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Quelles relations algéro-françaises après la présidentielle ?
Publié dans El Watan le 19 - 05 - 2012

Ma conviction profonde était fondée sur l'analyse précise des rapports de force politiques actuels dans ce pays, et forgée sur la base d'une expérience longue de plusieurs années de résidence estudiantine dans une ville innovante et associative (Grenoble). Cela m'a permis de me construire une idée, la moins fausse possible, de ce que l'on appelle la «France profonde», celle qui fabrique les présidents de la République française. Ces deux éléments conjugués m'ont amené à constater que la «France profonde» ne votera pas pour le candidat Hollande, mais contre le candidat Sarkozy, car il a heurté brutalement l'image qu'elle se fait de la fonction présidentielle, en particulier dans la frange âgée de cette dernière (les plus de 60 ans votent en général à droite comme le monde rural). Il faut ajouter à cela l'idée d'injustice sociale qui colle (à tort ou à raison) à la politique économique(2) du candidat sortant et qui remet en cause un principe révolutionnaire sacro-saint, profondément ancré dans l'inconscient collectif français.
Enfin, la crise financière internationale(3) va laisser des traces indélébiles dans la société française (entreprises, salariés, fonctionnaires, retraités, rentiers, jeunes, émigrés) pour une période durable, paupérisant et fragilisant les classes moyennes qui vont être séduites, pour partie, par le discours politique populiste(4), développé par le FN. Le bilan du quinquennat, qui était mitigé avant la crise, passe au noir au plus fort moment de cette lame de fond, apportant les arguments politiques aux attaques des différents partis d'opposition et en particulier du PS, qui se déclare le parti cristallisant le mécontentement, et surtout le vecteur du changement attendu.
Au-delà du résultat du premier tour, (je maintiens mes prévisions que F. Hollande sera élu avec une large victoire), c'est le taux de participation particulièrement élevé qui est à retenir (plus de 80%), malgré les vacances. Cela signifie que le prochain président français jouira d'un pouvoir fort, c'est-à-dire d'un ancrage populaire important et profond surtout s'il est élu avec une différence nette (au moins quatre points), ce qui se répercutera positivement, pour lui, pour le troisième tour (les législatives), dans l'adhésion envers les politiques d'austérité qu'il devra obligatoirement mettre en œuvre et dans les négociations avec ses partenaires européens et en particulier avec l'Allemagne(5), qui ne manqueront pas de se radicaliser de part et d'autre.
En face de la France, notre pays est également en campagne électorale (hasard de calendrier) pour le renouvellement de son pouvoir législatif (première Chambre). Le pouvoir a imposé un mode spécifique de consultation que je qualifierais d'«une désignation élective», c'est-à-dire que des personnes, temporairement coalisées (civiles et militaires), se mettent d'accord sur un nom (en général, par cooptation), puis une «orchestration élective» vient consacrer cette personne qui, dès lors, se déguise, en prenant la posture de président de la République, de député, de sénateur ou de maire.
Son pouvoir va, de facto, se caractériser par une faiblesse (compte tenu du péché originel), définie comme un pouvoir sans ancrage dans la société, utilisant des appareils (coquilles vides) pour pallier son gap de légitimité, comme des partis politiques ex cathedra, des syndicats ouvriers et patronaux rentiers, des associations affiliées, des organismes et des institutions publiques aux ordres, des personnalités historiques, politiques, religieuses, littéraires, scientifiques et sportives, qui broutent dans sa main, la personnalisation des relations internationales et des intérêts étatiques. En fait, un pouvoir faible peut être défini comme un pouvoir qui n'a pas consacré ses propres contre-pouvoirs à tous les niveaux de la société, ce qui va l'isoler complètement et entraîner deux dynamiques sociétales (celle du pouvoir et celle de la société) qui vivent côte à côte, sans dialoguer ni se rencontrer jamais(6), jusqu'à atteindre une zone de fracture (révoltes, émeutes), qui, en se généralisant, imposera un jour une alternance incontrôlée(7).
