L'héroïne de la guerre de Libération nationale, la moudjahida torturée et condamnée à mort durant la Bataille d'Alger, Djamila Bouhired, vit aujourd'hui très mal. Pour la première fois dans l'histoire de l'Algérie indépendante, la moudjahida, qui n'a jamais renié ses convictions, sort de sa réserve pour révéler au grand jour son désarroi, voire son dénuement. C'est triste, mais c'est la stricte vérité, témoigne Fatma Ouzeguene, la compagne de lutte de la moudjahida. Contrairement à ce que croit tout le monde, Djamila Bouhired n'habite pas une villa ni une maison luxueuse, mais un appartement de trois pièces dans un immeuble appelé la Tour, situé à El Mouradia. Elle est, selon Mme Ouzeguene, très appréciée pour ses qualités humaines et son indifférence, pour ne pas dire son mépris, à l'égard des dirigeants… Aujourd'hui, le cri de colère et de détresse de D. Bouhired est lancé, suite au comportement indigne et choquant dont a fait preuve à son égard M. Sbih, ambassadeur d'Algérie en France. Djamila Bouhired, nous confie Mme Ouzeguene, est malade, elle souffre d'un problème cardiaque qui nécessite une prise en charge à l'étranger. Néanmoins, elle a cavalé pendant deux longues années pour l'obtention de cette prise en charge. Elle a frappé à toutes les portes, en vain. Fière comme elle l'a toujours été, D. Bouhired a décidé de renoncer. C'est son entourage qui a pris le dossier en main et a fait le pied de grue devant les services concernés pour l'obtention de ce document. «Djamila Bouhired s'est rendue effectivement en France pour des soins. Mais quelle fut sa déception lorsqu'elle fut hébergée dans un hôtel qui n'était pas digne de sa stature de ‘moudjahida' et non pas sur le plan du coût ou des étoiles… En se plaignant de cette situation auprès de M. Sbih, ce dernier s'est montré arrogant et hautain», rapporte Mme Ouzeguene. N'ayant pas supporté les soupirs de cet ambassadeur, D. Bouhired est rentrée au pays en décidant de dire tout haut ce qu'elle a toujours pensé tout bas. Selon certaines indiscrétions, l'icône de la Révolution a refusé, par «principe», d'entrer dans la sphère du pouvoir, ce qui a irrité le président Bouteflika. Oui, Mme Bouhired a décliné l'offre du président de la République. Ce que ce dernier n'a pas apprécié. «Pour vivre décemment, Bouteflika a proposé à D. Bouhired un poste de travail au sein de la présidence. La moudjahida a refusé cette offre en demandant, en contrepartie, la revalorisation de sa pension et celle de tous les moudjahidine se trouvant dans sa situation», a expliqué Mme Ouzeguene. A. Bouteflika, qui connaît parfaitement la situation de Djamila Bouhired, n'a rien fait, selon Mme Ouzeguene, pour améliorer son vécu. Cette dernière ne nie pas que beaucoup de moudjahidate vivent dans la misère, mais leur dignité ne leur permet pas de tendre la main. «Rares sont les moujahidate qui ont bénéficié des privilèges de l'Etat», fulmine notre interlocutrice. Cet état de fait est confirmé par Akila Ouared, une autre moudjahida très affectée par le cri de D. Bouhired. Mme Ouared pense que si les Algériens ont milité pour l'indépendance du pays, ce n'est pas pour avoir des droits supérieurs sur les autres Algériens de même catégorie, mais pour tout simplement vivre dignement. «Il y a des lois dans ce pays qu'il faudrait appliquer à tout le monde. Je connais des personnes qui ont pris beaucoup plus qu'il fallait et d'autres qui ont été marginalisées car elles se sont tues. Il n y a pas de reconnaissance…», a dénoncé Mme Ouared, qui est attristée de voir une femme symbole vivre dans la misère. «Je suis triste de voir des moudjahidate mourir dans la misère. Je suis témoin de ces cas alors que d'autres ont bénéficié de titres honorifiques. Je n'arrive pas à expliquer ce grand écart. Pourtant, les lois existent», s'interroge-t-elle, avant de rappeler que D. Bouhired est sa sœur de combat, une femme que toutes les Algériennes et Algériens ont glorifiée. «Nous avons lutté pour une Algérie légale, libre, pour avoir des droits. L'Etat doit alors étudier les situations particulières. Il y a des moudjahidate, en 2009, qui ne vivent que de leur pension, elles n'ont pas de retraite. L'Etat doit les prendre en charge pour qu'elles puissent s'en aller sereinement le moment venu…», peste Mme Ouared.