Cette soirée-là a commencé par un portrait tourné en dérision de celui qui fut la mémoire filmée de la guerre d'Algérie, de ses débuts à 16 ans en tant que résistant puis sa tournée en Afrique noire, ensuite son arrivée en Algérie, ses péripéties, qui à plusieurs reprises lui ont valu d'échapper à la mort. Ironie de l'histoire, il se retrouvera même condamné à mort en Tunisie par un clan du FLN et aura comme voisin de cellule un certain Mohamed Chérif Messaâdia. Vient ensuite sa période Larzac, durant laquelle, il montre les premières manifestations paysannes du célèbre plateau. Poursuivant son réflexe de regard critique avec cette caméra comme troisième œil, il nous fait partager le spectacle qu'il observe quotidiennement par la fenêtre de son appartement, ces jeunes s'initiant au rodéo en scooter, ou encore la destruction méthodique d'un caddy de supermarché. Des images simples comme à son accoutumée mais tellement parlantes d'une actualité que beaucoup ne remarquent que bien après, quand il est trop tard. En deuxième projection Afrique 50, qui est un documentaire, comme on peut le deviner, tourné en 1950 en Côte d'Ivoire, il est considéré comme le premier film anticolonialiste. Toujours sans prétention, mais dévoilant un pan de l'histoire cachée de la France et de ses colonies d'alors. Ce documentaire, qui vaudra bien des déboires (un an de prison) à son auteur, sera annonciateur de ce qui devait arriver. Et surtout du futur travaille qu'il accomplira. Puis l'œuvre majeure du réalisateur, Avoir vingt ans dans les Aurès, tourné en 1972, avec, entre autre, Arcadi, Philippe Léotard, Hamid Djellouli. Ce film, rappelons-le, a été longtemps censuré en France, pour ce qu'il y dénonce. C'est l'histoire d'un groupe d'appelés bretons, mené par un lieutenant qui veut faire d'eux de vrais soldats. Les voilà dans les Aurès, à se battre sans trop savoir pourquoi ni pour qui, mais ils sont là, alors ils font ce qu'ils ont à faire sans se poser de questions, sans réfléchir aux conséquences, jouant comme des gamins avec tout ce qui leur tombe sous la main. Seul un des hommes refusera cette logique. S'ensuit ainsi tout un enchaînement de ce que l'on pourrait considérer comme un résumé de cette guerre. Les ordres de la hiérarchie, les zèles et les révoltés refusant d'être le mouton suiveur. Il est précisé dans le générique que ce film est le résultat d'un résumé de six cents témoignages, témoignages récoltés entre 1962 et 1967, auprès d'appelés, partout où il pouvait les cotoyer , comme dans ce train de nuit entre la Bretagne et Paris. Ainsi, il précise, chaque scène du film a été décrite en réel par au moins cinq personnes. Tout était dit ! Le lendemain, nous rencontrons donc celui que les organisateurs craignaient grabataire et cloîtré dans un corps usé par ces années de braises et de plomb. C'était sans connaître le personnage. Cheveux longs, tel un soixante-huitard oublié par l'histoire, ce Breton au grand gabarit est imposant, il est imposant par sa vigueur, sa lucidité. Ainsi est donc René Vautier, infatigable un livre vivant, témoin de l'intérieur de la naissance de l'Algérie. Une question posée et toutes les anecdotes ressurgissent, un nom cité et réapparaissent les acteurs de la première heure, bons ou méchants, adulés ou proscrits, la liste va de ce colonel exécuté à la frontière tunisienne à Bouteflika en passant par Messaâdia... Nos questions s'étaient égarées dans notre échange, on ne pouvait pas l'arrêter, assis, on écoutait cet homme dérouler les premières années de cette Algérie trouble. Puis on se rappelle qu'il a ce mérite d'avoir remué la conscience française avec un film dérangeant, loin des livres scolaires, loin des discours officiels et des films de propagande. Il est juste une mémoire vivante qui vous raconte son vécu. Certes comme dans tout témoignage, il y a du faux et du vrai, du bon et du mauvais, du simple et de l'embellie, mais on se dit juste qu'il est bon parfois d'écouter un autre son de cloche. Et justement, pour les organisateurs de Cinémaginaire, après tant de réalisateurs et d'acteurs maghrébins invités à ce festival pour parler de l'histoire de leur pays, il était important d'inviter un réalisateur comme René Vautier, qui fut non seulement un acteur et un témoin mais aussi, ne l'oublions pas, un homme très critique vis-à-vis de son propre pays et de sa politique d'alors !