Tout est dit dans le mot, tout est dans l'image immédiate exprimée par le mot. Zohra Mebarek ne sait pas dire les choses à moitié. Elle ne contourne pas l'histoire dans Lan Nabiâa El ômr. Elle fonce dans le cœur de l'histoire. La jeune écrivaine, native de Aïn Dehb (Tiaret), met bout à bout des portions de vie pour exprimer ses tourments. Avec audace, elle raconte son intimité ou plutôt l'intimité de ses semblables, toutes ces jeunes filles de l'ombre qui n'osent pas franchir le pas pour revendiquer leur être confisqué. Zohra est humblement porte-voix, plus témoin qu'avocat. Les quatre chapitres de ce roman de 128 pages se lisent comme des nouvelles. Des nouvelles puisées de la vie, des nouvelles volées à la chape de la vie. L'homme, cet être craint, chéri ou détesté, occupe une place axiale dans l'œuvre de Zohra Mebarek. Il est le pivot central autour duquel se tissent les rencontres, se mettent en branle les amours, s'interposent les interrogations, s'installent les rancœurs et les trahisons alimentées par la… vie. Dans son livre, Zohra évoque avec insistance les souvenirs suspendus, les promesses non tenues et les blessures jamais cicatrisées. L'auteure n'est pas pour autant dans une écriture plaintive, gémissante. Elle ne se laisse pas gagner non plus par la fronde rageuse que nourrissent généralement ceux qui se mettent dans la posture du redresseur de torts. Zohra n'en est pas là. Son écriture est certes frontale, sans concession assez souvent, mais elle refuse de rejoindre têtebaissée les mots d'ordre de toutes ces écritures féministes qui optent pour le prétoire avant d'opter pour une lecture apaisée des rapports hommes-femmes. La mise à nu chez Zohra est une mise à nu d'une vie ordinaire, mais ô combien complexe. Zohra y évoque le premier battement de cœur qui croit à tout et en tout et les grandes désillusions qui ne laissent que le répit du temps récurrent. L'auteure retourne sur des traces autobiographiques, les siennes, pour déborder sur celles de ses consœurs du silence. A ce niveau-là, elle lâche la bride à ses sens survoltés et ses aspirations asphyxiées, avance dans le questionnement de ce qui est supposé repère, insiste à trouver des clés de promesses qu'elle sait par avance introuvables. Persévérante, elle tente ici et là de démasquer le destin, y renonce parce que, entre-temps, elle fait des digressions pour tenter d'instaurer le dialogue avec des personnes qu'elle a rencontrées en cours de route, des personnes dont le souvenir lui revient subitement, sans prévenir. Ce récit, qu'on ne peut sortir que d'un seul jet, quand on est Zohra, est exprimé à la première personne. Le «je» revendique l'option de dire les choses qu'on n'a pas l'habitude de dire, les choses qu'on tait, les choses qu'on tente d'étouffer en soi parce que les tuteurs sont là et parce que la morale bien pensante ne tolère, aux… maxima, que des seuils… minima afin d'exprimer le «moi». Zohra Mebarek emprunte à l'expression romanesque les formes traditionnelles mais se refuse de se ranger dans l'expression conformiste. Elle est une écriture subversive dans l'acte de dire, mais n'est pas dans une écriture de la rupture. Elle a tout simplement envie de parler de deux ou trois faces cachées de l'être qu'on n'a pas l'habitude d'exprimer, de lire… Oran. Prix : 250 DA