Au niveau international, un pouvoir faible va se voir dicter la «feuille de route» de sa politique intérieure et extérieure, par le rapport mondial de force du moment, comme l'a fait H. Clinton, lors de son passage (de quelques heures) dans notre pays dernièrement. Cette action a fait immédiatement crier au loup le pouvoir, puisque le Président a, dans un de ses rares discours, comparé les législatives du 10 mai, à un «nouveau 1er Novembre» et de prédire, en cas d'échec, une «nouvelle colonisation», confondant sciemment l'Algérie et le pouvoir(8) ! Il semble bien, cette fois, que la communauté internationale, à sa tête les USA, ait exigé un élargissement substantielle de la base démocratique du pays(9) et donc une représentation des forces réelles de la société(10) et non du pouvoir, au sein de la prochaine Assemblée nationale. Elle a dû certainement ajouter que l'alternance au pouvoir, dans notre pays, devra recevoir un contenu concret(11), ce qui stigmatise personnellement le Président (d'où sa réaction), de manière à éviter que notre pays ne vive les expériences du printemps arabe de l'Egypte, du Yémen, de la Tunisie, de la Libye… à qui le tour ?
Le scrutin législatif du 10 mai 2012, qui devait servir à recomposer le paysage «bolitique» de notre pays(12), afin d'amortir l'onde de choc du printemps arabe (à l'instar du Maroc) et satisfaire les exigences de la communauté internationale, va se solder par un désaveu national et international, du fait de la désaffection généralisée de l'électorat potentiel, quels que soient, par ailleurs, les résultats affichés(13). Une abstention jamais égalée (vote blanc compris) de l'ordre de plus de 80% en moyenne, à quelques exceptions, pour le vote militant (FFS et ex-FIS), le vote rural (faible population) et le vote communautaire (régionalisme et spécificité) est attendue et ses prémices sont déjà très perceptibles dans tout le pays.
Cette désaffection électorale non seulement ne surprendra personne en Algérie et à l'étranger, mais confortera la réalité du pouvoir et sa mise à nu, en même temps qu'apparaîtra clairement le gouffre qui le sépare de la société, malgré les moyens matériels et humains énormes mis à la disposition des appareils(14). Le pouvoir saura-t-il en tirer les conséquences sur son propre devenir ? Ou bien, comme il l'a toujours fait, se contentera-t-il d'une autre manœuvre de fuite en avant pour se pérenniser ? Gageons qu'il est mauvais élève… il récidivera !
Quoi qu'il en soit, le scrutin présidentiel français et celui législatif algérien mettent en scène deux réalités diamétralement, opposées avec plus de 80% de votants en France et moins de 20% en Algérie. La première, forte d'un pouvoir fondé sur une majorité d'électeurs, jalouse pour son pays et prête à consentir des sacrifices pour retrouver le chemin d'un avenir meilleur, alors que la seconde est assise sur un pouvoir faible, coopté par une infime minorité, ayant pour seul objectif la participation au partage des rentes avec à la clé une retraite dorée (si possible à l'étranger, pour eux et leur famille). Comment donc va pouvoir s'opérer la relation entre les deux pays après ces deux scrutins d'inégale importance ?
En attendant, les conseils que ne manquera pas de prodiguer l'ex-ambassadeur de France(15) à F. Hollande trouvent une traduction dans les relations multidimensionnelles entre nos deux pays, il est certain que le président français, fraîchement élu, s'adressera au pouvoir algérien actuel comme à un partenaire faible, à durée limitée et sans vision stratégique à moyen et long termes. Il tentera alors de gérer cette nouvelle phase tumultueuse de nos relations(16) par la mise en œuvre d'une politique, à court terme, de marchés juteux pour des petites minorités des deux côtés de la Méditerranée(17) en lieu et place d'une politique de codéveloppement, à moyen et long termes, pour les plus larges franges de la population de Mare nostrum.
