L'assassinat, lundi à Beyrouth, de l'ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri a, entre autres, conséquences, servi de révélateur de la société libanaise puisque toutes les confessions se sont associées à l'hommage qui lui a été rendu mercredi. C'est apparemment, aussi, le point de départ qu'a choisi l'opposition libanaise pour exercer des pressions sur le gouvernement de Omar Karamé qui avait succédé à ce poste à Rafic Hariri qui en avait démissionné en raison de divergences sur un amendement constitutionnel qui allait permettre au président sortant, pourtant en fin de mandat et sans possibilité d'en briguer un autre, de se maintenir à son poste. C'est ce qui avait suscité à l'époque une contestation de l'opposition, mais aussi un tollé extérieur qui allait vite prendre la forme d'une campagne franco-américaine aboutissant à une résolution du Conseil de sécurité demandant notamment le retrait des troupes étrangères, c'est-à-dire syriennes, Israël étant supposé ne plus avoir de présence militaire dans ce pays, ce qui est faux, et le désarmement des milices, et là ce point vise le Hezbollah qui conduit la résistance libanaise contre l'occupation israélienne. De son vivant, Rafic Hariri ne cessait de rendre hommage à ce mouvement. Plus que cela, les présidents américain et français s'apprêtent à consacrer une partie de leurs prochaines discussions à la question libanaise. Alors que la pression se fait de plus en plus forte, le ministre de la Défense libanais, Abdel Rahim Mrad, a accusé hier le président français Jacques Chirac d'avoir encouragé l'opposition à « l'escalade » lors de sa visite privée au Liban pour présenter ses condoléances à la famille de l'ex-Premier ministre assassiné, Rafic Hariri. « Lorsque le président Jacques Chirac est venu au Liban, il a complètement ignoré le gouvernement, le président de la République et tout le monde », a déclaré M. Mrad à la télévision officielle Télé-Liban. « Puis il est venu pour accuser, aider l'opposition à l'escalade et encourager l'opposition à l'escalade », a-t-il dit. Quant à l'opposition libanaise, elle a annoncé vendredi soir un « soulèvement pour l'indépendance » et réclamé un « gouvernement de transition » qui assure le retrait syrien, ce qui a été qualifié de « projet de coup d'Etat contre le pouvoir » par le Premier ministre libanais Omar Karamé. « En réponse à la politique criminelle et terroriste des autorités libanaises et syriennes », l'opposition libanaise a « (déclaré) un soulèvement démocratique et pacifique pour l'indépendance », à l'issue de sa première réunion plénière après l'assassinat de Rafic Hariri. « La formation d'un gouvernement transitoire est une nécessité nationale absolue » et sa tâche est « d'assurer un retrait immédiat et total de l'armée syrienne, en préambule à la tenue d'élections législatives libres et honnêtes », a ajouté un membre du Comité de suivi de l'opposition, Samir Frangié, rendant compte des décisions de cette rencontre. Le texte a été rendu public au domicile du député et chef druze Walid Joumblatt, principale figure de l'opposition, absent, « pour des raisons de sécurité », de la réunion qui a eu lieu dans un grand hôtel proche de Beyrouth. Les députés de l'opposition, qui occupent le tiers des 128 sièges du Parlement, ont en outre décidé de ne plus participer aux travaux ordinaires de l'Assemblée « avant la tenue d'une séance plénière destinée à débattre de la série d'assassinats ». Le député et ancien ministre Marwan Hamadé, très proche de M. Joumblatt, a échappé à un attentat à l'explosif en octobre dernier dans le même secteur où a été visé Rafic Hariri. Le député et ancien ministre Bassel Fleyhane a, pour sa part, été très grièvement blessé dans l'attentat contre Rafic Hariri, et se trouve hospitalisé à Paris. L'opposition a souligné son « refus de considérer (l'assassinat de Rafic Hariri) comme un crime comme un autre et de reprendre une vie politique normale ». Elle a ainsi décidé la « suspension de tout débat politique ou juridique avant que la vérité ne se fasse ». Elle a également exprimé son « attachement à une commission internationale d'enquête », supervisée par les Nations unies, sur l'assassinat de Rafic Hariri, conformément au souhait du Conseil de sécurité de l'Onu. Le Conseil de sécurité de l'Onu a condamné mardi l'attentat « terroriste » contre Rafic Hariri, demandant un rapport sur ces circonstances et un retrait des troupes syriennes du Liban, conformément à la résolution 1559 qu'il a adoptée en septembre. Le Premier ministre Omar Karamé a justifié vendredi la présence de l'armée syrienne au Liban, réaffirmant la volonté du gouvernement de « dialoguer » avec l'opposition. « L'armée syrienne (au Liban) compte actuellement 14 000 hommes. ça ne change rien à la situation », a-t-il dit. Et d'ajouter : « La Syrie dit elle même qu'elle ne va pas rester indéfiniment ici. » Critiquant les positions en flêche de l'opposition contre la Syrie, M. Karamé a estimé qu'il fallait discuter d'un départ des troupes syriennes « sans esprit de défi » et conformément aux accords de Taef (ville d'Arabie Saoudite) qui avaient fixé en 1989 les modalités d'un retrait par étapes de l'armée syrienne. Le ministre de l'Intérieur Soleiman Frangié a cependant averti l'opposition que l'Etat ne restera plus désormais les bras croisés en cas de troubles publics sous prétexte de « soulèvement pour l'indépendance ». Lors du débat constitutionnel, l'opposition avait affiché ses intentions, mais aussi ses limites, ce qui avait encouragé le pouvoir à aller jusqu'au bout de ses projets. Qu'en sera-t-il cette fois ?