vendredi 28 janvier 2011, 16:00 In Facebook Il y aura un avant et un après révolution démocratique tunisienne. Un vent de révolte souffle dans le monde arabe, une lame de fond insurrectionnelle ébranle les pouvoirs arabes et déstabilise les élites dirigeantes occidentales. Une sorte de contagion affective et morale gagne progressivement les esprits et les cœurs. Reste à la convertir en une contagion politique démocratique et sociale. Mais on peut déjà se risquer à affirmer que le mouvement irrépressible vers la liberté, le droit et la justice ne saurait être contenu par des petites mesures sociales de baisse des produits de première nécessité comme annoncées, dans l'affolement, par des régimes illégitimes. On ne peut séparer la revendication sociale de l'exigence démocratique. Incontestablement, nous vivons un moment politique important qui va nécessairement bouleverser des sociétés écrasées par l'autoritarisme et la corruption. En brisant le mur de la peur, en la faisant changer de camp, le peuple tunisien a ouvert la voie à de grands changements politiques dans des pays jusqu'alors condamnés à reproduire des impasses historiques. Une leçon de maturité et de courage politiques est administrée aux élites politiques et intellectuelles, sommées aujourd'hui de sortir d'une profonde léthargie pour penser l'avenir démocratique. Attention aux leurres ! Une lourde responsabilité pèse sur les représentants de l'opposition réelle en Tunisie. De sa détermination à mener le processus révolutionnaire à ton terme dépendront, en grande partie, les ruptures politiques dans les pays soumis à la dictature. Et de sa capacité, surtout, à ne pas se laisser enfermée dans le slogan réducteur « Ben Ali dégage ! » et de ne pas se laisser piégée en précipitant des échéances électorales qui accoucheront au mieux d'une démocratie de façade. Oui, il faut bien rendre justice aux victimes de la dictature policière et poursuivre en justice les responsables. Oui, il faut exiger la restitution des biens du peuple, spoliés et détournés par le clan qui a gangrené et fait main basse sur l'économie. Mais l'accomplissement de la révolution démocratique exige une rupture radicale avec les bases mêmes du système Ben Ali. C'est ce que propose l'opposant historique Moncef Marzouki, ainsi que d'autres, en exigeant, notamment, l'élection d'une Assemblée constituante. Une revendication qui, curieusement, n'est pas reprise en Algérie par les partis, les collectifs et autres coordinations. Ces derniers se limitent à revendiquer, légitimement au demeurant, la levée de l'Etat d'urgence sans proposer une démarche politique de rupture avec le système. Faut-il souligner, une fois encore, que pour des raisons politico-historiques, spécifiques à l'Algérie, l'Armée est au cœur du système. Comment imaginer un changement radical sans indiquer la nature et le contenu de la transition démocratique qui imposerait une séparation nette entre le politique et le militaire ? Les coalisés de l'intérieur et de l'extérieur La révolution n'est pas un long fleuve tranquille. Les forces de la restauration autoritaire, extérieures et intérieures qui agissent de concert pour la dévoyer ne vont pas désarmer. Le pouvoir impérial oligarchique, ce réseau mondial de dirigeants politique, économique, financiers et médiatiques, ne supporte pas l'idée de l'avènement des peuples en tant qu'acteur politiques et historiques, agissant pour la reconquête de leurs droits politiques, sociaux et culturels. Il trouvera toujours des prolongements internes, de nouveaux gardes-champêtres du néocolonialisme, pour conserver ses intérêts. Une vigilance accrue permettra de déjouer les stratégies du chaos et les fausses alternatives, à l'instar de l'hypothèse El Baradei, suggérée probablement par les Américains aux égyptiens. Face aux doutes et aux hésitations qui ne manqueront pas de surgir, il est une certitude : La révolution démocratique en Tunisie va libérer un processus historique, à la fois politique et intellectuel. Le peuple Tunisien, et en cela il en est le précurseur, n'a pas simplement chassé un dictateur, il a ouvert la voie à une déconstruction du système de pensée en vogue ces dernières décennies. Ouvrez-vous sur la société, mais pas trop ! Le « danger islamiste » qui sert de prétexte au soutien inconditionnel accordé aux dictateurs ne vise en définitive qu'à dessaisir les peuples de leur souveraineté politique et économique et du droit fondamental de s'ingérer dans ses propres affaires ! Bien sûr, il y aura toujours des médias, des analystes et autres spécialistes autoproclamés du monde musulman qui exploiteront le moindre fait divers ou encore telle déclaration d'un chef islamiste pour laisser planer dans les esprits la « menace intégriste ». En d'autres termes, ces mauvais conseilleurs nous diront : d'accord, ouvrez-vous sur la société, mais pas trop ! Au mépris de leur propre principes et valeurs, dont ils font un usage à géométrie variable, ils feignent d'ignorer que les hommes et les femmes, quelques que soient les contingences liées à l'histoire, la culture ou la religion, aspirent avant tout à la liberté, au respect de leurs droits fondamentaux et aux pluralismes. La pseudo « soumission volontaire » à l'autoritarisme des peuples arabes, berbères ou africains n'est pas inscrite dans les gènes de leurs cultures ou de leur religion ! Prétendre le contraire relève ni plus ni moins que du racisme. Ces adeptes du relativisme politique, inspirés par les « théologiens » de la postmodernité, agissent en réalité en missionnaire de l'ordre mondial trans-étatique pour pérenniser l'hégémonie et la domination occidentale. Confessionnaliser et ethniciser les conflits sociaux et politiques, dans le monde, est pour ces stratèges du désordre et du chaos le moyen le plus efficace pour enrayer l'émergence d'un mouvement social et démocratique planétaire. L'idéologie européocentrisme, dominante chez les élites de droite comme de gauche, participe de la même finalité. Pour elle, la philosophie des lumières et le rationalisme qui ont accouché du progrès social et de la démocratie sont inscrits dans une soi-disant tradition judéo-chrétienne, – une construction politico-idéologique sans pertinence historique -, dans le but de minimiser voire de nier carrément l'apport décisive de la pensée islamique dans l'avènement de la modernité en occident. Une autre façon d'interdire aux masses musulmanes tout accès vers la modernité politique Les Lumières brilleront au Sud La révolution démocratique, en tant que rupture historique, doit absolument s'accompagner d'une véritable révolution intellectuelle. Il s'agit pour nos élites de se réapproprier cette part d'héritage historique. Les Lumières et l'Humanisme ne sont pas l'apanage des européens et des américains ! Il est grand temps de se saisir de la réflexion sur l'Islam et de ne plus l'abandonner aux « théologiens » officiels, ces fonctionnaires de la religion, grassement rémunérés par les régimes autoritaires et corrompus, ou encore aux millénaristes et autres charlatans. Aussi paradoxale que cela puisse paraître, c'est au moment ou ces principes sont piétinés et bafoués en Occident même, sous l'action dévastatrice du néolibéralisme, qu'ils resurgissent et en Tunisie et, nous l'espérons, dans tout le Maghreb et partout ailleurs dans le monde ou sévissent des dictatures moyenâgeuse et des régimes néolibéraux symbolisés par l'alliance de la finance et de la guerre. * Samir Bouakouir : Démocrate de gauche algérien, ancien dirigeant du FFS. Lectures: