Le marché national des arômes et des édulcorants destinés à la fabrication des produits alimentaires, dont les boissons gazeuses, est-il investi par des matières premières importées à teneur cancérigène ? C'est ce que laisse apparaître la récente saisie d'une importante quantité d'arômes sous forme de poudre cancérigène par les services du ministère du Commerce à Annaba. La direction de la santé de la wilaya de Annaba affirme, pour sa part, n'avoir pas été saisie à ce sujet pour une étude biologique. « Nous avons saisi une importante quantité de ces produits cancérigènes ou pouvant le devenir après péremption. Ces produits constitués d'arômes en poudre étaient entreposés dans une villa à usage d'habitation. Nous avons les preuves matérielles qu'ils ont servi à la fabrication de boissons gazeuses à travers le pays. Il s'agit d'une infraction prévue par la loi 89-02. Elle est prévue et sévèrement réprimée par le code pénal en ses articles de 30 à 34 à l'encontre de ou des auteurs qui commercialiseraient des produits pouvant porter atteinte à la santé des populations. C'est le cas dans cette affaire transmise à la justice », a indiqué M. Hachichi, directeur au ministère du Commerce, dans un point de presse. Cette nouvelle affaire s'ajoute à la récente interpellation, citation à comparaître et condamnation à différentes peines de prison et amendes des 107 faux vrais importateurs. Dans les locaux Elle est à l'origine de la valse des dossiers des opérateurs économiques véreux et des dossiers de poursuites judiciaires. Ces derniers jours, les cadres à différents niveaux de responsabilité du département de Boukrouh n'en finissent pas d'aligner des résultats positifs dans leur lutte contre la fraude sur la qualité. Au-delà de sa dernière découverte de sociétés écrans, faux vrais registres du commerce établis sous des prête-noms identifiables et non localisables avec comme corollaires la fraude fiscale, le blanchiment d'argent, la direction de wilaya du commerce à Annaba inscrit à son actif une autre importante prise. Cette fois, le préjudice n'est plus financier, mais une véritable atteinte à la santé des populations. Stimulés par ces résultats, les services du ministère du Commerce à Annaba ont multiplié leurs sorties sur le terrain, ils ont poursuivi leurs enquêtes et perquisitions à un rythme effréné. Elles les ont conduits dans les locaux d'un des plus grands producteurs d'arômes du pays où ils ont découvert ce qui pourrait expliquer la hausse alarmante des cas de divers cancers dont celui du tube digestif. C'est à partir de doutes exprimés par des consommateurs sur la qualité des boissons gazeuses (excessivement sucrées) que les services du ministère du Commerce ont élargi leurs investigations. Celles-ci les ont amenés dans un local implanté dans un site d'habitations individuelles. Ils y découvrirent en pleine exploitation l'unité de production d'arômes et d'édulcorants. Ces matières, largement périmées, étaient stockées depuis plusieurs mois. Bien camouflée, une autre quantité, tout aussi importante, de produits cancérigènes était prête à la livraison à destination des limonadiers de Khenchela, de Annaba et de Tébessa. Parallèlement, les enquêteurs du commerce ont retrouvé, dans cette filière de l'agroalimentaire, une gestion des produits destinés à la consommation humaine échappant à toutes les règles de sécurité alimentaire. Camouflage, péremption et obscur tour de passe-passe, d'autant plus dangereux que le marché des boissons gazeuses est très actif en Algérie. L'enjeu représente une manne financière de plusieurs dizaines de milliards de dinars. Le branle-bas de combat a été déclenché à travers l'ensemble des régions du pays pour un contrôle plus rigoureux des boissons gazeuses, arômes et édulcorants. Il faut dire que la panique déclenchée par cette information brutale concernant les boissons gazeuses cancérigènes n'est pas injustifiée. « D'un point de vue statistique, jusqu'au jour où l'information nous est parvenue, tout paraissait normal. Ce n'est qu'au lendemain de l'enquête réalisée sur le terrain par nos équipes de contrôle que cette situation d'utilisation de matières premières dans la production des boissons gazeuses nous a fait frémir », précise M. Hachichi, le directeur du commerce à Annaba. Il y a quelques jours, ce responsable a été à l'origine de l'interpellation de 107 opérateurs économiques auteurs de fraudes fiscales et sur la qualité, fausses déclarations d'origine. Plus d'une cinquantaine a été condamnée à 6 mois de prison ferme et à une amende alors que le reste est sous le coup d'une instruction judiciaire ou en fuite. « Depuis l'affaire de la mauvaise qualité du concentré de tomate type Latina, constate M. Hachichi, la sécurité des contrôles et des analyses de la qualité est devenue une affaire de santé publique de première importance. On ne peut pas se permettre de jouer avec la santé de nos populations. Je dois cependant préciser qu'il serait exagéré de passer du laxisme à l'hystérie sécurité alimentaire. » La direction de la santé Le ton est donné. Celui d'une affaire à scandales dévoilée à la presse par le ministère du Commerce. Avec la transmission du dossier à la justice pour l'ouverture d'une information judiciaire, cette affaire d'arôme et d'édulcorants cancérigènes a pris des proportions insoupçonnables avec une réaction légitime des consommateurs. Les raisons de telles proportions sont la gravité des résultats des analyses biologiques, des déclarations faites par des responsables de laboratoires publics et privés sur l'éventualité d'une « épidémie » de cancers due à la consommation des boissons gazeuses. A la direction de la santé et de la population de la wilaya de Annaba, le docteur Lehtihet, premier responsable de cette institution, a affirmé ne pas pouvoir se prononcer sur la nocivité des arômes périmés saisis, dont une importante quantité avait été utilisée pour la production et la commercialisation sur le marché national des limonades. Il a précisé : « A ce jour, nous n'avons pas été officiellement saisis pour nous permettre de procéder à des analyses biologiques sur ces arômes et déterminer avec exactitude leur degré de nocivité sur la santé humaine. » Du côté du fabricant dont les locaux ont été scellés, un des employés a estimé que ce dossier ne repose sur aucun argument solide « Il s'agit d'un coup de nos concurrents pour nous amener à déposer le bilan et à leur laisser le marché des arômes. Les contrôleurs du ministère du Commerce sont les instruments d'un vaste complot », a-t-il affirmé. Ce qui n'est pas l'avis des services du ministère du Commerce qui, saisis, ont donné à ce dossier une affaire de dimension nationale avec une mobilisation générale du potentiel humain et matériel de ce département. « La création de sociétés est devenue une industrie nationale. Le système de prête-nom s'est répandu. N'importe qui y compris les gens de condition sociale notoirement modeste peut se voir attribuer sur le papier des milliards de dinars sans qu'il le sache. Le secteur de la production des boissons gazeuses n'échappe pas à cette pratique érigée en système », a souligne un des opérateurs économiques mis sur la sellette dans cette affaire de matières premières cancérigène importées. Depuis le début de l'année 2005, Annaba semble être devenue une wilaya pilote dans la lutte contre la fraude, les pratiques commerciales illicites, la corruption et le trafic d'influence. Dans la foulée, les premiers maillons des réseaux occultes d'approvisionnement du marché national des matières premières destinées à la production des boissons gazeuses ont été surpris par l'offensive des agents de ce ministère. D'autres ont disparu dans la nature. Pour les enquêteurs du commerce, ceux des finances et des brigades économiques et financières de la gendarmerie nationale et de la sûreté nationale, le marché des boissons gazeuses comme celui de l'or et d'autres importations s'est avéré être un monde de faussaires où tout est permis.