Arborant drapeau syrien, pancartes et banderoles hostiles au régime de Bachar Al Assad, les manifestants ont tenu, par ce geste, à exprimer leur solidarité la plus vive avec leurs compatriotes sauvagement réprimés à Daraa, Lattaquié et autres villes syriennes insurgées. «Birouh, bidem, nafdiki ya Daraa» scandaient les manifestants. «Allah diraak ya Daraa» (Dieu est ton bouclier, Daraa) sur l'une des banderoles. A signaler qu'un léger dispositif de police a été déployé pour contenir ce sit-in et aucune violence contre les manifestants n'est à déplorer. Le rassemblement a commencé à 12h30 et s'est dispersé vers 13h, dans le calme. Les participants à cette action de protestation sont venus pour certains d'entre eux par familles entières. Il y avait même des enfants, brandissant le drapeau syrien et hissés sur les épaules d'un adulte. Tous ont fait le déplacement pour dire leur rejet viscéral de la Syrie de la dynastie Al Assad. «Selmia, selmia, hatta enchouf el houriya», (pacifique, pacifique, jusqu'à ce qu'on goûte à la liberté), indique l'une des nombreuses pancartes arborées. Sur les autres, on peut lire : «Non aux arrestations arbitraires», «Stop killing civilians» ou encore «Enhebek ya Souria» (Nous t'aimons, Syrie). Le cortège des manifestants s'avance d'un pas prudent vers l'enceinte de l'ambassade, drapeaux et banderoles exhibés. Fayçal, 48 ans, diabétologue, est l'un des principaux animateurs du rassemblement. Il s'approche du cordon de police. «Nous voulons juste tenir un rassemblement symbolique dans le calme et exprimer notre indignation en silence, à travers ces banderoles» lance-t-il gentiment à l'adresse des policiers en faction. Mais le silence n'a que trop duré. Et des cris de colère de fuser de la foule par la voix d'une citoyenne syrienne qui entonne : «Birouh, bidem, nefdiki ya Souria !». La femme poursuit : «Nous avons soif de liberté et de dignité. Nous sommes les enfants de la résistance. La mère patrie nous manque tellement». Et les autres de suivre en scandant à l'unisson : «Houria ou bess !» (Nous voulons juste la liberté). «Lève la tête, Syrien !» Michel Sattouf, figure de proue de l'opposition syrienne, établi en Algérie, explique le sens de cette manifestation : «Nous tenons, à travers ce rassemblement, à exprimer tout d'abord notre entière solidarité avec le peuple syrien et avec tous les peuples arabes en lutte pour leur liberté. Nous tenons également à dénoncer la répression féroce du régime syrien contre les manifestants, lui qui n'a pas hésité à tirer à balles réelles sur les foules, dans le dos. Daraa et Lattaquié sont assiégées à l'heure actuelle par l'armée. Pourtant, le peuple syrien est un peuple pacifique et revendique ses droits d'une façon pacifique.» Nidhal Debah, avocat, enchaîne : «Les mesures annoncées par Bachar Al Assad, en décrétant des augmentations de salaires aux fonctionnaires, sont une tentative de corruption du peuple syrien pour acheter son silence et son consentement. C'est de la corruption programmée. Nous n'avons pas demandé d'augmentation. Ce que nous voulons, c'est la liberté. Nous exigeons par ailleurs la libération de tous les détenus. Les moukhabarate syriennes ont embarqué même des enfants et des collégiens qui ont été arrêtés dans leurs écoles. Si nous étions en Syrie, nous serions déjà mort,s à l'heure qu'il es,t en faisant cette manif.» La foule scande de plus belle : «Lève la tête, Syrien !» avant de lâcher : «Ya Boutheina Ya Chaâbane, echaâb al souri mouch jawâane !» (allusion à l'emblématique conseillère du président syrien). Fayçal s'égosille : «Islah ! islah !», «Nous exigeons des réformes rapides et radicales !» A un moment donné, un employé de la représentation diplomatique syrienne s'approche d'un groupe de manifestants et leur demande s'ils avaient un communiqué à transmettre à l'ambassade. «Le communiqué est dans ces mots que nous vous livrons en direct», rétorquent-ils. «Avril approche et j'espère que ce sera le bourgeonnement de la démocratie dans mon pays», dit Mazen, avant de lancer sur un ton moins lyrique : «Bachar parle de lever l'état d'urgence mais même si cela venait à se faire, la loi sur l'état d'urgence continuera de sévir à travers la main de fer des appareils de sécurité.» 10 000 Syriens vivraient en Algérie Selon l'avocate Nidhal Debah, la communauté syrienne en Algérie serait forte de quelque 10 000 ressortissants. «La majorité d'entre eux ont la nationalité algérienne», indique-t-il. «Nous sommes vraiment très bien traités ici», insiste Me Debah. La plupart de ses compatriotes ont dû fuir les exactions du régime syrien et ils sont fort nombreux à n'avoir pas foulé le sol de leur pays depuis qu'ils l'ont quitté. C'est le cas du Dr Fayçal. «Cela fait 30 ans que je suis ici. J'ai quitté mon pays à l'âge de 18 ans. Je ne peux malheureusement plus y retourner. Si je vais là-bas, je serais sûrement arrêté et Dieu sait ce qui adviendra de moi», témoigne-t-il. «Ce que nous voulons ? Nous voulons simplement un gouvernement civil qui bannisse à jamais la ‘'taifiya'', le communautarisme. Nous n'avons pas de société civile en Syrie. L'opposition a été décapitée, poussée à l'exil, à cause de la très forte répression qui pèse sur la société. Nous avons 2 millions de Kurdes qui n'ont pas droit à la nationalité. Nous voulons un Etat fondé sur le principe de citoyenneté. Nous voulons une séparation des pouvoirs avec une vraie instance législative et une justice indépendante», résume Fayçal. Abdourrahman, informaticien de son état, arrivé en Algérie dans les années 1980, raconte : «Ils ont arrêté mon frère en 1980. Il avait à peine 20 ans. Ils l'ont inculpé sans raison. Ils l'ont emmené à la prison de Tadmur. Depuis, nous sommes sans nouvelles de lui à ce jour. Nous n'avons toujours pas de certificat de décès à son nom. J'ai un cousin qui s'est marié à une fille dont était épris un membre du clan au pouvoir. Par représailles, ils ont arrêté mon cousin avant de l'assassiner en prison.» Même s'il appelle de ses vœux le départ de Bachar Al Assad, Abdourrahman nous dit en algérien : «Bachar khadra foug aâcha, c'est juste de la garniture. C'est tout le système qui doit partir.»