (Rire). C'est lui qui fait des prédictions. (Rire). Au lieu de faire de la politique. – Vous pensez à quelqu'un ? Oui ! Il s'appelle Nicolas. – Mais encore… On l'appelle Nicolas, il a frustré tout le monde. – Nicolas Cage, Nicolas Hulot, Nicolas Anelka ? (Rire). Il a surpris tout le monde parce qu'il a fait beaucoup de promesses à tous les «animaux»(allégorie dans le livre) de la France. Et aujourd'hui, tous les éléphants ont l'impression d'avoir été «trompés», tous les singes «bananés», les lapins «carottés», les buses «désabusées», les loutres «outrées», et tout le monde est dégoûté. – C'est une fable, un bestiaire politique… Ah, oui ! C'est ça ! C'est un bestiaire politique. (Rire). Ce n'est pas moi l'initiateur. Il y a 50 ans, il y avait un président français qui s'appelait Général «Degnoun», comme aimaient à l'appeler mes parents au lieu de De Gaulle. Il avait dit : «Les Français sont des veaux !» Et 50 ans plus tard, pendant sa campagne pour l'élection présidentielle, Sarkozy a dit aux Français : «La France, ce n'est pas le pays où on égorge les moutons dans les baignoires des appartements.» Alors, ces histoires de veaux, de moutons, m'ont donné envie d'écrire un livre. – C'est aussi un conte selon le schéma de Propp avec ses adjuvants, les pépites et ses opposants, les pépins dans Dites-moi bonjour…C'est manichéen ! Le bien contre le mal… Oui ! Les pépites et les pépins. (Rire). Oui, c'est manichéen ! Le bon et le mauvais. Le blanc et le noir. Et là, j'ai trouvé une belle philosophie de la vie : chaque matin quand on se réveille, on se dit qu'on va rencontrer des pépites qui vont nous apporter du bonheur, de l'espoir et derrière, il y a toujours des pépins. Derrière chaque pépite, il y a un pépin. La jalousie, el ghira (en arabe)… Les gens qui t'en veulent parce qu'ils sont malheureux, des mécontents qui convoitent ton salaire conséquent, ils sont jaloux parce que tu vas partir en voyage, parce que tu as écrit un livre… – Une morale… Oui, c'est une morale qui dit : vivre, c'est lutter. – La politique, c'est le zoo, la jungle et ses prédateurs et ses proies en pastichant votre conte bestial et bestiaire… Non, c'est pire que cela. En politique, il n'y a que des requins et il ont des mâchoires acérées et des dents longues.( Rire). – Des loups-garous aussi ? Voilà ! Il y a beaucoup de loups. Vous voyez, je suis très algérien. Les Algériens ont une bouée de sauvetage : l'humour – Vous semblez affecté par votre passage dans les hautes sphères politiques en tant que ministre délégué à la Promotion de l'égalité des chances de juin 2005 à avril 2007… C'est d'une violence extrême. C'est une situation privilégiée de pouvoir voir la société à travers un poste de ministre. Et je remercie souvent Jacques Chirac et Dominique De Villepin de m'avoir donné la possibilité de voir le monde à travers cette petite lucarne accessible à très peu de monde. Mais il faut en payer le prix. – Même l'intégration d'un ministre d'origine maghrébine est difficile dans un gouvernement ? Bien sûr ! Il faut payer le prix parce que c'est un monde très violent. Surtout quand on est nouveau sur la scène politique. Alors, les coups bas sont quotidiens, les journalistes sont à l'affût d'une bavure, d'un mot déplacé, d'un geste… C'est vraiment un monde de grande paranoïa… J'étais au gouvernement. Parce que je me suis opposé à la politique de Nicolas Sarkozy qui consistait à aller chercher pendant la campagne des électeurs du Front national (parti de droite en France). Aâlabalek (Vous savez) que les électeurs du front