Certains titres de la presse arabophone s'érigent en gardiens de la morale et s'éloignent ainsi dangereusement des règles qu'imposent l'éthique et la déontologie. Elle quitte le terrain du journalisme pour se donner le rôle d'une police des mœurs semblable à celle du FIS. On assiste depuis un certain temps, notamment depuis le début du mois de Ramadhan, à des attaques en règle contre des Algériens qui n'observent pas le jeûne. Cette catégorie d'Algériens fait l'objet d'un lynchage à longueur de colonnes. Le dernier en date est le fameux « reportage » publié par le quotidien Ennahar, dans son édition d'hier, où il traite les habitants des Ouadhias « de voyous et de gens qui portent atteinte à la religion » et il va jusqu'à utiliser une terminologie propre aux groupes terroristes, (mortadine) « des renégats », pour le simple fait qu'ils ne font pas Ramadhan. Encore une fois c'est la Kabylie qui est ciblée. Après la fameuse campagne menée contre cette région sous prétexte qu'elle s'éloigne de l'Islam et se christianise, cette région est devenue la cible d'une campagne de dénigrement. Pourtant, la Constitution du pays garantit la liberté de culte et même l'Islam est clair là-dessus en assurant la liberté de culte, mais ces « journaux », qui s'érigent en conscience de la société, sont apparemment au-dessus de la loi. Leur seule loi c'est de semer la haine et l'intolérance. En des termes à la limite de la haine, le « reportage » en question décrit la région des Ouadhias comme une zone dangereuse qui menace les valeurs de la société. Le journaliste va jusqu'à « dénoncer » les jeunes à la police judiciaire. Fort heureusement, les agents de la police judiciaire n'ont pas réagi à l'interpellation de la journaliste. Contacté pour donner son avis sur cette façon de faire du journalisme, Mohamed Abbassa, expert en médias, se dit ne pas être étonné par une certaine presse qui passe son temps à distiller un discours aux conséquences fâcheuses. Il a estimé « qu'il ne s'agit pas de journalisme qu'exercent certains journaux, bien au contraire, ce sont des militants fanatiques, ce sont des gens comme ceux-là qui ont enfanté l'intégrisme et le terrorisme. Ce qui fait que cette presse est un vrai terrorisme, parce que ce sont eux les inspirateurs de l'intégrisme ». Le sociologue Nacer Djabi, dans une récente intervention, avait mis en garde contre « les valeurs dangereuses que véhiculent certains journaux de la presse arabophone ». Le journaliste Bouakba soutient, lui aussi, que « certains titres de la presse arabophone sont devenus un danger pour la société en jouant sur la religion pour attiser la haine. Ils le font avec hypocrisie, car les responsables de ces journaux ne font que dans la corruption et la affaires douteuses ».Sur le plan de l'éthique, M. Abbassa considère que ce type d'écrit journalistique comme « manquement à la vie privée des personnes et que le pouvoir doit agir pour mettre fin à ce genre d'écrits qui appellent à la haine et à l'intolérance », « c'est au niveau politique qu'il faudra agir et si on ne fait rien tout de suite cela va être dangereux pour la société », poursuit-il. M. Abbassa pense que le silence du pouvoir politique risque d'être interprété comme étant un silence complice. « Qui ne condamne pas consent, il faut interpeller le pouvoir qui les encourage », a-t-il dénoncé. Du point de vue juridique, écrire sur des gens en les citant nommément dans un article de presse, comme ce fut le cas du « reportage » de Ennahar, relève de la diffamation. L'avocat Khaldoun, du barreau de Tizi Ouzou, estime que « ce journal n'est pas à sa première dérive, ce qu'il écrit relève de la diffamation et les personnes citées ont le droit de porter plainte devant le juge ». Sont-ils encouragés par les pouvoirs publics pour se permettre de tels écarts ? C'est la question que se posent beaucoup d'observateurs. Une largesse qui renseigne sur une dérive politique d'un pouvoir qui ne cesse de flirter avec l'islamisme.