Et l'on découvre que l'urgence dans le pays n'est pas d'organiser une alternance au pouvoir avec de vagues références aux standards de la démocratie, mais de vaincre enfin le fléau du culte de la personnalité qui se régénère depuis le Mouvement national il y a près d'un siècle. Dans ce pays de 42 millions d'habitants, dont la population active est constituée de près de 13 millions de citoyens, on continue à lier l'avenir de la nation à la volonté et au sort d'un seul homme. Un désastre politique qu'assume et revendique l'essentiel des acteurs de la vie nationale. Cette culture de l'allégeance, inhibitrice et calamiteuse pour le débat et l'action publics, est le trait le plus expressif du sous-développement du pays. Elle impacte gravement la vie nationale et neutralise ou dévoie les fonctions de l'Etat dans tous ses démembrements. Subissant le même sort que les ministres, les walis, qui sont officiellement chargés d'esquisser un début de relance économique, véritable et productive, consacrent la plus grande partie de leur agenda à l'organisation de cérémonies d'une totale inanité dans le seul but de célébrer l'action et le bilan du Président. Tout comme le carburant du système économique en vigueur, la «popularité» proclamée et célébrée en faveur du pouvoir politique en place est non conventionnelle. Elle n'est pas surfaite, elle est illusoire. Elle est vécue comme une oppression supplémentaire s'ajoutant aux revers essuyés en pleine crise économique et sociale. Il n'y a aucun peuple au monde et dans l'histoire qui aspire à la paralysie ou l'atrophie de ses fonctions et de ses ambitions. Les aspirations de la société sont conformes à son image, dynamique, jeune et ambitieuse. Tous les discours liant la volonté populaire à une personnalité notoirement transformée en une image, parfois extraite d'un lointain passé, tanguent entre la mystification et le mensonge. Les «processus» qui permettent de récolter via les urnes des résultats conçus à l'avance sont liés à des travers et autres fléaux, comme la corruption, la fraude électorale ou la manipulation des masses, mais pas aux principes démocratiques qui impliquent la liberté et la pleine citoyenneté. Ce mal de l'allégeance est d'autant plus grave que des chefs de parti politique sont en train de l'instiller à leurs militants, lesquels ont pu apprendre dans leur vie que «nul n'est indispensable ni irremplaçable». Avant d'être confrontés aux mœurs politiques ancrées dans le pays, les citoyens étaient dotés d'une culture démocratique et de bonne gouvernance éprouvée dans les structures sociales les plus basiques. Dans une communauté villageoise, l'opération la plus simple est de désigner les chefs avant d'aborder les tâches les plus laborieuses pour le règlement des affaires courantes et à venir. A l'échelle d'un Etat, il suffit de dédramatiser le climat politique et considérer que le génie et la compétence ne sont pas confinés dans les allées du pouvoir. Les bonds politiques et historiques les plus significatifs ont été enregistrés quand un Président est «recruté» à la sortie de la prison ou sur un chantier d'électricité.