national ont des problèmes avec les Arabes, les musulmans et les Noirs. Voilà, c'est cela la vérité. Il n'y en pas d'autre. Quand j'ai vu que Sarkozy leur a créé un ministère de l'Identité nationale contre l'émigration, c'est-à-dire contre les Arabes et les Noirs, je ne pouvais pas rester, accepter, cautionner. J'étais dans ce gouvernement et j'ai dit non ! C'est aussi une marque identitaire des Algériens que de se lever et de dire non ! Refuser la hogra (l'injustice), l'istiaâmar (le colonialisme). Et puis, ce côté d'homme libre qui s'est réveillé. Et il (Nicolas Sarkozy) a déclaré auprès de plusieurs collègues que j'avais des problèmes psychiatriques. Il était ministre de l'Intérieur. Voilà comment ils se défendent ! – En quoi diffère votre nouveau roman Dites-moi bonjour par analogie au Mouton dans la baignoire ou Le Gone de Chaâba ? Ah oui, c'est une bonne question. Parce que le Gone de Chaâba raconte une histoire autobiographique, un livre sorti des tripes, Le Mouton dans la baignoire est une inspiration issue de mon expérience politique. – Le Mouton dans la baignoire est un pamphlet… Oui, bien sûr, c'est un pamphlet contre le régime, je n'ai pas peur de le dire, de Nicolas Sarkozy en France, aujourd'hui. Dans Dites-moi bonjour, il y a beaucoup d'oiseaux qui se plaignent maintenant : même dans le ciel, il y a des contrôles d'identité. C'est la police de l'air ! (Rire). Les oiseaux migrateurs en ont marre. (Rire). Alors voilà, vous voyez avec ces jeux de mots très amusants, je pouvais parler, faire de la politique. Et puis, ce roman onirique, cette fable sociopolitique intitulée Dites-moi bonjour. Trois époques de ma carrière qui correspondent à trois formes d'écriture différentes. – Alors, vous n'êtes pas une «bête» politique … Je dis que je suis un homme poétique.(Rire). C'est ma façon de dire que la maîtrise de la langue est un formidable instrument pour décoller. Et que l'accès au livre est aussi un instrument de liberté très important. Je suis fier de partager ma double appartenance identitaire avec le peuple algérien. Là aussi, quand on est Algérien, on est fondamentalement épris de la culture de la liberté. Ils (les Algériens) sont trop libres. Ils ont trop donné par rapport à la violence des colonisations, l'esclavage, la hogra (l'injustice). J'ai toujours considéré que mes parents dans la région de Sétif, en 1940, n'étaient pas des colonisés mais des esclaves. Je souhaite que le 14 novembre 2009 soit un jour historique pour l'Algérie et que nous pourrons marquer deux buts à l'Egypte au Caire, Inch'allah. |Biographie : – Dites-moi bonjour, Fayard, (2009) – La guerre des moutons, Fayard, (2008) – Un mouton dans la baignoire, Fayard, (2007) – Le Marteau pique-cœur, Editions du Seuil, (2004) – Ahmed de Bourgogne, (avec Ahmed Beneddif), Seuil, 2001 – Un train pour chez nous, Magnier, 2001 – Le Passeport, Seuil, 2000 – Tranches de vie, Stuttgart, Klett Verlag, (1998) – Dis Oualla, Editions Fayard, Collections Libres, (1997) – Zenzela, Editions du Seuil, (1997) – Les Chiens aussi, Editions du Seuil, Collection Points Virgule, (1995) – L'Ilet-aux-vents, Editions du Seuil, Collection Points Virgule, (1992) – Béni ou le Paradis privé, Editions du Seuil, Collection Points Virgule, (1989) – Le Gone du Chaâba, Editions du Seuil, Collection Point Virgule, (1986) Pour la jeunesse – Les Voleurs d'écriture, Editions du Seuil, Collection Points, (1990) – Le théorème de Mamadou, Ill. Jean Claverie, Editions du Seuil, (2002) – La leçon de francisse, Gallimard, (2007) Publications scientifiques. |