Le formidable potentiel de la Nation est sacrifié, non pas en raison d'une simple mauvaise gouvernance, mais par la persistance d'un système de pouvoir déstructurant, et de la société et de son économie. Combien de cadres brillants contraints de quitter leur pays pour aller exercer leurs compétences et leurs talents sous des cieux ou l'intelligence est la première des ressources ? Combien de hauts fonctionnaires compétents sont prisonniers d'un système absurde, insupportable, qui les assujettit au diktat d'un personnel politique dirigeant incompétent, corrompu et arrogant ? Cette révolte sourde dont s'échappent quelque- fois des murmures est d'égale intensité que celle, plus visible et plus expressive, de ces jeunes qui, excédées devant des horizons bouchés, expriment, parfois avec violence, leur colère. Quand ils ne risquent pas leurs vies pour fuir leurs pays dans des embarcations de fortune. Un pouvoir autiste Pourtant, à la veille de la commémoration du cinquantième anniversaire du recouvrement de la souveraineté nationale, le pouvoir et la «grande famille révolutionnaire» ne manqueront pas de s'auto-glorifier en entonnant ce refrain inaudible pour le peuple algérien des «grandes réalisations de l'Etat Algérien». Peu importe les réalités. Ce pouvoir autiste se moque royalement des enquêtes menées par des organismes mondiaux, à la crédibilité incontestable, et qui classent l'Algérie dans la zone rouge des pays mal gouvernés, où la corruption est endémique, les libertés bafouées et le mal-vivre criant. Assis sur une gigantesque manne financière, les cercles décisionnels s'enferment dans cette certitude, qui confine à de l'inconscience, que leur système est inébranlable et que le contrôle de la société par la bureaucratie politico-financière et les «appareils de sécurité» bloque l'émergence de forces politiques et sociales alternatives. Un aveuglement qui fait fi des bouleversements géopolitiques que connaît le monde arabo-berbère. Un Pouvoir contre la Nation L'Algérie, exemple de lutte de libération, est aujourd'hui sérieusement fragilisée et particulièrement exposée aux contrecoups d'un ordre mondial en décomposition-recomposition. Il est totalement faux, et même dangereux, de prétendre que notre pays est à l'abri des retombées de la crise du système financier international alors qu'il n'évolue pas en marge de l'économie mondiale et que les banques algériennes sont inscrites dans les transactions financières internationales. Et ce n'est en rien exagérer, en l'absence d'une volonté politique de changement, que de mettre en garde contre un processus de dislocation nationale, sous l'effet combiné de forces antinationales agissant de l'intérieur et de l'extérieur. Les pratiques régionalistes, tribales et les tentations séparatistes ne sont pas une vue de l'esprit et offrent un terrain fertile aux aventuriers et aux revanchards. L'Algérie ne peut plus continuer, au risque de se désintégrer, à être l'otage de l'improvisation politique et d'une obsession pathologique à conserver quoi qu'il en coûte le pouvoir et les privilèges. «Tout pouvoir sans contrôle rend fou», disait le philosophe Alain. Cela fait du pouvoir algérien un facteur potentiel de déstabilisation nationale, voire régionale. Démocratie et stabilité Le satisfecit accordé par les grandes puissances de ce monde à des pseudo-réformes qui ne lèvent pas l'épée de Damoclès qui pèse sur la société ne fera qu'aggraver l'impasse politique et accentuer les dérives. La recherche de la stabilité à tout prix, selon une démarche qui se prétend pragmatique, mais qui tendrait à sacrifier le processus démocratique est une vision courte, loin de tirer les leçons des «révolutions» arabes. Le soutien, notamment des autorités françaises, est davantage dicté par une perception, hélas encore largement imprégnée par l'idéologie coloniale, que par une vision plus conforme aux aspirations populaires du peuple algérien en particulier, et maghrébin en général, et soutenue par une diplomatie débarrassée des clichés et