Le réalisateur se confie sur ses derniers films et son départ pour les USA où quatre projets de films l'attendent dont un sur Angela Davis. La plupart de vos films se situent hors de France et s'inscrivent dans un dialogue des cultures, pourquoi ? En fait, je ne me pose jamais la question en ces termes, car je fais en sorte que mes personnages se déplacent dans le temps et dans l'espace. J'aime évoluer dans un ailleurs que je ne connais pas ou mal. Quand je filme les rues de Londres, ses décors, je fais mes repérages de manière à éviter le côté carte-postale et touristique. D'emblée, je savais que je pouvais planter ma caméra à Finnsbury Parc, sorte de petite Algérie. La boucherie, les commerces… Nombre d'Algériens vivent là et je m'y suis senti comme un poisson dans l'eau dès lors que j'y ai retrouvé des références culturelles qui sont les miennes. Le fait d'opter pour un personnage musulman et africain (Sotigui Kouyaté) est pour moi un choix volontaire, compte tenu de l'image négative du musulman véhiculé dans le monde occidental, notamment au lendemain des attentats de Londres. Quant au personnage de la mère anglaise, elle se retrouve à découvrir que sa fille vit au-dessus d'une boucherie algérienne en plein cœur de la communauté musulmane. S'est-elle convertie ? On ne le sait pas… Qu'est-ce-qui vous a le plus inspiré ? Le contexte des attentats et ce qu'il génère au plan de la douleur, ou la rencontre de deux personnages que tout sépare ? Au fond, ce qui les sépare c'est un fossé de méconnaissance, d'ignorance, surtout du côté d'Elisabeth, anglaise, chrétienne, qui va découvrir au contact d'Ousmane - même si, par moment, c'est violent pour elle - la tolérance et l'humanité de cet homme. Il y a aussi l'aide et la solidarité que lui apportent les Algériens du quartier. En exil, à l'étranger, on est d'autant plus soudés, surtout face à des évènements aussi tragiques que des attentats terroristes qui remettent en cause leur vie, leur statut, leur religion et ce, dans un pays où ils sont installés. A mes yeux, le sujet principal du film, c'est la rencontre de ces deux mondes, de ces deux univers, de ces deux parents qui ont les mêmes angoisses et les mêmes espoirs. Le film aurait d'ailleurs pu s'intituler Une rencontre… Mais c'est aussi un film policier, mes deux personnages se muant en détectives contraints de collaborer pour réunir les indices leur permettant de retrouver leurs enfants. A l'inverse d'Indigènes qui s'inscrit dans un cinéma de genre, en l'occurrence le film de guerre, on a l'impression que London River prend des distances avec des références cinématographiques.. C'est vrai qu'avec ce film, il n'y a pas de genre à proprement parler. Ma conception n'a pas d'équivalent cinématographique. Par exemple, on a rarement vu deux pseudos détectives ayant ce profil singulier au cinéma. En sortant d'Indigènes, film très construit où les codes narratifs sont ceux propres aux films de guerre et aux westerns, tels Les 7 mercenaires où les héros viennent au secours d'une population menacée et qui figure la dernière scène d 'Indigènes. Pour London River, je voulais un scénario inachevé dans ses scènes, de manière à disposer d'une grande liberté dans le tournage et faire que le récit évolue au jour le jour, d'où un filmage dans la continuité chronologique … Quid de la sortie en Algérie ? Le 13 mars, London River a été projeté une semaine à Alger. Il y a eu aussi une avant-première au Mougar en avril, en présence du président de la République. Aujourd'hui, le film est sorti à Alger, en même temps qu'en France (le 23 septembre) à quelques jours près. Un mot sur Hors-la-loi* en tournage depuis août dernier et jusqu'à décembre prochain. S'agit-il bien d'une suite à Indigènes ? En fait, il s'agit plus d'une suite historique à Indigènes plutôt qu'une suite proprement dite. Cette deuxième partie du diptyque démarre en 1935 par l'expropriation d'une famille paysanne de la région de Sétif. Les trois fils (Djamel Debbouze, Roschdy Zem et Sami Bouajila) vont traverser dix ans plus tard les tragiques évènements du 8 Mai 45 à Sétif, car, entre temps, la famille s'est implantée dans les faubourgs de la ville. La suite, ce sera l'odyssée de ces trois frères qui vont vivre différents drames et évènements qui culmineront avec La bataille de Paris menée par la 7e wilaya. Et si pour Hors-la-loi référence cinématographique il y a, je citerai Il était une fois l'Amérique de Sergio Leone (1983) et Le Parrain de Francis Ford Coppola (1972). Après Hors-la-loi, on parle beaucoup à votre sujet d'un départ aux Etats-Unis pour plusieurs années. Qu'en est-il ? En effet, après ce film, je vais me pencher sur les rapports entre le monde arabe et l'Amérique. Trois films sont prévus sur ce thème. Ils sont en partie déjà écrits et se déclineront en deux comédies (ndlr : une grande première pour Bouchareb) et une comédie dramatique. Enfin, un quatrième volet est en cours d'écriture avec le romancier Yasmina Khadra. Il s'agira de la biographie d'Angela Davis, icône révolutionnaire de cette période sur fond d'histoire des Black Panthers. Je rappelle qu'Angela Davis a souvent côtoyé des militants algériens à Paris, du côté de Barbès, et inutile de dire que cet aspect-là m'a particulièrement interpellé… * Hors-la-loi est également coproduit par l'Algérie, via l'AARC.