Faire l'emplette d'épices et acheter des ustensiles en poterie constituent à la veille de chaque Ramadhan à Batna un véritable casse-tête pour les ménagères qui y accordent un soin particulier et ne se les procurent qu'auprès de marchands « de confiance ». Ancien marché spécialisé dans ce type de commerce, Errahba, situé en plein centre-ville de la capitale des Aurès, est la première destination de ces femmes qui prennent tout leur temps pour choisir les meilleurs épices et condiments pour assaisonner, un mois durant les plats de rupture du jeûne, à leur tête la soupe au blé vert (frik) concassé. Si la plupart des épices, plus particulièrement les plus demandées, à savoir les graines de coriandre (kosbor), de piment noir (felfel ekhal), de carvi (carouiya) et d'anis (habet hlaoua), ainsi que la cannelle (el qarfa) et le clou de girofle (ettib), sont proposées finement moulues et prêtes à l'usage, les plus expertes parmi les ménagères préfèrent les acheter à l'état brut. La raison en est que cela permet à la ménagère de s'assurer elle-même de leur qualité, en les criblant de ses propres mains des impuretés puis en les faisant moudre, sous ses yeux bien vigilants, auprès des meuniers. Une fois préparé, chaque condiment est placé dans un récipient séparé, de préférence en verre. Pour Mme Fatima, c'est là « la seule manière de garantir réellement » la qualité des épices et de conserver leur fraîcheur assez longtemps pour pouvoir préparer des plats authentiquement traditionnels. Pour cette même dame, les épices prêtes à l'usage perdent leur goût fort pour plusieurs raisons, dont le manque de soin au cours des phases de préparation et le contact prolongé avec l'air libre. Les meuneries traditionnelles également ne désemplissent point à la veille et pendant les premiers jours du Ramadhan. De longues chaînes d'hommes, de femmes et d'enfants sont observées notamment devant les boutiques des meuniers les plus anciens au savoir-faire irréprochable. Vieux meunier tenant un commerce non loin de la Rahba, Mohamed se réjouit de ce pic de la demande sur ses services mais constate le changement de mœurs de sa clientèle. « Jadis, aucune femme n'osait franchir le seuil du local d'un meunier », affirme-t-il, avant d'enchaîner : « Aujourd'ui, autres temps, autres mœurs, elles viennent elles-mêmes moudre les graines et s'assurer de la qualité du service fournit. » Cheikh Hamma, ancien meunier du quartier populaire de Bouakal, plus grande et populeuse cité de Batna, note de son côté que la plupart de ses clientes préfèrent moudre chaque épice à part. Toutefois, certaines d'entre elles font moudre les graines de coriandre avec celles du carvi au motif que cela, indique-t-il, « imprègne plus de goût aux mets » qui en sont pourvus. Préparer ses propres épices et les graines de blé récolté vert (frik) constitue un « sublime rituel que nous avons pris l'habitude d'accomplir joyeusement à l'occasion de chaque Ramadhan », affirme hadja Ouicha qui souligne la nécessité, pour les fins gourmets nostalgiques des vieilles saveurs de la marmite en poterie pour la préparation de la chorba et du tadjin (genre de plat en terre pour le cuisson de la galette). Témoignage de l'immense honneur voué dans la région des Aurès pour ce mois sacré, de vastes opérations de grand ménage sont menées dans les foyers comme pour l'accueil d'un hôte de marque. L'ambiance du Ramadhan englobe également le cours du commerce et fait rebondir en avant de nombreuses activités dont le commerce des ustensiles traditionnels en terre cuite. Certaines autres traditions louables, notamment des régions rurales, ont carrément disparu. C'est le cas de la nafqa, une habitude qui faisait que des ovins soient sacrifiés le premier, le 15e et le 27e jours du Ramadhan et leur viande répartie entre les ménages voisins, déplorent de nombreux vieux de la région.