Bien plus, la quasi-totalité des pays n'ont même pas pris part aux discussions finales quand a été «pondu» l'accord entre les USA, la Chine, l'Inde, le Brésil et l'Afrique du Sud. Certains évaluent déjà à 10% la réduction des émissions que cet accord va induire en 2020, alors que le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) recommande une diminution de 25 à 40%. Pour ce qui est de l'aspect financier, les pays industrialisés se sont engagés à verser 10 G$ (milliards de dollars) par an en 2010, 2011, 2012 et un objectif de 100 G$ d'ici 2020 pour les pays en voie de développement (PVD) touchés par les changements climatiques (inondations, sécheresse), autant dire des miettes par rapport à l'impact appréhendé. Il faut dire que l'échec de Copenhague n'étonne que ceux qui n'ont pas suivi, le mois dernier, les travaux du forum de l'APEC (Forum de coopération Asie-Pacifique) qui a préjugé comme irréaliste la conclusion de tout accord contraignant pour cette année. Lors de ce forum, les Etats-Unis et la Chine, une sorte de nouveau G-2, avaient déjà scellé le sort de Copenhague en verrouillant par leurs positions respectives figées toute avancée des négociations. Ce n'est pas faire injure aux PVD et aux Européens que d'affirmer que Copenhague an, en fait, consacré un nouveau rapport de force du nouveau couple Chine- USA, où le climat sera un élément clé de négociations de ce duo infernal, responsable de plus de 42% des émissions mondiales de GES. USA : il n'y a aucun doute que les USA sont à blâmer en premier chef si l'accord conclu n'a pas de substance. En moyenne, un Nord-Américain pollue 2 fois plus qu'un Européen, 5 fois plus qu'un Chinois et 15 fois plus qu'un Indien. De ce fait, ce n'est sûrement pas en montrant du doigt la croissance faramineuse de la pollution de la Chine, qu'ils traitent au demeurant comme l'ennemi de demain, que les Etats-Unis pourront gagner en crédibilité. Or, les USA qui sont responsables de 20% de l'ensemble des émissions mondiales ne s'engagent à les réduire que de 4% à l'horizon 2020 et par rapport à l'année de référence 1990, alors que les scientifiques du GIEC disent que si l'on veut limiter le réchauffement climatique à 2°C, il faudrait réduire le niveau de pollution de 80% d'ici 2050. Il faut rappeler que déjà à l'époque de B. Clinton et des négociations de Kyoto, les Américains n'ont accepté de signer qu'avec l'acceptation de leur idée d'instaurer un système d'échange de droits d'émissions, ce qui n'a pas empêché plus tard l'administration de W. Bush de dénoncer ce protocole. Aujourd'hui, certains ont voulu passer l'éponge sur le Protocole de Kyoto et trouver des circonstances atténuantes à B. Obama, arguant qu'il est pieds et poings liés au Congrès dont l'agenda n'est pas, nous dit-on, compatible avec la rencontre de Copenhague. Même si B. Obama a eu le courage politique de reconnaître comme justifié que les «gens soient déçus du résultat à Copenhague», on ne peut pas perdre de vue que c'est son pays qui a été le frein principal à un accord acceptable par tous. Après son net désengagement vis-à-vis du problème israélo-palestinien et son manque d'engagement à Copenhague, on peut légitimement se poser la question sur la pertinence de lui avoir attribué un prix Nobel de la paix. En 2005, quand l'ouragan Katrina a frappé de plein fouet la Nouvelle-Orléans, les Américains se sont brutalement rendus compte que la force politique, économique, militaire et financière de leur pays est insignifiante devant celle de la nature. Même si le lien entre les changements climatiques et la nouvelle force des ouragans n'est pas encore scientifiquement établi et que l'on ne souhaite pas de malheurs à ses voisins, il faut convenir qu'un ouragan de force 5 avant la tenue du sommet COP16 de Mexico 2010 est de nature à rappeler aux élus américains qu'ils ont aussi des obligations envers la planète Terre. Chine : si Copenhague n'a pas débouché sur des résultats tangibles, c'est aussi en raison de la nouvelle rivalité entre pays riches et pays émergents. Avec 22% du total mondial, la Chine est désormais le 1er pollueur de la planète et ses émissions causées par les combustibles fossiles, où le