Il est vrai que pour envisager une pareille aventure humaine, il faut être à deux (et même plus, dans un cadre «5+5», par exemple), et l'Algérie est, pour l'instant, aux abonnés absents ! La notion de temps n'étant pas, dans notre pays, un bien précieux et rare (on dit bien koul otla fiha khir), il nous faudra attendre le passage du prochain train s'il daigne s'arrêter à l'escale Algérie.

Note :
1-Voir mon article : «Quelles relations sécuritaires algéro-françaises ?» in EI Watan
2-Des principes comme l'égalité devant l'impôt, la justice, la promotion sociale, la richesse, sont très sensibles en France. Il faut chercher les racines de cette sensibilité dans la contradiction qu'abrite une longue tradition d'une culture religieuse catholique, fécondée par la mise en œuvre de principes révolutionnaires, hérités de 1789.
3-Déficit budgétaire et commercial historique, croissance économique faible, voire nulle, dette extérieure et service de la dette abyssaux, chômage à deux pieds, désindustrialisation, productivité du travail en baisse.
4-Entre autres sortie de l'euro et retour au franc, reconsidération des Accords de Schengen, arrêt de l'émigration (y compris européenne), voire expulsion d'une partie, fermeture des frontières commerciales, financières, monétaires, contrôle des changes et des flux des capitaux.
5-La construction européenne dépend étroitement de la dynamique qu'impose l'entente du couple franco-allemand aux autres partenaires européens. Tous conflits, apparents ou sourds, ralentissent cet élan et fragilisent cette œuvre fragile.
6-A titre d'exemple, pendant que la société algérienne gronde contre la cherté de la vie (par exemple les prix de la pomme de terre), le pouvoir propose des élections législatives, à l'instar de Marie-Antoinette qui proposait de la brioche au peuple affamé de Paris.
7-L'émeute comme expression politique du mécontentement populaire est entrée dans les mœurs quotidiennes de notre pays, au même titre d'ailleurs que l'exil contrôlé (émigration des cadres) ou informel (harraga) et le suicide.
8-Lire la contribution subtile d'O. Khiar sur EI Watan du 28 avril 2012, intitulée «Abstentionnistes, le premier parti».
(9)Cela explique que quelque 30 partis politiques aient reçu leur agrément en deux semaines, alors qu'ils ont été interdits durant dix ans ! De même, la présence aux élections du FFS relève de cette logique, après négociations.
10-Il est intéressant de constater que, durant ses quelques heures d'escale en Algérie, H. Clinton a reçu la «société civile» à l'ambassade des USA, avant de se rendre aux rendez-vous officiels.
11-Pour couper court aux préparatifs du renouvellement du mandat présidentiel direct ou par frère interposé (scénario du Sénégal).
12-Le cercle Nedjma parle d'«une recomposition de la scène politique par le haut», lire EI Watan du 29 avril 2012 et les observateurs étrangers apporteront leur témoignage déterminant.
13-De fabrication purement algérienne, le concept de «redressement» a joué à fond cette fois, et nous allons avoir un cocktail de partis atomisés, en bout de course, ce qui permettra toutes les coalitions, suffisamment affaiblies à souhait, pour permettre la pérennité du pouvoir, au moins jusqu'à la prochaine échéance présidentielle qui, faut-il le rappeler, est le véritable enjeu, avant ou après la fin du mandat.
14-Les prêcheurs, imams et les zaouïas sont également mobilisés pour le scrutin, comme l'affirme M. Hemissi (EI Watan du 29 avril 2012).
15-X. Driencourt, en véritable patriote, affirme réserver ses idées, «d'abord au gouvernement français», mais il ajoute subtilement vouloir opté pour la «refondation». Et c'est parti pour le changement dans la continuité. Lire Liberté du 29 avril 2012.
16-Une curiosité de l'histoire de nos deux pays nous indique que chaque fois que la gauche a été au pouvoir en France, l'Algérie a saigné. Faut-il conjurer le sort ?
17-Après avoir troqué J. P. Raffarin, pour un autre «voyageur de commerce», comme, pourquoi pas un binationale, c'est à la mode aujourd'hui.


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