Eugénie Diecky, la journaliste vedette gabonaise de la radio internationale Africa N°1 à Paris, revient sur l'élection d'Ali Bongo à la tête du Gabon. Le Gabon vient d'élire son nouveau président, c'est Ali Bongo qui l'emporte , l'opposition crie à la fraude , comment analysez vous le scrutin ? Pour différentes raisons, liées notamment à l'attachement que lui vouaient les gabonais, le défunt président de la République était quasiment assuré d'être réélu à chaque consultation. C'est dans ce contexte qu'il a pu totaliser 41 ans de pouvoir. Sa popularité était réelle. Mais sa mort a pris tous les acteurs de la vie politique de vitesse, et il a bien fallu faire l'apprentissage d'une transition, avec pour seul aiguillon la Constitution. Hormis l'opposant historique Pierre MAMBOUNDOU, plusieurs des candidats étaient d'anciens proches collaborateurs du président BONGO, notamment l'ancien Ministre de l'intérieur André MBA OBAME. Ceux qui ne souhaitaient pas voir un autre BONGO s'installer au Palais du bord de mer ont sans doute accordé une trop grande foi à ce que j'ai appelé la « campagne numérique », c'est-à-dire l'espace non négligeable occupé par internet dans cette campagne. Tant de personnes rangées sous la bannière « Tout sauf Ali » se sont mobilisées sur la toile qu'il était facile de perdre de vue que le candidat BONGO était un ministre vivant au Gabon, connu des gabonais, crédité d'une certaine proximité avec le peuple et d'un bilan ministériel considéré à tort ou à raison comme honorable. Il faut être lucide et ne pas nier une réalité : si un certain nombre de citoyens étaient hostiles à l'idée de porter son fils au pouvoir, plusieurs gabonais savaient gré au père d'avoir toujours su préserver la paix dans une région vouée aux turbulences, et pouvaient naturellement vouloir faire confiance à Ali BONGO pour continuer à préserver la paix. C'est un des paramètres qui expliquent probablement que le nouvel élu soit arrivé en tête. Des incidents se poursuivent en ce moment , deux candidats de l'opposition ont été blessés , pensez vous que le calme va revenir ? Il est très souvent arrivé au défunt Président Omar BONGO de naviguer avec de très forts vents contraires. La mort mystérieuse dans un hôtel de Libreville de l'opposant Joseph Rendjambe avait manqué de faire voler en éclat la paix civile. C'est pourquoi il serait extrêmement dommageable qu'il soit gravement porté atteinte à l'intégrité physique des dirigeants de l'opposition. Je constate que les gabonais, toutes tendances politiques confondues, ont à cœur de préserver la concorde nationale. Ali Bongo a fait le serment, devant la dépouille mortelle de son père, de tout faire pour préserver son principal héritage, la paix. Il n'y a pas si longtemps, le ministre de l'intérieur, membre du groupe des refondateurs au sein du Parti Démocratique Gabonais, était très proche d'Ali Bongo. Je n'exclus pas qu'au nom de leur amitié passée, ou dans l'intérêt supérieur de leur pays, les deux hommes entament un dialogue. Dans tous les cas il reviendra au nouveau Président de la République de donner des gages sur sa volonté de mettre le Gabon au travail, et de se mettre au service de tous les gabonais sans exclusive. Cela contribuera à apaiser les esprits. Vous avez vécu à Libreville, qui est Ali Bongo ?(anecdote personnelle etc. ) Il est crédité d'une certaine force de caractère, et il aime à annoncer qu'il ira plus loin que son père dans les réalisations sociales et économiques. Au cours d'un meeting de campagne dans la région du WOLEU NTEM, il a affirmé qu'il déplore qu'un pays aux sols si fertiles importe sa nourriture des pays voisins. Il veut encourager, notamment par des dotations en équipements, les agriculteurs locaux à améliorer leurs exploitations. Le Gabon d'aujourd'hui c'est quoi ? une succursale de Paris ? avec des milieux d'affaires (Total , Areva) qui serait contre la démocratie ?( lien avec la France et volonté d'indépendance…) Il est indéniable que le défunt Président Omar Bongo entretenait des liens étroits avec la France, notamment ses dirigeants gaullistes. Il s'agissait objectivement de liens stratégiques mais aussi, plus subjectivement, d'une proximité personnelle et culturelle. On a le droit de dire que, Chef d'Etat d'un pays bien doté en ressources naturelles, Omar Bongo aurait pu présenter un bilan économique plus reluisant. Sans doute ! Mais vous devez savoir que pendant longtemps, l'Afrique centrale élargie aux pays des grands lacs, a réuni toutes les caractéristiques d'une poudrière. Et que ce Président était obsédé par l'idée de préserver le havre de paix qu'était le Gabon, quitte à négliger certaines nécessités économiques. Il revient à son successeur, et à la société civile mieux formée, de définir les nouveaux intérêts stratégiques du Gabon, et de déterminer les partenaires les mieux à même de les accompagner. Je pense qu'il faudra bien comprendre que la France est un partenaire historique qui a des intérêts légitimes à défendre, et que c'est au Gabon de redéfinir la part qui lui revient lorsqu'il concède l'exploitation d'une de ses richesses. Beaucoup de gabonais qui critiquent leur système politique contribuent souvent par leur laxisme et leur clientélisme à enraciner les dérives. Le nouveau Président aura besoin de leur contribution, par leur changement de mentalité, pour faire avancer le Gabon. Les pays d'Afrique noire, comme au Maghreb, sont ils condamnés a des successions dynastiques ? On est président de père en fils ? A mon avis, la transmission « dynastique » du pouvoir n'est pas à mettre au passif des seuls chefs d'états qui adoubent leurs enfants. Il y'a notamment dans le fonctionnement de la chefferie traditionnelle en Afrique, un tel attachement aux traditions et à ceux qui les incarnent, que l'électeur de base n'est pas loin de se persuader que le meilleur continuateur du père sera naturellement le fils. Si le fils en question est bien formé, est apte au management (je n'aime pas le terme « commandement ») et sait mettre à profit le système mis en place par son père, il a toutes les chances de lui succéder. Rien ne laisse à penser qu'un autre candidat aurait obtenu de meilleurs résultats au Togo que le Président Faure GNASSINGBE. Et si votre question laisse entendre que les dés sont pipés, il reste au peuple désormais très politisé, à changer les règles du jeu. Dans le cas du Gabon, par exemple, il est légitime de se demander pourquoi une élection aussi importante a lieu à un tour unique. Comment voyez vous l'avenir du Gabon ? (de façon large , condition de la femme , anecdote perso …etc. Au Gabon comme au Cameroun ou au CongoBrazzaville la femme s'est émancipée et elle joue un rôle politico-économique non négligeable. Elle prend une large part à l'éducation des enfants. Les filles sont encouragées à poursuivre des études supérieures. Le nouveau Président s'est engagé à promouvoir une culture de travail et de méritocratie. Il sera attendu sur ce terrain. Beaucoup de gabonais déplorent la concentration du pouvoir et des moyens de l'état dans les mains d'un cercle réduit de personnes. Il est souhaitable que le nouveau Président fasse appel à de nouveaux venus, jeunes et moins jeunes, femmes et hommes, pour insuffler une nouvelle dynamique à la machine Gabon. Il sera à l'honneur d'Ali Bongo de traiter ses adversaires, qui n'ont pas démérité, avec quelque égard. Il est de plus en plus souvent question, en Afrique, d'élaborer un véritable statut de l'opposition, pour prévenir les crispations et les querelles de préséance.