charbon compte pour 80% de son approvisionnement énergétique, ont été multipliées par trois depuis 1990. De par son statut de PVD, à Kyoto, la Chine n'a été soumise à aucune obligation dans la lutte contre le changement climatique. Face à ses détracteurs, de plus en plus nombreux à lui demander de contrôler sa pollution, Pékin rétorque par son droit au développement, les efforts entrepris dans la décarbonisation de son économie et la responsabilité historique des pays industrialisés dans la dégradation environnementale. Aussi, la Chine est fondamentalement opposée à la taxe carbone et a proposé cette année à ce que la comptabilité des émissions carboniques se fasse sur la base du lieu de consommation des produits et non sur celui de production. En fait, à travers cette argumentation, la Chine entend rester en dehors de tout traité international contraignant, y compris la vérification de la réduction de son intensité carbonique. Pour maintenir son statut, la Chine s'est constamment alignée sur les PVD, ce qui, à terme, semble intenable, même si sa position est plus défendable que celle des Etats-Unis. Dans un effort mondial de réduction des émissions de GES, la croissance faramineuse des émissions chinoises annulerait automatiquement tout effort commun des autres pays. Aujourd'hui, la Chine qui construit une centrale thermique au charbon de 1000 MW chaque semaine, ne peut plus se cacher derrière les jupons des PVD qui ne sont pas satisfaits des résultats de Copenhague, contrairement à elle. Aussi, la compréhension chinoise du principe de responsabilité commune mais différenciée semble étriquée. Ce principe, mis en avant lors de la négociation de Kyoto, avait pour noble objectif de donner un répit supplémentaire aux économies émergentes avant de leur demander une contribution à la réduction de leurs émissions dans ce qui allait suivre dans le processus post-Kyoto. Le propos ici est également de faire comprendre que la plus grande menace au développement économique des pays émergents ne réside pas tant dans la limitation de leur croissance économique, mais dans le dérèglement climatique. La Chine compte déjà 13 des 20 villes les plus polluées dans le monde, la désertification et les pluies acides sont des problèmes réels et le pays ne peut plus préserver la situation avantageuse dont il bénéficie grâce au Protocole de Kyoto. Une superpuissance a également des devoirs, même si la Chine refuse encore d'assumer son rôle de supergrand. UE-France : le grand perdant à Copenhague a été l'Union européenne (UE) pour qui la pilule s'est avérée amère car incapable de peser sur les négociations, mais qui est vite rentrée dans les rangs, arguant à l'arrivée qu'un mauvais accord est meilleur que pas d'accord du tout. Pourtant, avec sa politique volontariste de réduire au minimum de 20% ses émissions en 2020, elle apparaissait comme la locomotive, le médiateur parfait et le leader dans la lutte contre les changements climatiques. Le front commun que l'UE a essayé de constituer avec quelques pays émergents et quelques PVD n'a pas résisté à l'épreuve du terrain et au triumvirat USA-Chine-Inde. L'échec de l'Europe provient du fait qu'elle a ostensiblement ménagé l'Amérique d'Obama qui lui a fait un enfant dans le dos en négociant seul l'accord minima, alors qu'elle a aigrement traité avec les Chinois. C'est toute la stratégie de l'UE qui pose problème. Aussi, l'effort de réduire sa pollution de 20% est nettement moins ambitieux qu'il ne paraît de prime abord : la moitié du chemin est déjà fait car l'UE bénéficie de la décarbonisation massive de ses membres, issus de l'ex-bloc de l'Est. L'échec de l'Europe est aussi la conséquence de son manque de coordination et du cavalier seul du président français qui a mis de l'avant son plan justice-climat au détriment du plan européen énergie-climat, donnant ainsi une enième preuve de son ego démesuré de sauveur de la planète. Il serait malhonnête de reprocher à la France de vouloir des cibles substantielles de réduction des émissions de GES; bien plus cela l'honore. Dans le même temps, le non-dit est que cela ne pourrait se faire sans un recours massif au nucléaire, une filière onéreuse et en