La dernière élection présidentielle en République islamique iranienne et la crise qu'elle a engendrée nous donnent un bel exemple de l'évolution du système politique iranien. Par conséquent, la religion et la politique sont, semble-t-il, inconciliables. Depuis la révolution conduite par le guide l'Ayatollah Khomeyni contre le chah, en 1979, l'Iran n'a pas connu une telle contestation. Des manifestations ont lieu un peu partout sur le territoire de la République islamique iranienne. Ces manifestations ont été réprimées violemment par les forces de l'ordre iraniennes faisant des blessés et des morts. Cela fait exactement trente ans que le régime iranien a changé d'orientation politique, en adaptant un nouveau mode de gouvernance qui a tant séduit les adeptes de la théocratie islamique, une République islamique, version chiite où le religieux prédomine sur le politique. Cependant, ces événements soulèvent plusieurs interrogations. Abdelhamid Al Ansari s'interroge : « Quelle est la réalité d'une démocratie sous la coupe d'un système religieux qui concentre tous les pouvoirs ? Une démocratie religieuse peut-elle assurer l'égalité de tous les membres de la société quelle que soit leur appartenance confessionnelle ? Peut-elle tolérer l'opposition populaire ? » « Par le passé, poursuit le journaliste koweitien, les théoriciens de l'Etat islamique avaient pour mot d'ordre ''l'Islam est la solution''. » « Ils prenaient pour prétexte que les puissances occidentales les empêchaient d'accéder au pouvoir et que les régimes arabes les jetaient en prison et pratiquaient la torture. Cela leur permettait de justifier leur violence et leur discours agressif. » Or l'exemple iranien, le passage au pouvoir des talibans en Afghanistan et des mouvements islamistes en Somalie et d'autres au cours de ces dernières années ont montré l'impossibilité de concilier la religion et la démocratie. Les talibans ont montré l'atrocité féroce et machiste quand le religieux prend le pouvoir et surtout lorsqu'ils sont d'un esprit limité et imbu. Ces talibans ont montré une image d'un musulman retardé, peu cultivé, abandonnant la vie pour s'occuper de la mort. Bref, ils ont donné une image distorsionnée et arriérée des musulmans. Ce n'est pas le cas de l'Iran, qui n'est pas arrivé au stade de détérioration ou de contamination avancée, mais ce rejet de tout ce qui vient de l'Occident et le fait de l'accuser à tort et à travers de tous les maux, semble-t-il, n'est pas l'avis de toute la population iranienne, particulièrement la jeunesse. Celle-ci n'a pas connu l'époque du chah, où les libertés étaient plus au moins respectées. Désormais, elle revendique plus de liberté car elle étouffe à cause de tous ces interdits, mais, et surtout, de la bureaucratie, du chômage, etc. Ce même peuple, qui s'est élevé contre l'injustice et la répression pour réclamer plus de droits en 1979, crie, encore une fois, contre l'injustice et pour plus de liberté en 2009. Finalement, ni l'Etat dit démocratique ni l'Etat dit théocratique n'ont instauré un système de gouvernance transparent et démocratique avec toutes ses institutions respectées, car l'esprit totalitaire est le seul moteur de réflexion au sein du pouvoir. Ceci est valable dans l'ensemble des pays qui n'arrivent pas à décoller. Tant que l'esprit totalitaire est le seul mécanisme de pensée de la société, surtout au niveau de l'individu, il n'y aura pas d'avancée, car pour avancer il faut acquérir la culture de la remise en question pour voir clair. Dans un ouvrage du penseur éclairé chiite, Tawfiq Al-Saïf , La Démocratie en pays musulman, il écrit : « (…) Tous les membres de la société sont égaux en droit, qu'ils soient chiites ou sunnites, docteurs ès sciences religieux ou pas. (…) La volonté du peuple est la seule source de légitimité politique et toute décision prise en dehors du peuple est nulle et non avenue. Les préceptes de la loi religieuse (…) sont appliqués une fois votés par l'organe législatif (…). L'Etat gère les ressources publiques en tant que représentant du peuple. Il est issu du suffrage universel. Aucun responsable ne détient le pouvoir absolu et ne peut se soustraire au contrôle du peuple. » Comment ne pas être séduit par un tel modèle ? Cependant, les expériences concrètes de l'islam politique ont été le contraire de ce modèle. Souvenons-nous de ce qui s'est passé chez nous lorsque l'ex-FIS a gagné les élections municipales en juin 1990 et toutes les conséquences suscitées. Il ne s'agit ici que des conséquences de gestion qui étaient semblables à celles du FLN de l'époque. Après dix ans de guerre injustifiée, laissant derrière elle plus de 200 000 morts, sans parler des orphelins, des veuves, des blessés à vie, les Algériens ont compris que l'islam politique n'est pas à l'ordre de jour, même