On le savait déjà, la chute du dictateur n'est pas celle du régime. Et la chute du régime n'est pas celle du système. Une équation que le peuple égyptien semble petit à petit saisir, à trois mois des élections législatives en septembre prochain. Maintenant que le raïs Moubarak est tombé, des divergences entre les révolutionnaires apparaissent. Tout comme les échecs et les inaboutissements de la révolution. C'est pourquoi des militants ont lancé un appel à manifester aujourd'hui, afin de «sauver la révolution». Ou d'en commencer une autre, si l'on en croit certains. DU BLA-BLA POLITIQUE Plus de 850 morts pour finalement aboutir à des tergiversations politiques. La transaction semble chère payée. Les Egyptiens se sont battus pour la défense de leurs droits, des idéaux de la liberté, contre la répression, la corruption… La liste est longue, et rares sont les revendications véritablement concrétisées. Place Tahrir, on exige un retour aux demandes initiales, mises de côté sous le poids de la pression électorale. Certes, l'Egypte n'est plus sous le joug d'un dictateur, mais le chemin est encore long à parcourir pour toucher du doigt la tant recherchée démocratie. Les Egyptiens en sont conscients. C'est pourquoi ils ne peuvent se cantonner dans un silence approbateur en ces moments cruciaux. «Notre révolution s'effondre», s'indignent-ils. ARMéE D'UN JOUR, ARMéE POUR TOUJOURS ? A présent, c'est le Conseil suprême des forces armées – substitut de Moubarak – qui est dans le collimateur des manifestants. Autrefois admirée pour avoir pris le parti du peuple, l'armée n'a plus le vent en poupe, car elle persiste finalement à employer les méthodes de l'ancien régime – si ancien soit-il. Les militaires avaient fait la promesse de quitter le pouvoir le plus tôt possible, tout en s'engageant à assurer la transition. Mais l'appât du gain pourrait les pousser à se maintenir au pouvoir, tout en transférant les affaires religieuses aux mains de la société civile. Ce que les militants dénoncent, critiquant «l'entêtement de la junte militaire». Et une autre ombre au tableau : l'armée égyptienne est largement financée par les Etats-Unis, une ingérence qui pourrait orienter la transition dans le sens de la continuité, alors que la situation exige une certaine rupture. UNE éCONOMIE TOUSSOTANTE Mais les Egyptiens ne réclament pas que des changements d'ordre politique. La situation économique se dégrade de jour en jour. Le tourisme, qui était une véritable manne financière, s'est effondré. La production industrielle a reculé de 12%, sans parler de l'arrêt des investissements. Avant la révolution, la population égyptienne vivait avec moins de deux dollars par jour. Une précarité qui s'est accentuée avec l'envolée brutale des prix ces quatre derniers mois. Cependant, pour certains analystes, l'Egypte possède d'autres atouts : elle ne dépend pas du pétrole, offre d'autres choix d'investissement et profite d'une situation géopolitique idéale. Et quelques progrès sont à signaler : un impôt sur le revenu plus élevé pour les gros salaires, l'augmentation du salaire minimum et une hausse des dépenses dans les secteurs de la santé et de l'éducation. TRAîNéES DE POUDRE… Malgré ces quelques progrès, de fortes inégalités sociales persistent et la jeunesse s'impatiente face au manque d'avenir. L'impréparation de la plupart des partis fait craindre à beaucoup une victoire des Frères musulmans aux prochaines élections, et les appels à reculer le scrutin se multiplient. La semaine dernière, lors d'une cérémonie à la mémoire des victimes de la révolution, de violents affrontements entre la police et les manifestants ont fait près de 80 blessés. Toutefois, tous ne sont pas partisans d'une «deuxième révolution», à l'instar d'un des coordinateurs du Mouvement du 25 janvier, Mohamed Diab, et des Frères musulmans. Sans oublier les partisans de Moubarak, qui instrumentalisent les rassemblements pour provoquer des échauffourées. Il est clair que l'Egypte est à un carrefour de son histoire. La vigilance des Egyptiens s'impose donc, sous peine de voir leur pays dirigé par un clone du régime Moubarak, version 2011.