nette perte de vitesse ces deux dernières décennies (1). Il est vrai qu'à Kyoto, la filière nucléaire a été sortie par la porte puisqu'elle n'a pas été reconnue comme source d'énergie propre et renouvelable; dans les négociations post-Kyoto, certains essayent de la faire revenir par la fenêtre en la boostant sournoisement, contre vents et marées. Imbroglio canadien : si, par dérision, on dressait une liste des pays de «l' axe du mal écologique», le Canada va désormais figurer en pole position, alors que le pays était, il n'y a pas encore longtemps, avant-gardiste dans la défense de l'environnement, comme l'atteste le Protocole de Montréal sur les substances qui appauvrissent la couche d'ozone. Il faut dire que depuis janvier 2006, le pays est sous la gouverne de conservateurs qui n'ont absolument rien à envier à l'obscurantiste W. Bush. En politique étrangère, c'est l'alignement total sur les Etats-Unis, avec même un zeste de zèle, comme l'atteste le fait que le pays a été le 1er au monde à couper les ponts avec les Palestiniens qui venaient d'élire démocratiquement le Hamas. Dans le domaine de l'environnement, ce gouvernement se fait davantage le porte-voix des intérêts des sociétés pétrolières qui exploitent les sables bitumineux, un pétrole 2 à 3 fois plus polluant que le brent conventionnel. Il faut ajouter que l'actuel Premier ministre, S. Harper, qui ne cache pas sa satisfaction de l'échec de Copenhague a dit, du temps où il était dans l'opposition, que les changements climatiques sont un complot socialiste, alors que la disparition de la banquise permanente au pôle Nord se fera dans un avenir de moyen terme. Mais, le Canada est un pays démocratique avec une société civile active, engagée et massivement présente à Copenhague pour faire entendre un autre son de cloche. Aussi, au grand dam d'Ottawa, le système fédéral a permis de faire entendre l'avis de l'opposition et des gouvernements provinciaux qui, à l'image du Québec, militent activement pour que le pays se donne un ambitieux programme de réduire ses émissions de GES et en prenant 1990 comme référence. Cette même société civile est en train de mobiliser la population pour que le Canada ne soit pas juste à la remorque des USA et puisse retrouver son standing de nation respectée dans les instances internationales. PVD et Avenir : Les pays industrialisés sont responsables de la quasi-totalité des émissions de GES qui stagnent dans l'atmosphère, causant un dérèglement climatique auquel les PVD sont les plus vulnérables. De ce fait, la «dette climatique» à l'égard des PVD n'est pas de l'aumône, mais un dû, surtout que les experts sont aujourd'hui en mesure de quantifier en termes monétaires les dommages irréversibles causés à l'environnement. Aux dernières nouvelles, il semble que les PVD ne sont pas contents des résultats de la rencontre de Copenhague et ils l'ont fait savoir. C'est plus que légitime, sachant qu'ils ne sont pas responsables des changements climatiques attendus alors qu'ils vont subir le plus grand préjudice. Ces pays peuvent compter sur le support des experts, des tribunaux et de la société civile des pays développés pour faire valoir leurs droits. Pour que la démarche soit crédible, il est approprié que les gouvernements de ces PVD délient la tutelle qu'ils exercent sur leur propre société civile. Alors que beaucoup redoutent que la déception provoquée par Copenhague n'ouvre une grande période d'incertitude, certaines forces mettent déjà en avant l'impossibilité de faire valoir la règle du consensus dans la prise de décision, tout en menant une négociation à 192, insinuant par-là une prise en charge du dossier climatique par d'autres forums, comme le G20. Pour les PVD, l'heure n'est plus à la résignation ou aux invectives, mais dans la recherche de leur propre voie qui n'est pas forcément celle des pays émergents. Un leadership à exercer dans ce sens est souhaité. C'est tout un défi qui mérite d'être relevé en urgence, car Mexico se prépare aujourd'hui. M. B. : Expert en énergie ,professeur-associé à l'Ecole Polytechnique de Montréal Note de renvois : – 1) M.Benhaddadi, «Nucléaire : ce qui fait courir Sarkozy», El Watan 10- Il août 2008