«Le partenaire étranger (Renault) a considéré que le lieu proposé pour l'implantation de l'usine est loin du bassin de l'emploi et qu'il n'offrait pas les opportunités nécessaires», a déclaré Mohamed Benmeradi, ministre algérien de la Promotion de l'investissement, cité par l'APS, le 25 avril 2012, ne voulant pas dire explicitement que ce projet est abandonné. Cela confirme mes appréhensions dans plusieurs contributions parues aux niveaux national et international, courant 2008, suite à une autre déclaration irréaliste de l'ancien ministre de l'Investissement. Pourtant, le même ministre avait affirmé, lors de la visite du Premier ministre Jean Pierre Raffarin, les 1 et 2 février 2012, qu'une usine de voitures en Algérie d'une capacité de 75 000 voitures par an verrait le jour fin 2012. Ce ministre n'est pas à une contradiction près pour d'autres dossiers, au même titre d'ailleurs que son prédécesseur qui a géré le portefeuille de l'investissement et de la privatisation pendant plus de 8 années, montrant une incompétence flagrante préjudiciable à l'image de l'Algérie tant au niveau local qu'international. Comment ne pas rappeler les déclarations fracassantes des officiels à la télévision publique ENTV qui, en sept années, nous ont annoncé successivement une voiture à 100% algérienne, italienne, puis une voiture iranienne, puis une voiture chinoise, puis une voiture allemande, puis une voiture sud-coréenne, et maintenant on annonce l'échec d'une voiture de montage française. Hélas, les contraintes internationales sont là face aux mutations mondiales. Comment a-t-on pu imaginer que Renault se ferait concurrence après avoir investi à Tanger et a-t-on analysé les ententes oligopolistiques entre les grands constructeurs ? En effet, inaugurée le 9 février 2012, par le P-DG de Renault Nissan qui a investi plus de 1 milliard de dollars, Carlos Ghosn, l'usine Renault de Tanger (Maroc) produira 170 000 véhicules par an sur une ligne de montage où trois équipes vont se relayer 24 heures sur 24. Une seconde ligne, prévue en 2013, devrait porter la production à 400 000 véhicules. D'où ce problème central pour toute maturation de projet : au sein d'une économie ouverte où l'on ne peut interdire l'importation, une usine de voitures algérienne de 75 000 unités permet-elle d'atteindre le seuil de rentabilité, objet de cette contribution, où j'ai recueilli l'avis de spécialistes ? I- le marché mondial de voitures : un marché oligopolistique 1.- Le constat, bien que la situation soit évolutive, est que le marché de voitures est un marché oligopolistique, en fonction du pouvoir d'achat, des infrastructures et de la possibilité de substitution d'autres modes de transport, notamment le collectif spécifique à chaque pays selon sa politique de transport. Il a connu, depuis la crise d'octobre 2008, d'importants bouleversements, les fusions succédant aux rachats et aux prises de participation diverses. A l'heure actuelle, les plus grandes multinationales sont General Motors, qui a été en novembre 2010 recotée en Bourse après s'être retirée pour une profonde restructuration, Volkswagen et Nissan/Renault, Chrysler, FIAT, Honda, Mitsubishi et Mazda. Les sept premiers constructeurs mondiaux, qui ont une capacité de production supérieure à quatre millions de véhicules, représentent 61% du marché mondial de l'automobile, suivi des sociétés sud-coréennes Hyundai, Daewoo, Kia, Ssang Young et Samsung qui ont rejoint les rangs des constructeurs indépendants, capables de financer, de concevoir et de produire leurs propres véhicules. Les sociétés européennes multinationales sont les plus importants fabricants de pièces détachées et les plus grands constructeurs de camions, parmi lesquels Mercedes-Benz et Volvo. Dans le reste du monde, la plupart des constructeurs automobiles sont des filiales de constructeurs américains, japonais et européens. Dans des pays comme la Malaisie, la Chine et l'Inde, les productions sont gérées par des sociétés locales, mais avec l'appui de grands groupes étrangers. Nous observons deux tendances opposées qui sont en train de se produire en même temps : la localisation de la production sur certaines zones géographiques et sur certains pays et la délocalisation. Pour ce qui est de la localisation de la production automobile mondiale, elle se concentre régionalement sur trois zones : l'Europe, l'Amérique du Nord et l'Asie. De plus, sur chacune d'entre elles, la fabrication est localisée sur certains pays ; ainsi, en Europe, les principaux fabricants sont l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni et l'Italie, appartenant tous à l'Union européenne. En Amérique du Nord, la production se concentre majoritairement sur les Etats-Unis et en Asie, au Japon et en Corée du Sud. Pour les exportations mondiales d'automobiles, la concentration est encore plus élevée, puisqu'elle est limitée principalement à deux zones : l'Europe et l'Asie. Et que dans un futur proche, avec la perte de compétitivité de certains pays au profit de certains pays émergents (Russie, Inde, Chine, Brésil), nous devrions assister à la réorganisation de la production mondiale de véhicules en rapport avec les niveaux de formation des effectifs des usines et avec la recherche que réalisent les entreprises automobiles. De toute évidence, les usines qui se maintiendront sur chaque pays seront les plus compétitives, les priorités des dirigeants des constructeurs automobiles étant donc : technologie et innovation (robotisation), surtout au Japon, dont le coût de la main-d'œuvre est dix fois environ supérieur à celui de la Chine, approche collaborative, meilleures stratégies de succès et environnement. 2.- Le nombre de voitures en circulation sur la planète a atteint environ 1 milliard en 2010, contre 900 millions en 2007, les experts du Fond s monétaire international (FMI) prévoyant un parc mondial de 2,9 milliards de voitures particulières à l'horizon 2050. Cette prospective part de l'hypothèse d'une élévation du revenu des ménages, surtout des pays émergents comme la Russie, l'Inde ou la Chine représentant des marchés à fort potentiel pour l'industrie automobile. Ainsi, l'on devrait assister à un renversement des tendances des ratios actuels où on dénombre 600 voitures pour 1000 habitants pour l'Union européenne, cette proportion étant de 200 pour 1000 en Russie et de seulement 27 pour 1000 en Chine, et qu'au sein du parc automobile mondial, près de 70% seraient dus aux pays actuellement peu motorisés, comme la Chine ou l'Inde. Toujours selon cette étude, le continent asiatique (Japon, Chine, Inde essentiellement) devrait représenter 23% de la production mondiale automobile à l'échéance 2011, pour une production annuelle approchant les 80 millions d'unités contre 72 millions, moyenne 2007/2008 et 42 millions d'unités en 2002. Les usines nippones, connues pour leur qualité et leur flexibilité, stimulées en outre par une forte demande étrangère, auraient produit en moyenne 2007/2008 un total de 10,7 millions de véhicules contre 10,5 millions aux USA se concentrant sur un segment clef : l'importance aux designs grâce aux grands bureaux de styles spécialisés. Nous assisterons entre 2012 et 2020 à des perspectives technologiques futures, tenant compte du nouveau défi écologique, (voitures hybrides, électriques) et du nouveau modèle de consommation énergétique qui se met lentement en place, la crise d'octobre 2008 préfigurant d'importants bouleversements géostratégiques et économiques, la Chine étant en passe de devenir le leader mondial des voitures propres toutes catégories profitant ainsi au premier chef des plans de relance «verts» des Etats-Unis, de l'Europe et du Japon. Les experts avancent deux scénarios : – Le premier est l'optimalisation du fonctionnement des moteurs à essence et diesel, avec une réduction de 20/30% horizon 2015, de la consommation. Pour ce scénario, les ressources en lithium pour les fameuses batteries lithium-ion sont limitées et les moteurs électriques nécessitent des aimants que l'on fabrique aussi avec des métaux rares, un marché de 70/80 millions de véhicules par an ne pouvant absorber de gros volumes en voitures électriques, et que pendant encore dix ans, les moteurs hybrides et classiques devraient rester majoritaires. – Le second scénario ne partage pas ce point de vue, les nanotechnologies (la recherche dans l'infiniment petit) pouvant révolutionner le stockage de l'énergie devant explorer parallèlement le flex fuel et de penser à l'hydrogène, l'avenir appartenant au moteur alimenté par de l'hydrogène gazeux ou au solaire, ce qui révolutionnera tous les réseaux de distribution. Quel est donc l'avenir de notre planète où, selon certains analystes, la taille du marché automobile chinois, sans parler de l'Inde, si l'on reste dans l'actuel modèle de consommation, devrait être multipliée par dix horizon 2030, se traduisant par une hausse vertigineuse de dégagement de CO2, alors que la Chine a déjà dépassé les USA comme principal pays producteur de gaz à effet de serre ? II- Le marché algérien de voitures en fonction du pouvoir d'achat 1.