En dépit du durcissement du code de la route, le bilan de victimes des accidents continue de s'alourdir. Où se situe la faille, selon vous ? Quel que soit le durcissement des textes, cela reste une théorie. La valeur des textes dépend des personnes chargées de leur application. Dans cette problématique, il y a deux parties : d'un côté il y a des gens qui sont censés respecter la loi et, de l'autre, ceux qui sont payés pour la faire respecter. Si ces deux parties ne jouent pas le jeu et ne respectent pas la loi, nous ne ferons que tourner en rond. Pour moi, la loi de 2005 n'a pas de lacune. J'ai l'impression qu'à chaque changement de responsable ou de ministre, on change de code de la route. Le problème ne réside pas dans le code, mais dans son application sur le terrain. Même dans la loi applicable depuis 2005, il y a des délits et des amendes qui vont jusqu'à 5000 DA. Y a-t-il des fautifs qui ont été verbalisés à 5000 DA ? Ce n'est pas le durcissement des textes qui résoudra le problème. La difficulté est dans la sensibilisation. Le nouveau texte va entrer en application prochainement, a-t-on organisé des débats et des tables rondes pour expliquer la loi aux citoyens ? Il faut banaliser et vulgariser cette loi… En parlant de sensibilisation, y a-t-il suffisamment de travail fait dans ce sens ? Pourquoi n'y a-t-il pas de campagnes permanentes pour informer le citoyen ? Nous avons un centre national de prévention et de sécurité routière. Mais il se trouve, comme par hasard, que le nouveau texte est sorti en août et que tous les responsables sont en congé. C'est sans commentaire… Que faut-il faire pour, au moins, réduire l'ampleur de l'hécatombe sur nos routes ? Que manque-t-il pour réaliser cet objectif ? Je n'ai pas arrêté, depuis les années 1970, de mettre la pression sur les autorités afin d'améliorer la situation. Pour revenir à la question, je vais d'abord interroger : Pourquoi il y a autant de voitures sur nos routes ? Il y a trop de voitures, parce qu'il y a une défaillance totale du transport public. Cette défaillance force les gens à acheter leur voiture. Est-ce que c'est voulu ? C'est une question qu'il faut aussi poser. Parce que nous avons un métro qui n'est pas encore réceptionné, cela dure depuis 30 ans. Nous avions le tramway que nous avons abandonné et maintenant on veut le relancer. Par ailleurs, j'aimerais revenir sur les défaillances en matière de sensibilisation. Mis à part les 26 minutes par semaine consacrées à l'émission « Tariq essalama » et les quelques minutes diffusées sur les ondes de la radio El Bahdja, rien n'est fait pour informer le citoyen. Ce temps consacré à la sensibilisation est très insuffisant. Il faut aller vers le citoyen, alors que j'ai l'impression que nous attendons que le citoyen vienne vers nous. Ne pensez-vous pas qu'il y a un manque d'infrastructures routières et qu'à l'origine des accidents, il y a aussi l'état des routes qui ne répond pas aux normes ? A mon avis, il faudra d'abord que les gens connaissent le code de la route. Or les chauffeurs ne le connaissent que très peu. Toutes les lois du monde stipulent que le conducteur doit adapter sa vitesse en fonction de l'état de la route. Mais l'automobiliste ne reçoit que le « SMIG » du code de la route. Alors, il faudra lui faire parvenir ces textes de loi pour qu'il les apprenne, les comprenne et les accepte. Je suis certain que l'automobiliste algérien, lorsqu'il comprendra les textes et les acceptera, il se conformera à la loi. Il faut aussi qu'il y ait une application juste et équitable de la loi. Les chauffeurs de camions sont mis en cause. Ils sont accusés d'être à l'origine de la plupart des accidents de la route survenus ces derniers jours sur nos routes. Qu'en pensez-vous ? Ces gens-là ont un permis de conduire. Mais le problème n'est pas le permis de conduire. Je souhaite qu'on introduise dans l'examen du groupe lourd une caution intellectuelle pour le candidat. Il ne suffit pas de citer quelques plaques et de répondre à quelques questions. Il faut savoir ce qu'il a dans la tête ce monsieur. Là on sort du code de la route et on va vers le côté psychologique. Il faut un minimum de connaissances pour pouvoir conduire un poids lourd. Il ne suffit pas de faire réciter uniquement le code de la route à un conducteur. De plus, il y a le problème de la formation. Y a-t-il en Algérie une auto-école qui dispose de camions et de remorques ? Il n'y en a pas. Avec cette nouvelle loi, on veut durcir les conditions pour l'examen du poids lourd, mais jusqu'à un passé récent, celui-ci est fait avec une petite camionnette qui pèse 3500 kg. Les anciennes dispositions de la loi datant de 1987 avaient prévu de scinder le permis poids lourd en deux catégories : le C1 (3500 kg à 19 t) et le C2 (de 19 t à 38 t). C'est un texte qu'on n'a pas appliqué depuis 38 ans. Aujourd'hui, je pense qu'il faudrait réfléchir à professionnaliser les conducteurs du groupe lourd. Si l'Etat met en place une école de formation professionnelle du groupe lourd qui donnera une bonne formation académique, on aura certainement moins d'accidents. Même le brevet professionnel introduit dans le cadre de la nouvelle loi n'est pas nouveau, puisqu'il existe déjà dans la loi de 2001. Le nouveau texte introduit également le permis à points. Cela va-t-il contribuer à la réduction du nombre d'accidents ? Nous vivons en Algérie et nous savons qu'il y a des gens qui ont deux permis de conduire. Il y a des personnes qui font des déclarations de perte pour avoir un nouveau permis avant même qu'on ne le lui retire. Je pense que c'est du n'importe quoi. Tant que nous n'avons pas un réseau informatique, cela ne résoudra rien. En plus qui est habilité à retirer les points ? Un policier ? Un gendarme ? La question reste posée. Le jour où on aura un réseau qui relie la wilaya, les service de police et de gendarmerie ainsi que la justice, on pourra appliquer ce système. Parce que le point ne peut être retiré que lorsque la sanction a été rendue de manière définitive. Je voudrais rappeler dans ce sens que j'ai toujours suggéré le retour au tribunal de simple police qui doit gérer toutes les infractions liées au code de la route. Ce tribunal existait après l'indépendance. On parle également, depuis des années, du fichier du permis de conduire, mais il n'est pas établi. Si on n'a pas de fichier, on ne pourra pas également savoir s'il y a une récidive.