Tu viens de nous quitter, mais dorénavant, je ne veux me souvenir que des bonnes choses, car nous n'avons que trop souffert, tu n'as que trop souffert, en silence. Ton silence était un cri, plus fort encore que toutes ces clameurs qui glorifient l'ombre des choses inertes, sur lesquelles rien ne peut se sédimenter, qui célèbrent le reflet des apparences dans un bienséant simulacre. Je ne veux m'arrêter que sur ce qui un jour nous a réunis : notre amour pour le patrimoine et notre ambition d'insuffler une dynamique d'excellence à la recherche ; celle-là même qui nous animait, malgré l'hostilité du temps et des hommes ; je ne veux retenir que ces moments de la construction matérielle, et surtout de structuration de la pensée, trop souvent soumise à un égocentrisme mystificateur et destructeur. Narcissisme et vanité que d'aucuns ont élevés au rang de vertu. Je parle déjà au passé, mais qu'est-ce donc le temps pour nous autres, hommes du temps ? Qu'est-ce le passé lorsqu'il est revisité à chaque fois qu'une des œuvres, laissée à la postérité, est de nouveau exhumée pour le bonheur, à défaut de tous, de l'intellect et de sa sincérité ? Qu'est-ce le passé lorsque la mémoire demeure vivante et recomposée dans les cœurs ? Traces impérissables de tous ces sillons, à l'image de ceux de nos aînés de l'Atlas et des Tassilis, que tu as su imprimer en chacun d'entre-nous ; ceux qui t'ont aimé et les autres sans exclusive. Je me rappelle de ces rares moments de joie que ne peuvent procurer que les privilèges des investigations archéologiques et des discussions passionnées qu'elles engendraient, même dans la contradiction. Notre foi dans la justesse de notre combat et notre perception sur les voies et moyens de réhabilitation du travail de l'esprit et de son acteur que requiert la dimension de recherche était à la mesure de notre foi pour le patrimoine et en sa richesse. J'ai toujours été fasciné par ta sincérité, ton esprit pratique et le sens aigu de l'organisation qui t'ont toujours caractérisé et accompagné. Le chantier d'Achir sous ta baguette demeure pour beaucoup un rare moment de réelles symbioses dans lequel les singularités se sont aplanies pour céder la place à l'intérêt de la collectivité. C'est dans le même état d'esprit que nous avons engagé des projets de recherche pluridisciplinaires, car il nous était, il m'est toujours, difficile d'envisager une désarticulation des compétences et une surenchère des aventures de l'esprit. Tu nous lègues un héritage qui, au-delà de tes recherches sur l'histoire médiévale du Maghreb, nous fait vivre et vibrer à travers les saisissantes épopées d'Amastan Sanhadji ou encore à travers la revivification de la mémoire des personnalités historiques qui ont construit notre édifice civilisationnel. C'est avec bonheur que j'ai travaillé avec toi. Vois-tu ? Il y a, parmi les vivants, ceux qui demeureront d'éternels effacés, car l'histoire ne peut s'encombrer de leur trompeuse vérité. Repose en paix l'ami. *Né en 1944 à Blida, Djamel Souidi était spécialiste de la période médiévale du Maghreb et particulièrement de l'Algérie. Décédé à Marseille la semaine dernière, il laisse une œuvre scientifique et romanesque peu abondante mais incontournable.