Le groupe Yugurten qui, en quelque sorte, renaît de ses cendres, après un intervalle temps «mutique» d'une vingtaine d'années, a donc mis en vente, au printemps dernier, son 4e opus intitulé Tiwerdella (Invraisemblances). Yugurten, nom mythique du roi berbère de Numidie, est un groupe artistique comptant plusieurs albums de chansons kabyles, bien appréciées par les fans dès sa fondation à la fin des années 1960. Par engagement politique, identitaire et culturel, les membres de ce groupe, originaires de la région d'Azazga (Tizi Ouzou), se sont entendus pour l'adoption du nom de ce légendaire roi numide, mort dans une geôle à Rome, à laquelle il avait livré une guerre pendant des années à son époque, qui remonte à l'Antiquité. Le groupe Yugurten qui, en quelque sorte, renaît de ses cendres, après un intervalle de temps «mutique» d'une vingtaine d'années, a donc mis en vente, au printemps dernier, son 4e opus intitulé Tiwerdella (Invraisemblances). Cette absence de produits musicaux de Yugurten chez les disquaires, malgré le grand succès des trois précédents albums, tels que Aru (1979), Thafsuth n Prague (1982), et Aïni (1998), a fait que de nombreux jeunes mélomanes des nouvelles générations ignorent jusqu'à son existence. Les générations post-indépendance, notamment les militants de l'authenticité identitaire algérienne, gardent encore jalousement, chez eux ou en mémoire, les chansons et les musiques composées dans un style moderne typique au groupe. En cette époque, le style adopté par Yugurten paraissait nouveau, tant les mélomanes kabyles étaient habitués aux musiques traditionnelles des anciens chanteurs, à l'image de Slimane Azem, Taleb Rabah, Cherif Kheddam, H'nifa, Nora, Nouara…, puis Lounis Aït Menguellet, Idir… Yugurten a été fondé par de jeunes militants de l'époque, comme Mustapha Lahcene, Hocine Sadi, Mahfoud Boudjebla, Boualem Rabia, Smaïl Mensous, avant d'être rejoints, un peu plus tard par Abdallah Sahki. En écoutant la série de chansons de l'album Tiwerdella, édité au printemps dernier par la maison New Music de Mohand Allane d'Azazga, l'auditeur est vite plongé sans se «rassasier» dans de belles et nostalgiques musiques à la guitare sèche ou à la flûte, accompagnant des voix claires et douces d'hommes égrenant l'une après l'autre les 10 pistes, décrivant une multitude de situations (société, révolution, militantisme, histoire, etc.). Dans cet opus, on a aussi chanté la femme (Ahya am-umendil), repris des airs du patrimoine révolutionnaire (Aqli yi d-eg azzugen, Me voici à Azazga), la bienfaisance des hommes (At l'xir), avec un extrait en français décrivant «ces gens riches, sans argent, qui se nourrissent d'amour, ces gens cléments, indulgents et pleins de bravoure, ces gens qui plaignent l'indigent et volent à son secours, ces gens que ni l'océan, ni la mer, ni la glace, ni le désert ne stoppent en chemin, ces gens qui sillonnent toute la terre, sans limite ni frontière, pour tendre la main aux accablés de misère qu'engendre ce monde amer…». La musique et les paroles de ce texte sont de l'artiste Mohand Boularias. On ne se fatiguerait pas non plus à l'écoute du titre Taqbaylit, un texte hommage à la femme kabyle (Nouara), écrit par A. Sahki et M. Lahcene, ou Amedyaz arehwi, adaptation de Le poète vanneur, de Tahar Djaout. Le parcours du groupe Yugurten a commencé au début des années 1970 avec la troupe artistique communale d'Azazga. Les membres de ce groupe se rapprochèrent alors des animateurs du Foyer de jeunes (FAJ) de la ville, qui leur offrirent une salle pour des répétitions. C'est là que germa l'idée de donner le nom de Yugurten à leur groupe. En 1976, ce dernier prend part à la fête des cerises de Larbaâ Nath Irathen, une occasion qui lui permettra de voir sa musique choisie par la radio française Monte-Carlo pour illustrer une émission consacrée à la Kabylie. En 1978, le groupe produisit sur disque, artisanalement, un enregistrement qui fut remis à Chérif Kheddam, alors animateur à la Chaîne II (kabyle) de la Radio nationale. Celui-ci proposa la bande à la maison d'édition Les artistes arabes associés (chez Hachelaf), sise à Paris. Celle-ci édita alors un 33T plus une cassette. En 1980, avec la répression du pouvoir de l'époque contre les revendications identitaires berbères, le groupe produisit encore Thafsuth n Prague (Printemps de Prague), édité à la maison Numidie Music, basée en France. Toujours aux premières loges du combat pour les libertés démocratiques, la promotion de la langue et de la culture berbères, les membres du groupe furent arrêtés, au printemps 1980, à Azazga, alors qu'ils revenaient de France, en compagnie de Mouloud Mezache, l'éditeur qui avait lancé Malika Domrane, Sofiane, Hamidouche, le groupe Syphax, etc. Incarcérés à Alger sous le chef d'inculpation de «meneurs pour la région d'Azazga», les membres du groupe Yugurten étaient en plus en possession de tracts du Mouvement culturel berbère (MCB), de coupures de la presse française relatant les événements, ainsi que d'un recueil de poésie kabyle de Abdellah Mohia, intitulé Mazal l'xir ar zzat. Yugurten produira un autre album intitulé Aïni, sous forme de CD, toujours chez Hachelaf, à Paris, en évocation de la grand-mère de l'illustre poétesse Taos Amrouche, ainsi qu'une compilation en CD de ses deux premiers albums. Décidément, c'est un groupe qui compte une riche histoire et un long parcours, même s'il est «limité» dans l'édition à juste quelques albums.