Alors que le ministre de l'Education nationale, Boubekeur Benbouzid, « souhaite » une rentrée en rose, les parents et les élèves la voient plutôt en noir. Premier couac d'une année scolaire qui commence mal : le manque angoissant d'enseignants dû en grande partie à l'ajournement des concours de recrutement. Conséquence : beaucoup d'élèves seront privés d'enseignants et, dans certains cas, les directeurs procéderont à la fusion des classes pour pallier cette défaillance. Ce qui, malheureusement, engendrera des classes de 45 élèves et plus. De sources syndicales, le déficit en matière d'enseignants est de 20%. Le chargé de la communication au ministère de l'Education nationale parle, lui, d'un manque de 15 000 postes budgétaires ; les besoins se chiffrent à 10 000 enseignants et 5000 encadreurs administratifs. Les responsables du ministère accusent la Fonction publique de ne pas jouer le jeu. Les concours de recrutement, qui auraient dû avoir lieu en mai dernier, ont été reportés à octobre prochain, pénalisant ainsi les élèves qui devront attendre plusieurs semaines pour débuter les cours. Un déficit qui vient compliquer davantage la crise de l'encadrement pédagogique que connaît le secteur depuis des années. De l'avis de beaucoup d'experts, « un nombre important d'enseignants souffrent d'un manque flagrant de niveau ». Même si le ministère en a pris conscience, il reste que les recommandations de la commission Benzaghou – s'agissant de la mise à niveau et du recyclage permanent du corps enseignant – ne sont pas prise très au sérieux. Toujours au plan pédagogique, les spécialistes mettent en cause les méthodes d'enseignement. « On fait dans le bourrage de crâne. Nous formons des médiocres car nous n'avons jamais mis l'élève au centre de tous les débats. Ils peuvent nous raconter toutes les histoires qu'ils veulent, l'école algérienne est sinistrée », assure un ancien conseiller au ministère de l'Education. La politique prend le pas sur les choix adoptés par l'éducation nationale. Prenons l'exemple de l'introduction des langues étrangères dès les premières années de scolarité. Cette autre recommandation de la commission Benzaghou bute sur des résistances qui ont la peau dure dans les cercles décisionnels. Certains experts parlent de veto opposé par le président de la République qui a cédé aux pressions des conservateurs. Pourtant, les recherches montrent que l'apprentissage précoce d'une langue étrangère en milieu scolaire devient nécessaire, car il favorise l'acquisition du langage, le développement cognitif en général et les autres apprentissages. Ainsi les décideurs, semble-t-il, veulent que l'école demeure cet appareil idéologique de l'Etat, qui ne doit servir qu'à reproduire le discours dominant. Pas question d'inculquer à l'enfant algérien un esprit d'analyse et de synthèse et donc un esprit critique. Tout le monde le pense tout bas dans les institutions de l'Etat elles mêmes où les cadres de l'éducation reconnaissent l'échec des réformes. Le front social, même si le ministère tente de calmer les esprits et de rassurer en avançant la réalisation de nouvelles infrastructures, n'est pas près de se calmer. Les syndicats promettent une rentrée chaude et observent d'ailleurs une journée de contestation aujourd'hui même : le Conseil des lycées d'Algérie (CLA) bat le rappel de ses troupes est appelle au boycott de la rentrée ; les adjoints de l'éducation font de même ; les autres syndicats autonomes se mettront certainement de la partie. Un avertissement qui donne un avant-goût de ce que va être l'année scolaire 2009-2010. De l'avis des différents syndicats, cette année, l'école sera rythmée au cycle des grèves et des protestations. Tous les ingrédients d'une rentrée mouvementée sont réunis, a assuré le coordonnateur du Cnapest, Nouar Larbi. « La rentrée s'annonce mal. Elle sera marquée par une détérioration du niveau de vie des enseignants », poursuit-il. Même impression chez les syndicalistes du CLA dont le premier responsable, Mohamed Boukheta, ne cache pas son pessimisme quant à la manière avec laquelle les affaires sont gérées, en disant : « Nous avons l'impression que l'on ne prend pas les choses très au sérieux. Des décisions sont prises à la hâte, sans consultation ni réflexion préalables. Prenons la question du nouveau week-end. Il est irrationnel de consacrer deux jours et demi de repos par semaine sous prétexte que le vendredi est sacré. Alors qu'on pourrait bien ouvrir les écoles les matinées du vendredi, sachant que rien ne dit que cette journée est sacrée. Le mieux aurait été d'alléger les journées de travail. On fait dans la démagogie. » Du côté de l'Unpef, on ne peut qu'être d'accord avec ce constat. Son porte-parole, Messaoud Amraoui, estime que « la rentrée sera dure pour les élèves, leurs parents et pour nous, les enseignants, même si le ministère tente de fournir un effort pour améliorer les choses, mais cela reste insignifiant par rapport aux multiples problèmes dans lesquels se débat le secteur ». En somme, M. Benbouzid, qui veille aux destinées des enfants algériens pour la onzième année, annoncera aujourd'hui, sans doute, une rentrée en grande pompe, s'obstinant à ne pas voir ni affronter cette réalité désastreuse.