s'il reste tabou de le dire, mais une majorité le pense. Qu'en est-il en Algérie depuis la décennie noire ? En quoi l'expérience iranienne nous interpelle-t-elle ? Dans un article publié dans The Washington Examiner, un journaliste a écrit que « l'Algérie pourrait gagner la bataille militaire contre les islamistes, mais elle est en train de perdre la guerre idéologique contre les islamistes ». Les efforts de l'Algérie entrepris au cours des dix dernières années pour extirper les éléments terroristes ont été minés par la tolérance de plus en plus croissante de la société algérienne à l'égard de « l'intolérance des islamistes », estime le journaliste américain. Une étude réalisée par un groupe de défense des droits de la femme basé à Alger (Ciddef) a enregistré « une régression de la société algérienne, en particulier quand il s'agit de la condition de la femme ». A titre d'exemple, 16% des Algériens soutiennent l'égalité des sexes, contre 27% en l'an 2000. Les exemples ne manquent pas. Au cours d'un séminaire sur « l'Afrique du Nord entre libéralisme économique et ouverture politique », le professeur Nacim Bahoul, enseignant au département des sciences politiques de l'université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou, a dit que « l'ouverture sur le monde occidental au nom de la démocratie a toujours été une menace pour l'Islam et ses valeurs », il a lancé des critiques dures à l'égard des courants qui réclament l'ouverture sur la démocratie et le pluralisme politique, estimant que c'est au nom de cette démocratie que les pays nord-africains s'ouvrent davantage sur l'Occident, et ceci a eu comme conséquence « l'éloignement du droit chemin et de l'Islam ». Les propos de ce professeur est le statu quo de l'Etat idéologique dominant dans notre université. En mars 2009, une bagarre a eu lieu au niveau du centre universitaire Akli Mohand Oulhadj de Bouira entre les étudiants affiliés à l'UGEL (Union générale des étudiants libres) et un groupe d'étudiants. L'origine de cette bagarre est que les étudiants affiliés à l'UGEL s'opposent à la mixité au niveau du restaurant universitaire ! Ils la justifient par les us et coutumes et par le fait que « nous sommes une société conservatrice ». Ceci n'est qu'un arbre qui cache la forêt dans notre système éducatif et universitaire et les responsables de ces secteurs restent impuissants devant ce phénomène de religiosité au sein des campus universitaires et des écoles (car comment justifie-t-on qu'une fille de cinq ans porte un voile ou refuse de s'asseoir à côté d'un garçon !). Selon le chroniqueur Kamel Daoud, les écoles et les appareils de l'Etat continuent de fabriquer (…) une nouvelle génération d'islamistes par défaut, encore moins cultivée, dangereuse car sans leader « négociable » et encore plus malade du refus du réel et des évidences. En mai 2009, des salafistes s'attaquent aux buralistes, en adoptant une nouvelle méthode. Cette fois, c'est du porte-à-porte, pour convaincre les buralistes de ne plus vendre des cigarettes, car, selon eux, « l'argent récolté par la vente du tabac est du même genre que celui de la riba (l'usure). » En conséquence, des buralistes sont contraints d'arrêter de vendre ou seront boycottés « car personne ne veut être vu en train d'acheter des cigarettes, encore moins de fumer dans les alentours du quartier », selon un buraliste. En juin 2009, les pouvoirs publics ont décidé de fermer les établissements de vente de boissons alcoolisées, pas seulement les dépôts, mais aussi les bars, les restaurants qui servent le vin ou la bière, etc. Sans compter la fermeture de 2 700 cafés, bars et autres lieux de sédition, qui ont eu lieu au cours de ces dernières années. Selon le wali d'Alger, « ces gérants ne respectent pas la réglementation en vigueur ». Il s'interroge ensuite : « Est-il concevable que les établissements ne possèdent pas des toilettes propres ? » Sur ce point, il a parfaitement raison, or cette mesure doit être aussi appliquée à d'autres établissements tels que les cafés et les restaurants, car l'état des toilettes, si elles existent, et des salles ne respectent aucune norme d'hygiène. Ceci n'est qu'un petit échantillon des dérives dogmatiques religieuses qui prennent de l'ampleur dans notre société et qui freinent le développement du pays. Cette chaîne peut être un vrai danger dans deux décennies qui viennent. Il est urgent d'arrêter de jouer avec le feu, car il s'agit de l'avenir de la nation et de notre propre algérienneté qui est menacée de perdition. En ce qui concerne l'Iran, son cas doit être mis comme exemple à étudier et il faut tirer des leçons de son histoire, car, à mon avis, l'histoire de la lutte de son peuple est semblable à la nôtre. A méditer ! Auteur du roman Le Hasard parlant aux éditions Edilivre, Paris 2009