Et tandis que l'homme « de couleur » chantait et dansait, vivant heureux et tranquille dans sa brousse, l'autre, sans couleur, s'ennuyait à mourir, à tuer. Ce dernier décida alors de revenir à son origine, la Mama Africa. Par jalousie et cupidité, il l'asservit, lui vola ses richesses matérielles et autres artistiques et, pis encore, lui enleva même son humanité. Cela pourrait être un conte, mais un conte malheureusement véridique, et triste à mourir ! Oui, il en est de la littérature africaine comme des autres arts ; l'homme blanc n'a rien inventé, il y a puisé à fond. La musique, la sculpture, l'art abstrait… Raconter des histoires est le propre de l'homme africain. Mieux encore, prodiguer de la sagesse, c'est son fort. A quoi bon écrire, il y avait le griot et ses gestes coulaient de sources poétiques, musicales, claires, limpides, édifiantes, à l'ombre de l'arbre à palabres (sans connotation occidentale), à l'ombre de « l'arbre à dire ». L'oralité était sauvegardée, de génération en génération, gravée à tout jamais dans la mémoire collective, encore que dans d'autres régions, en Ethiopie par exemple, la littérature écrite (et la philosophie) remonte à plusieurs siècles déjà, et encore en guèze ou amharique. A propos d'oralité, le Malien Amadou Hampaté Bâ dira : « Combien de poèmes, d'épopées, de récits historiques et chevaleresques, de contes didactiques, de mythes et de légendes au verbe admirable se sont ainsi transmis (par l'art de la parole) à travers les siècles, fidèlement portés par la mémoire prodigieuse des hommes de l'oralité, passionnément épris de beau langage et presque tous poètes ! » Vient l'époque des esclavagismes, des colonisations et des malheurs. Il y aura alors, comme on le sait, d'horribles massacres, la dépersonnalisation, l'acculturation, la déculturation... « Nos ancêtres, les Gaulois » originaires du Katanga ! Il a fallu maîtriser la langue du colonisateur pour reconquérir son identité. Pour paraphraser Kateb Yacine, nous dirions que l'Africain devait écrire dans la langue du colonisateur pour lui dire qu'il n'a rien à voir avec lui, qu'il est différent, et que cette différence est une grande richesse pour l'humanité. Au plus fort de la colonisation, les premiers écrivains avaient à dire cela, à retrouver ou brandir leur identité. D'où le mouvement de la négritude avec ses chantres : Alioune Diop, Aimé Césaire, Léopold Sedar Senghor, Anta Diop, etc. Il y aura autant de littératures que de colonisateurs, celle francophone, anglophone, lusophone… Plusieurs écrivains verront le jour, qui, indépendamment de la langue utilisée, lutteront pour la liberté et chanteront l'Afrique, ses traditions et sa pensée : Mongo Beti, Birago Diop, Sembène Ousmane, Abdoulaye Sadji, Djibril Tamsir Niane, Cheikh Hamidou Khane, Chinua Achebe, Wole Soyinka, Tchicaya U'Tamsi, Ahmadou Kourouma, Abderrahman Waberi, etc. Ce n'est pas le génie créateur, ni la matière qui manquent ou font défaut. La richesse immatérielle est toujours en friche, nonobstant tous les discours néo-colonisateurs, racistes, destructeurs, toujours perclus de convoitise. L'oralité tend à disparaître, si elle ne l'est pas. Il faut la transcrire, sinon dans la langue d'origine, du moins, en attendant, dans n'importe quelle langue. Ecrire, écrire… « les yeux fermés », pour reprendre les mots de Kateb Yacine. D'autant plus que, comme le dit si bien Amadou Hampaté Bâ : « En Afrique, chaque fois qu'un vieillard meurt, c'est une bibliothèque qui brûle. » Il ne s'agit pas de dresser ici une liste d'écrivains africains et de dire deux mots de leurs écrits. La critique littéraire et les thèses universitaires l'ont fait et n'en continuent pas moins de le faire. Encore faut-il que les livres soient disponibles pour les uns et pour les autres. Il faut les importer de Paris, de Londres, de Bruxelles… Et ce n'est pas évident. En vérité, ils ne le sont pas. Les indépendances acquises, de hautes luttes, c'est le désenchantement. Les politiques, l'esprit colonisé encore, se laissent faire, ou font tout pour le pouvoir. La démocratie, la sagesse légendaire, out ! Les pantins de l'ancien colonisateur jouent bien leur rôle. L'OUA n'est qu'une structure pour la forme. Les hommes de lettres, par des tirs dispersés, révèlent bien des choses qui n'atteignent pas leurs objectifs. Aussi faut-il des tirs groupés, une sorte d'OUA des écrivains n'est-ce pas ? En quête de tout espace de liberté d'expression, on peut bien continuer à publier à Paris, Londres, Bruxelles, Lisbonne… ou chacun dans la maison d'édition du coin. Mais pas pour un petit nombre de lecteurs ou pour ceux que la chose intéresse juste pour le plaisir exotique ! Car, maintenant, que connaissent les lecteurs par exemple maliens ou ivoiriens des écrivains algériens ou marocains ou éthiopiens ? On peut reformuler la question pour d'autres lecteurs, d'autres pays et d'autres écrivains d'autres pays ? La réponse est connue, indiscutable : rien ou presque ! Ecrivains et éditeurs se débattent dans d'innombrables problèmes. D'abord, le manque d'argent et de subventions, et puis la censure par les gardiens de lèse-dictateurs. Vrai, avec le Panaf' 69, Alger a ouvert une parenthèse pour l'édition de quelques écrivains, et c'est tant mieux. Elle sera fermée après, et tous les yeux seront braqués à nouveau sur Paris, Londres, Bruxelles…