Rien ne symbolise sans doute le naufrage éthique de certains titres de la presse nationale que ce papier, pour reprendre un vocable en usage dans le jargon journalistique, d'un journal, le plus grand tirage de la presse nationale de surcroît, qui tombe à bras raccourcis sur un militant de longue date pour la démocratie et artiste de renom, Ferhat Mehenni, pour ne pas le citer, l'accusant de velléités de connivence avec l'Etat hébreu. Le combat du chanteur a beaucoup contribué pourtant, à l'insu de l'auteur fort probablement, aux libres épanchements d'aujourd'hui du canard. Un autre titre, aujourd'hui mis sous le boisseau, a barré sa une, au lendemain de la fameuse marche du 14 juin 2001 des archs de Kabylie, avec ce titre : “Les Mongols détruisent la capitale”. La télévision, relique de l'ère de la Pravda et imperméable au vent du changement, excelle toujours dans le travail, peu enviable, qui consiste à tordre le cou aux règles élémentaires de la déontologie et de l'éthique. Lors de la même marche, elle n'a pas manqué de commenter des images de jeunes manifestants, de retour en Kabylie, sur l'autoroute avec cette phrase qui en dit long sur l'arrière-pensée du “professionnel” : “Ils n'ont rien maintenant à faire qu'à retourner d'où ils sont venus !” Les immigrants africains sont souvent accusés par certains journaux, sans la moindre précaution sémantique, d'être à l'origine de certains maux, comme le sida, qui gangrènent certaines de nos contrées. Mais pas seulement. Des communiqués, notamment lorsqu'il s‘agit de la question sécuritaire, sont reproduits dans les médias sans que l'on daigne en vérifier la provenance. Un cas assez fréquent, à la télévision notamment, est celui qui consiste à dénoncer une situation ou à répercuter une information où interviennent deux protagonistes sans donner la parole à la partie incriminée. Dans la presse sportive, de nombreux journalistes se sont transformés carrément en supporters et en imprésarios de joueurs ou d'entraîneurs. En contreparties de quelques subsides, des journalistes s'emploient à promouvoir l'image de certains corps et certaines entreprises, s'interdisant de facto toute critique. Certains journalistes, pas nombreux heureusement, se livrent parfois au plagiat. Grâce à leur généreux arrosage, des annonceurs s'octroient même le privilège de dicter leur “orientation éditoriale”. Des papiers sont même commandés tandis que certains thèmes sont classés tabous. Une bonne partie de la presse arabophone dont les journalistes sont confits en culture islamiste, se délecte souvent de propos antisémites, et racistes. Mais à qui incombe la faute ? Loin d'être exhaustives, ces dérives ne sont rendues possibles que parce que, précisément, les entreprise de presse ont cessé, pour la plupart, de fonctionner selon les règles qui régissent la profession. Nombre de journaux se complaisent dans un fonctionnement beaucoup plus proche du mercantilisme que celui pour lequel ils ont été fondés : au service de l'information. “Il y a beaucoup de titres, c'est formidable, mais il n'y a pas beaucoup de journaux qui fonctionnent selon les règles de l'éthique et de la déontologie”, soutient Zoubir Souissi, président du Conseil national de l'éthique et de la déontologie, mis en place en 2000, mais inexistant depuis 2004, faute de financement, dit-il. Lancé grâce à l'initiative de journalistes, le Csed, aidé au début par le ministère de l'Information et certains journaux, et devant veiller à l'éthique et statuer sur certains problèmes, tout comme jouer le rôle d'arbitrage entre les médias et les citoyens ainsi qu'avec les autorités, a pu en l'espace de quatre ans statuer sur une cinquantaine d'affaires. Mais non reconnu par les pouvoirs publics, dépourvu de moyens financiers, il a cessé d'exister depuis 2004. “Je me suis toujours battu contre la censure, mais je constate aujourd'hui que certains journaux s'octroient le droit de refuser aux autres le droit de réponse”, regrette-t-il. Le respect de la vérité, le souci d'une information objective et vérifiée, la défense des valeurs d'équité, de justice et de liberté, l'engagement, la dénonciation des dérives et des atteintes aux libertés par les autorités, le rôle pédagogique de formation de l'opinion, le recyclage et la formation des journalistes, l'autocritique ont cédé le pas devant la quête du profit. Pris dans l'engrenage et dépourvus de conditions idoines à l'exercice de leur métier, des journalistes, même s'il existe encore des poches de résistance dans le maquis médiatique, se sont astreints au fonctionnariat. Cette situation qui a porté préjudice à la crédibilité de la corporation dans notre pays ne doit en aucun cas dispenser le pouvoir de son entière responsabilité, lui qui s'est appuyé sur cette même presse pour défendre la République contre le péril vert avant de la vouer aux gémonies. Par le harcèlement judiciaire, la corruption, le monopole sur la publicité, les pressions politiques et le favoritisme au détriment des règles claires de concurrence, il a perverti ce qui constitue l'un des fondements de la démocratie dont pourtant il se revendique. Mais malgré ses tares, ses insuffisances, ses dérives, la presse constitue paradoxalement aujourd'hui l'un des rares espaces où peuvent s'exprimer les voix de l'opposition, celles des militants des droits de l'homme et des “empêcheurs de penser en rond”. Fragilisée, fragmentée, sa survie dépend de sa capacité à se refonder, à se restructurer, à passer entre les mains de professionnels engagés en faveur de la démocratie et de la défense des libertés, mais surtout à s'astreindre aux règles qui régissent son fonctionnement d'autant que de nouvelles menaces, aujourd'hui universelles, comme le Net, pèsent sur son devenir. Seuls le respect strict du lecteur, la conviction que la liberté est un combat de tous les jours, et le respect d'un code de bonne conduite peuvent constituer les garants du sauvetage. De sa viabilisation et de sa noblesse.