Le paysage politique regorge de cas flagrants d'impunité. Ils sont légion. Sous les slogans sonnant creux d'«Etat de droit», de «transparence», de «justice égale pour tous»… les «intouchables» parmi les membres du gouvernement, walis, (hauts) conseillers, députés, sénateurs, officiers supérieurs, cadres dirigeants, hommes d'affaires, englués dans des affaires de corruption, de passation illégale de marchés, de malversations, de détournements faramineux de fonds publics… profitent des largesses du système, narguent justice et opinion publique. En sera-t-il de même pour les véritables responsables dans les scandales ayant secoué ces derniers temps les secteurs des hydrocarbures, de la pêche, des travaux publics, de l'agriculture, des banques, etc. L'actualité nationale, prodigue en scandales financiers qui charrient dans leur sillage les noms de personnalités impliquées – directement ou indirectement – dans des affaires de corruption, fait craindre un remake du scénario Khalifa où, visiblement, seuls les lampistes ont eu droit au cachot. «Chasse aux sorcières» ou «opération mains propres», les Algériens n'osent plus y croire. Totale impunité L'affaire du wali de Blida est on ne peut plus édifiante sur le règne de l'impunité. Mohamed Bouricha, démis de ses fonctions en mai 2005, placé sous contrôle judiciaire un an plus tard, n'a jamais fait de prison. Pourtant, les faits qui sont reprochés à celui qui est présenté comme un proche du président de la République sont d'une extrême gravité : dilapidation de deniers publics, usage de fonds étatiques à des fins personnelles, trafic de terres agricoles, abus de pouvoir… la liste est longue, l'impunité dont il jouit l'est tout autant. Autre esclandre qui nous vient une fois encore de l'entourage du président Bouteflika, celui que donne à admirer Amar Saïdani, l'ex-président de l'Assemblée nationale, troisième homme de l'Etat. L'ancien parlementaire, président du comité de soutien à la réélection de Bouteflika, aurait, à en croire les révélations de l'hebdomadaire El Khabar Al Ousboui, détourné plus de 3000 milliards de centimes (300 millions d'euros) du Programme de soutien à l'agriculture (PNDA). L'homme ne s'est jamais exprimé sur les faits, ne s'est jamais défendu des accusations portées contre lui. Saïd Barkat, ancien ministre de l'Agriculture, actuel ministre de la Santé, se trouve aussi dans de sales draps. Il aurait détourné, d'après la même source, plus 70% des aides agricoles destinées aux 14 wilayas du Sud au seul profit de la wilaya de Biskra. Son rôle est mis en avant dans une autre affaire relative à l'achat de matériel agricole «défectueux», d'une valeur de 1000 milliards de centimes, auprès d'une société espagnole appartenant à l'ex-Premier ministre ibérique, José Maria Aznar. Le ministre jouit d'une immunité (politique) sans faille. Chakib Khelil, au-dessus de tout scandale Le rôle – supposé ou avéré – qu'aurait joué Chakib Khelil dans l'affaire BRC et dans les affaires de corruption déballées en cascade depuis quelques jours à Sonatrach n'est toujours pas mis en relief. Ce proche parmi les proches, fidèle parmi les fidèles du président Bouteflika, à la tête du superministère de l'Energie et des Mines depuis 1999, duquel dépend organiquement Sonatrach, le mastodonte national des hydrocarbures a, depuis le début, déclaré tout «ignorer» des… affaires passées ou en cours. En février 2007, à propos de BRC, après des mois de silence, le ministre soutenait déjà que les seules informations dont il disposait provenaient de la presse. «Tout le monde semble informé, sauf moi», affirmait-il. BRC : c'est pas moins de 27 projets d'un montant global de 63 milliards de dinars, octroyés de gré à gré à la société algéro-américaine. Des centaines de millions de dollars de préjudice. L'affaire n'a toujours pas révélé tous ses secrets. Chakib Khelil, sur le même ton, récidivait dimanche dernier en déclarant, à propos des scandales de malversations et de passation illégale de marchés publics qui éclaboussent Sonatrach : «Je ne connais du dossier que ce qu'en a donné la presse.» Dans le scandale du projet du siècle, l'autoroute Est-Ouest (coût : 11 milliards de dollars), l'impunité exhale avant l'heure ses relents d'impunité. Le ministre des Travaux publics, Amar Ghoul, garde son poste alors que plusieurs de ses collaborateurs les plus proches, dont son chef de cabinet et le secrétaire général du ministère, sont en prison. La liste, longue et hétéroclite, des personnes impliquées dans ce scandale n'a à aucun moment incité Amar Ghoul à présenter sa démission. Bouteflika ne le congédiera pas non plus. Mourad Medelci, un ministre «pas assez intelligent» Le ministère de la Pêche et des Ressources halieutiques, dirigé par Smaïl Mimoune, n'est pas épargné par les scandales sulfureux. Le secrétaire général de ce ministère a été placé sous contrôle judiciaire dans le cadre de l'affaire de la pêche au thon par des thoniers turcs à Annaba. La facture du scandale dépasserait les 20 milliards de dinars. Smaïl Mimoune restera, bon an, mal an, fidèle au poste. La somme de ces scandales ne peut toutefois éclipser celui de Khalifa. Le tribunal de Blida, qui a eu à juger des détournements opérés dans la caisse principale d'El Khalifa Bank, a vu défiler une flopée de hauts responsables de l'Etat. Mais aucun parmi ceux qui ont été entendus n'a, à ce jour, été inquiété. Beaucoup passeront à travers les mailles du filet. Aucun des hauts dirigeants et ministres impliqués et cités comme témoins lors du procès n'a osé quitter son poste, tirant ainsi les conséquences (politiques) de la gestion de leurs secteurs respectifs. Convoqué en tant que témoin dans l'affaire Khalifa, Mourad Medelci alors ministre des Finances, a déclaré n'avoir «pas été suffisamment intelligent» pour détecter la gravité de la situation. Le président du MSP, Bouguerra Soltani, ancien ministre du Travail et de la Sécurité sociale, a été également convoqué en tant que témoin. Il s'en tirera sans dommage alors que sa responsabilité est mise en avant dans les placements des fonds des caisses de la Sécurité sociale à El Khalifa Bank. Il en sera de même pour Abdelmadjid Sidi Saïd. L'opinion retiendra du secrétaire général de l'UGTA cette phrase «bravade» : «J'assume la responsabilité de la résolution du 12 février qui a couvert le placement de janvier 2001.» Les caisses sociales avaient placé plus de 23 milliards de dinars dans la banque Khalifa. Sidi Saïd n'a pas seulement gardé son mandat, il demeure une pièce maîtresse du système Bouteflika.