New Delhi de notre correspondante Certains exportateurs indiens livreraient au marché algérien une quantité supérieure à celle produite par leurs abattoirs, avons-nous appris auprès d'un exportateur de viande indienne. Si tous ces exportateurs certifient leur produit halal et conforme aux standards internationaux de qualité, il n'en demeure pas moins que, selon ce que l'un d'entre eux nous a confié, certains exportent vers l'Algérie un tonnage qui dépasse de loin celui qui sort de leurs usines. Comment établir alors l'origine réelle du bétail qui a été traité et exporté sous l'étiquette «made in India» ? Pour gonfler leur chiffre d'affaires, certains groupes n'hésiteraient pas à s'approvisionner sur d'autres marchés plus économiques pour refiler leur marchandise surévaluée au consommateur algérien. L'Inde est un pays immense avec des frontières poreuses communes avec plusieurs pays (Népal, Pakistan, Bangladesh, Chine, Bhoutan et Birmanie). Il y a un grand trafic de cheptel entre ces pays, qui profite aux contrebandiers, surtout que dans plusieurs Etats indiens, l'abattage des vaches est très sévèrement puni. La viande certifiée halal est destinée exclusivement à l'exportation. Sur le marché indien, ce produit est inexistant sur les rayons des grandes surfaces et dans les autres points de distribution. Les musulmans étant très minoritaires en Inde (à peine 13%) et très démunis pour la majorité d'entre eux, ils consomment la viande des quelques chèvres ou buffles qu'ils élèvent eux-mêmes. Carcasses Dans les boucheries des quartiers pauvres de la capitale habités par les musulmans, comme Nizamuddin, les carcasses de moutons et de chèvres sont exposées à la vente, égorgés selon le rite islamique, certes, mais dans des conditions d'hygiène si désastreuses que leur aspect peut dissuader les plus carnivores. Les étrangers résidant en Inde répugnent à consommer cette viande. D'ailleurs, même celle distribuée dans les chaînes alimentaires très sélectionnées et accessibles uniquement à une clientèle aisée n'est guère alléchante. Certaines ambassades européennes et américaines importent la viande de leur pays d'origine pour la revendre aux diplomates et à leur communauté vivant à Delhi. Pour rappel, sur les 172 millions de dollars destinés par le gouvernement algérien à l'importation de viande bovine congelée, l'Inde se taille 30% de l'enveloppe budgétaire. L'Algérie devient le troisième importateur de viande indienne dans le monde (le premier étant l'Iran) et le deuxième en Afrique après l'Egypte. Pour l'année 2012, la Société de transformation et de conditionnement des viandes (Sotracov) et quelques opérateurs privés pourront importer plus de 65 000 tonnes de viande de buffle congelée provenant des abattoirs indiens, contre les 34 000 de l'année passée. Cinq groupes alimentaires spécialisés dans la transformation, le conditionnement et l'exportation de viande de buffle congelée certifiée halal ont déposé leurs demandes, il y a quelques mois, auprès du ministère de l'Agriculture et du Développement rural. Le principal candidat étant la multinationale indienne d'Allana Sons Limited qui fournira plus de 32 000 tonnes de viande à l'Algérie à raison de 1400 dollars la tonne. Les autres sociétés indiennes sont Al Quresh, Hind Agro Industries Limited, Al Noor Exports, Al Faheem, HMA Agro Industries LTD. Tous ces opérateurs exhibent le document délivré par l'organisme indien de contrôle de la qualité de la viande exportée, Apeda (Agricultural and Processed Food Products Export Development Authority). Echantillons Ce sauf-conduit vaut celui délivré par le laboratoire de parasitologie de l'Institut Pasteur d'Algérie. Ce qu'il faudrait, c'est l'arbitrage d'un troisième organisme indépendant, pourquoi pas européen – il n'est pas question de mettre en doute les compétences des techniciens algériens – qui disposent de plus de moyens matériels et de procédés sophistiqués pour analyser les échantillons prélevés par les services douaniers de contrôle. Il n'y a pas lieu de ménager la susceptibilité des uns et des autres lorsqu'il s'agit de protéger la santé du consommateur algérien et de mieux gérer l'argent public, priorité absolue en ces temps de vaches maigres. Car les rares commissions d'experts et de responsables algériens qui ont visité les abattoirs des groupes indiens qui exportent la viande vers l'Algérie, l'ont fait en un temps record, insuffisant pour déceler les anomalies, ou alors pire, aux frais des Indiens. Certaines sociétés ont même invité des journalistes algériens (pour notre part, nous avons décliné l'invitation) à «voir de leurs yeux la qualité de la viande». Mais on sait que les laboratoires sérieux dotés d'appareils détecteurs et de mesure des paramètres très à la pointe mettent des mois avant de proclamer : «Je ne mangerai pas de cette viande.»