La preuve en est que Rachid Nini, directeur de publication du quotidien arabophone Al Massae, – un des plus importants tirages de la presse marocaine– a été condamné jeudi à un an de prison ferme et 1000 dirhams d'amende par un tribunal de Casablanca. En détention depuis le 28 avril dernier (45 jours), M. Nini était notamment poursuivi pour «désinformation» contre des membres des services de sécurité marocains, «atteinte à des corps constitués» et «atteintes à des personnalités publiques». Le tribunal de première instance de Casablanca avait plusieurs fois refusé sa mise en liberté provisoire. Le cas Nini a d'ailleurs amené Amnesty International (AI) à douter de la volonté réelle de «M6» de mener des réformes politiques de fond. L'organisation internationale de défense des droits de l'homme a ainsi souligné, dans son dernier rapport sur la situation des droits de l'homme au Maghreb, rendu public récemment, que «la détention de Rachid Nini va totalement à l'encontre des promesses de réforme que le roi Mohammed VI a faites il y a peu, lorsqu'il a promis de consolider le respect des droits humains». «Il s'agit d'une grave attaque contre la liberté d'expression», s'était alors indigné AI, qui soupçonne fortement le pouvoir marocain de ne chercher qu'à doter le Maroc d'une «façade démocratique». Rachid Nini a été, rappelle-t-on, poursuivi en vertu d'articles du code pénal et non du code de la presse. Les faits qui lui sont reprochés : il avait critiqué dans plusieurs articles, particulièrement dans sa chronique «Chouf Tchouf», la Direction de la surveillance du territoire (DST), les Renseignements marocains et plaidé en faveur de leur contrôle par le Parlement marocain. Le directeur d'Al Massae avait également reproché à des personnalités publiques de violer la loi, principalement dans le cadre de la lutte antiterroriste. Après le prononcé du verdict, plusieurs de ses avocats et de ses partisans ont dénoncé la décision du juge et ont décidé, bien évidemment, de faire appel. Pour eux, la condamnation à la prison ferme de M. Nini est «un très mauvais tournant pour la justice et les libertés au Maroc. Il s'agit clairement d'un avertissement à l'égard des journalistes, afin qu'ils se sentent menacés dans leur liberté d'expression». Cette entorse à la règle (sa poursuite en vertu du code pénal) a été fortement dénoncée par les 500 avocats qui composent le comité de soutien à Rachid Nini. Celui-ci avait assuré dès le début que «les conditions d'un jugement équitable faisaient défaut dans cette affaire». L'«anomalie juridique» a fait réagir également Reporter sans frontières (RSF) qui a, hier, exprimé son «inquiétude quant à l'utilisation du code pénal dans une affaire de délit de presse». Ce précédent, écrit RSF dans un communiqué rendu public, «ouvre la voie à de nombreux excès et retire au code de la presse son rôle d'instrument juridique efficace». Les animateurs de RSF n'ont d'ailleurs pas manqué d'appeler la justice marocaine à revenir sur cette décision. Abondant dans le sens du constat fait par AI concernant la situation des droits de l'homme au Maroc, RSF rappelle qu'«emprisonner un journaliste est la marque des régimes autoritaires».