stéréotypes culturalistes. Ces puissants partenaires de l'Algérie finiront-ils par admettre que le passage d'un système clientéliste et corrompu, fondé sur la privatisation de la rente et une gestion policière de la chose politique, à un système politiquement efficient basé sur un mode démocratique d'intégration politique est l'unique garantie d'une stabilité durable, propice à de justes échanges économiques en Méditerranée ? Le leurre islamiste Les prochaines échéances électorales, susceptibles, dans la dynamique du «printemps arabe», d'offrir une opportunité pour relancer le processus démocratique, risquent de ne pas déroger au rituel des faux scrutins que connaît l'Algérie depuis janvier 1992. Aucun «signe» d'un changement d'approche politique de la part des décideurs n'est perceptible. Les stratégies à l'œuvre plaident tout le contraire. En laissant suggérer une probable victoire des islamistes, les décideurs veulent signifier aux puissants de ce monde que l'Algérie est maintenant prête à en finir avec les «élections à la Neagelen» et à mettre, s'il le faut, en conformité l'Algérie avec le «nouveau standard politique arabe». Le ministre des Affaires étrangères est chargé d'ailleurs de convaincre que l'Algérie est parfaitement en phase avec les nouveaux changements géopolitiques et stratégiques et que l'armée observera une stricte neutralité. Cette instrumentalisation de l'islamisme pour enrayer la démocratisation du pays en neutralisant les forces démocratiques est devenue la grande spécialité des officines du pouvoir. Elle cherche aujourd'hui, dans la foulée des victoires électorales islamistes, à se dissimiler derrière la force de l'«évidente réalité» ! En effet, un regard superficiel sur la réalité algérienne peut laisser penser à une islamisation croissante de la société. La multiplication des signes religieux ostensibles décrite savamment par d'apprentis sociologues comme étant des signes d'un activisme intégriste peuvent s'avérer néanmoins trompeurs. Le simple regain de «religiosité», conséquence d'une crise morale et psychologique, ne signifie pas pour autant une adhésion à une idéologie islamiste, que beaucoup d'Algériens tiennent, au même titre que le pouvoir, pour responsable de la «sale guerre». A l'ère de la révolution numérique, les Algériens et les Algériennes ne peuvent être tenus à l'écart des transformations dans le monde. Les jeunes Algériens, diplômés ou non, aspirent eux aussi à prendre leur part du progrès humain et technique. L'attachement à leur identité plurielle, – amazighe, arabe et musulmane-, n'est aucunement un obstacle à leur immersion dans la modernité. Quelle alternative ? Les arrangements d'appareils, les connivences maffieuses et les leurres sophistiqués orchestrés à l'approche des élections législatives n'ont pour unique objectif que de tenter de priver, une fois de plus, une fois de trop, le peuple algérien de l'exercice de ses droits fondamentaux et de libre choix de ses représentants. La décision de participer ou de boycotter ce scrutin ne doit pas être appréciée à l'aune d'illusoires garanties que donnerait le pouvoir quant à la sincérité du scrutin, mais en lien avec les dynamiques de changement au Maghreb et ailleurs et à l'absolue nécessité d'isoler les partisans du chaos. Face à un système historiquement condamné et dangereux pour la cohésion nationale, qui n'a que la violence, la corruption et la manipulation à opposer aux forces du changement, il convient de redonner du sens à la parole et à l'action politiques, à contribuer à l'émergence d'une culture citoyenne et à la reconstruction d'un espace politique et social autonome. C'est cela être révolutionnaire aujourd'hui ! Il convient donc d'en finir avec le verbiage idéologique, avec ce discours, pro ou antipouvoir, qui se résume à s'égosiller à débiter des slogans creux, à surfer sur les frustrations et à flatter les instincts les plus basiques. L'alternative démocratique est l'axe stratégique de la radicalité politique, et non pas du radicalisme populiste.