- Le premier constat est qu'il y a lieu de tenir compte du fait que la majorité de la société algérienne est irriguée par la rente des hydrocarbures, dont l'évolution des cours déterminent fondamentalement le pouvoir d'achat des Algériens. Or, depuis fin 2006, l'inflation est de retour avec la détérioration du pouvoir d'achat. C'est que plus de 70% de la population active algérienne touche un revenu moyen inférieur à 30 000 DA, certes devant être corrigé par la crise du logement et les transferts sociaux via la rente qui permettent un regroupement des revenus. Dans ce cas, par rapport au pouvoir d'achat réel en baisse, que reste-t-il pour, en termes de pouvoir d'achat réel, acheter une voiture ? Le deuxième constat est que, faute d'unités industrielles spécialisées, la plus grande part des pièces de rechange (parties et accessoires de véhicules automobiles) est importée. Par ailleurs, malgré les restrictions des différentes lois de finances, montrant, avec l'explosion de la facture d'importation entre 2010 et 2011, les impacts mitigés du passage du Remdoc au Crédoc et de la suppression du crédit à la consommation, entre 2009 à 2011 les importations de véhicules en Algérie, concessionnaires et particuliers, ont enregistré une hausse de 23,57%, au cours des neuf premiers mois de 2011, par rapport à la même période de l'année 2010, selon le Centre national de l'informatique et des statistiques (CNIS). Du 1er janvier au 30 septembre 2011, l'Algérie a importé près de 300 000 véhicules, pour un montant de plus de 261,83 milliards de dinars, contre242 000 véhicules (228,2 milliards de dinars), durant la même période de l'année 2010, contre 2,7 milliards de dollars en 2006 et 3 milliards de dollars en 2007, selon le CNIS, dont les particuliers 18 144 véhicules, durant les neuf premiers mois de l'année courante, contre 15 293 unités pour la même période de 2010, soit une hausse de 18,64%, pour, respectivement, 23,95 milliards de dinars et 21,21 milliards de dinars et pour les concessionnaire une hausse de 23,91%, soit 280 897 unités importées, contre 226 699 unités en 2010 (pour la même période), pour un montant de plus de 237, 88 milliards de dinars en 2011, contre 206,98 milliards de dinars en 2010, selon les statistiques du CNIS. Clôturé à fin 2011, 320 000 véhicules sont entrés sur le marché l'Etablissement national de contrôle technique automobile (Enacta). Le troisième constat est qu'au 1er janvier 2010, le parc national automobile a atteint 4 171 827 véhicules, selon les chiffres de l'Office national des statistiques (ONS), ce qui correspond à une hausse en véhicules neufs de 185 821 unités. La même source fait également état de 987 193 immatriculations et ré-immatriculations durant la même année. Parmi les nouvelles immatriculations, les véhicules de tourisme représentent 79,46%, soit 147 658 unités, suivis des camionnettes avec 33 968 unités. Par catégorie d'âge, la part des véhicules de moins de cinq ans représente 22,36% de l'ensemble du parc. On note ici un rajeunissement permanent du parc automobile durant les 5 dernières années. En effet, la proportion des moins de 5 ans n'était que de 6,1% en 2003, avant de passer à 21,89% en 2008. Ce rajeunissement s'est accompagné d'un léger recul des véhicules de plus de 20 ans qui représentent 57,42% en 2009, contre 58% en 2008, 59% en 2006. C'est donc le deuxième parc le plus important d'Afrique après celui de l'Afrique du Sud et le premier rang des pays maghrébins. III- Quelle est la rentabilité d'une usine de voitures ? 1.-Les lois économiques sont insensibles aux slogans politiques et la rentabilité financière est une condition essentielle de la survie d'une entreprise. Quel est donc le seuil de rentabilité pour avoir un coût compétitif par rapport aux normes internationales, aux nouvelles mutations de cette filière. Pour tout projet fiable à moyen et long termes, il s'agit de produire au minimum 300 000 à 500 000 unités pour les gammes de large consommation et non pas de produire 75 000 voitures en misant uniquement sur le marché intérieur algérien, sachant qu'à l'instar de la SNVI, que la majorité des inputs seront presque tous importés. L'on devra inclure le coût du transport devant également la formation adaptée aux nouvelles technologies et les coûts salariaux par rapport aux pays concurrents et donc la productivité du travail qui, selon l'OCDE, est une des plus faibles au niveau du bassin méditerranéen. Le coût est fonction, certes, des gammes de voitures, surtout des capacités de production, et la vente en fonction de la structuration des revenus et du modèle de consommation par couches sociales : pour l'Algérie en 2012, l'on pourrait avoir cette structuration : voiture de moins de 500 000 DA TTC pour les bas revenus, de 700 000 à 1 000 000 DA pour les revenus moyens et au-delà de 2 000 000 DA pour les revenus élevés. 