Tlemcen De notre envoyé spécial « La mémoire constitue notre identité et nos relations sociales. La mémoire à long terme, celle qu'on conserve, permet de transmettre. Elle est dépositaire de nos souvenirs et histoires. Cette mémoire interne n'est pas suffisante. D'où l'existence de la photographie qui est la mémoire externe. Par extension, il y a la vidéo et le cinéma. Le photo comme les autres formes est un support qui fixe une partie de notre mémoire, apporte un témoignage sur une situation ou une époque», a-t-il expliqué. Selon lui, l'humain veut laisser traces sur son parcours et sur les événements liés à sa vie en recourant à l'image, laquelle efface parfois l'amnésie et réactive la mémoire.« L'auteur conçoit l'image en fonction de sa culture et du message qu'il veut transmettre au public. Nous n'enregistrons pas de la même manière un événement vécu. La perception de la photographie est également différente. Nous regardons la même image mais nous l'interprétons différemment en fonction de nos sensibilités et de nos émotions », a estimé le conférencier. Tahar Yami, qui est diplômé en art cinématographique de université parisienne de la Sorbonne et qui est animateur et producteur à Berbère TV, a appuyé ses propos par des images de propagande de l'armée coloniale française cherchant toujours de montrer l'algérien en position mineure, écrasée, soumise. Il a rappelé que l'ALN avait répliqué en publiant ses propres images. Selon lui, la photo peut prendre plusieurs formes : la photo choc, la photo scandale, la photo rare, la photo célèbre et intime, la photo exceptionnelle…Il a cité l'exemple de la photo de Hocine Zaourar, « La madone d'Alger », qui a fait le tour du monde et qui a éveillé les consciences sur les dégâts des violences durant les années 1990 en Algérie. « Cette photo a fait plus de 700 unes de journaux et magasines à travers le monde », a-t-il noté. Tahar Yami a souligné que parfois des photos sont supprimées ou cachées pour faire oublier collectivement un événement historique compromettant pour des acteurs politiques. Une occultation qui peut même être à un niveau individuel. « C'est pour cela que certaines personnes attentent d'atteindre un certain âge pour écrire leurs mémoires. Ils n'ont rien à perdre… », a-t-il observé. Les facilités que permet la photo numérique peut, selon lui, jouer en défaveur de la sauvegarde de la mémoire. «On peut modifier, falsifier, enlever ou rajouter. On a vu des reportages photos ou vidéos qui sont crées, n'ont jamais existé, induits en erreur le public et susciter une réaction. Tout le monde pense que c'est la vérité parce que cela a été diffusé à la télévision », a-t-il relevé. Mohamed Badaoui, journaliste, nouvelliste et dramaturge, a, pour sa part, regretté l'absence d'études sociologiques sur les photos de famille et a appelé à en faire une piste de recherches. « Il y a toujours un certain mépris par rapport à cette photo. L'émotion que contient la photo de famille a plus d'importance qu'une photo professionnelle destinée à l'information ou à la publicité. Sous couvert d'objectivité, la photo de presse est faite pour influencer un jugement », a-t-il soutenu citant la célèbre photo de la petite fille nue fuyant un village viétnamien attaqué au Napalam par l'armée américaine. Cette photo a complètement changé l'opinion mondiale sur la guerre du Viétnam. « En choisissant ce cliché, le photographe savait que cela va avoir un impact sur l'opinion publique et sur les décideurs », a-t-il noté. Mohamed Badaoui a rappelé que la photo professionnelle était à l'origine une photo souvenir. « La photo souvenir a toujours cette fonction de célébrer un bonheur, une naissance, un mariage…Cette photo donne une illusion du bonheur. On fige un moment pour le transmettre sur des générations. La photo souvenir une mise en scène de la réalité, un objet utilisé par la famille pour transmettre un capital culturel. En plus de cela, c'est un fond documentaire extraordinaire sur la façon de s'habiller, de se tenir, de mettre en valeur le corps», a-t-il analysé précisant que la photo souvenir acquiert souvent un caractère sacré. D'après lui, « la société du zapping », la société actuelle, va mettre à rude épreuve la photo souvenir. « Dès que cela ne me plaît pas, j'appuie sur bouton et j'efface la photo de l'appareil numérique ou du micro », a-t-il remarqué lors des débats.Mohamed Badaoui a estimé que la photographie n'a pas encore acquis la noblesse d'un art entier. « C'est toujours considéré comme un art mineur. Le photographe est perçu comme un suspect lorsqu'il se balade dans la rue avec son appareil », a-t-il dit. L'après midi de dimanche, deux autres conférences ont été présentées par Abderrahmane Djelfaoui et Hamid Grine. Nous y reviendrons dans notre prochaine édition. A noter enfin que le troisième Fespa est accompagné d'une exposition de photos et d'œuvres d'art réalisé par une trentaine de photographes et huit artistes plasticien ouverte au public au niveau du Palais de la culture Imama à Tlemcen.