2.- Aussi, toute étude de marché sérieuse, si l'on veut éviter le gaspillage des ressources financières, évitons la précipitation pour des raisons de prestige, l'Algérie étant une petite nation et le pragmatisme, suppose que l'on réponde au moins à ces quelques questions : construit-on actuellement une usine de voitures pour un marché local alors que l'objectif du management stratégique de toute entreprise n'est-il pas régional, voire mondial, afin de garantir la rentabilité financière face à la concurrence internationale, et cette filière n'est-elle pas internationalisée des sous segments s'imbriquant au niveau mondial ? La comptabilité analytique distingue les coûts fixes des coûts variables A quels coûts hors taxes l'Algérie produira-t-elle cette voiture et en tendance lorsque le dégrèvement tarifaire allant vers zéro, selon les accords qui la lient à l'Union européenne seront appliqués ? Dans ce cas, quelle est la valeur ajoutée interne créée par rapport au vecteur prix international (balance devises tenant compte des inputs importés et de l'amortissement tous deux en devises) ? La carcasse représentant moins de 20/30% du coût total, c'est comme un ordinateur, le coût ce n'est pas la carcasse (vision mécanique du passé), les logiciels représentant 70/80% et ne pouvant interdire l'importation, la production locale sera-t-elle concurrentielle en termes du couple coût/qualité dans le cadre de la logique des valeurs internationales ? C'est comme un parfum ou un habit griffé, le consommateur achète également la marque : comment s'appellera la voiture algérienne ? Et cette industrie, étant devenue capitalistique, quel est le nombre d'emplois directs et indirects créés, puisqu'un certain nombre d'emplois indirects restent les mêmes (garages, magasins), et avons-nous la qualification nécessaire tenant compte des nouvelles technologies appliquées à l'automobile ? L'Algérie étant importatrice de pétrole dans moins de 15 ans, ces voitures fonctionneront-elles à l'essence, au diesel, au GPL, au GNW (pour les tracteurs, camions, bus), ou seront-elles hybrides ou au solaire, ou de la révolution technologique qui s'annonce ? Quel sera le prix de cession de ces carburants et la stratégie des réseaux de distribution pour s'adapter à ces mutations technologiques ? A-t-on pensé au nouveau modèle de consommation énergétique qui concerne également d'autres utilisateurs ? En résumé, la mondialisation est là et le principal défi des gouvernants au XXIe siècle est la maîtrise du temps. La mentalité bureaucratique rentière ne tient pas compte de ce facteur déterminant se perdant dans des négociations interminables faute de management stratégique. Alors qu'il s'agit, tenant compte des contraintes externes et internes, d'agir pour le bien-être futur de l'Algérie au lieu de se réfugier dans l'unique dépense monétaire sans analyser les impacts. Nos ministres, au lieu de dire des contrevérités journellement, devraient réfléchir avant de parler, car la population algérienne a une mémoire, il y va de la moralité de l'Etat algérien. L'Algérie, au moment où l'on pompe les hydrocarbures pour placer une fraction importante des recettes à l'étranger, (90% à un taux presque nul tenant compte du taux d'inflation mondial) au lieu de penser aux générations futures, l'épuisement étant prévu à horizon 2020/2025 (205 milliards de dollars au 31/12/2012) comme en témoigne cette récente proposition du FMI de placer cet argent au sein du Fonds, l'on assiste à une paupérisation croissante en contradiction avec une concentration excessive du revenu national au profit d'une minorité rentière. D'où ce sentiment d'un Etat riche, d'une population de plus en plus pauvre, différant l'implosion sociale par des saupoudrages de distributions de revenus sans contreparties productives de cette richesse artificielle provenant de la rente et non du travail, expliquant l'inquiétude vis-à-vis de l'avenir et le divorce Etat/citoyens.