Les étudiants étrangers à Alger livrés à eux-mêmes Sur les marches de l'immeuble situé au boulevard Colonel Amirouche, au centre de la capitale, deux étudiants nigériens sont assis. La bâtisse abrite au rez-de-chaussée un restaurant universitaire, fermé depuis le début des vacances. «On vient ici parce qu'on ne sait pas comment faire pour trouver un autre endroit où aller manger. On a l'impression qu'en Algérie, on ne se préoccupe que des étudiants nationaux, sinon comment expliquer cette décision de fermer les restaurants U, qui a toujours existé, mais qui pénalise les universitaires étrangers contraints de rester ici, de surcroît, avec les nouvelles mesures», se demande Ibrahim, 26 ans, qui prépare un magistère en physique à l'université de Bab Ezzouar. Il faut dire que depuis le 15 décembre, les étudiants étrangers à Alger sont livrés à eux-mêmes. Beaucoup avaient pris l'habitude d'installer des résistances leur permettant de se préparer à manger dans leurs chambres. Cette pratique a été interdite cette année, par la direction des œuvres universitaires. «On a entendu parler de cette décision, reconnaît un étudiant burkinabé. Mais elle ne nous a jamais été officiellement notifiée. Nous avons appris qu'elle a été prise suite aux tragiques événements survenus à Tlemcen. Cependant les œuvres sociales auraient dû aussi penser à laisser au moins un resto ouvert.» Vu cette situation, certains étudiants algériens viennent en aide à leurs copains de fac. «On s'organise entre nous pour leur venir en aide, raconte Yassine, étudiant de 27 ans en mathématiques à l'université de Bab Ezzouar. Soit on les invite à la maison, soit on leur ramène de chez nous de la nourriture.» L'église de Blida à la rescousse des chrétiens Avec la fermeture des cantines universitaires pendant les vacances universitaires, les étudiants africains, inscrits à l'université Saâd Dahleb, vivent dans des conditions déplorables. Seuls ceux de confession chrétienne s'en sortent. Ils fréquentent l'unique église de la ville des Roses où ils sont pris en charge durant cette période délicate. Quant aux autres, ils doivent se débrouiller avec la bourse (4000 DA le trimestre). «Que voulez-vous qu'on fasse ? On est obligés d'avoir recours aux repas froids en cette saison hivernale. Heureusement que la période est courte, sinon on crèvera de faim», témoigne un groupe d'étudiants rencontrés non loin de la cité universitaire. Il faut dire qu'avant l'incident qui a secoué une cité universitaire à Tlemcen, les étudiants, notamment étrangers, pouvaient préparer leurs repas à l'intérieur de leur chambre. Même si cela a toujours été interdit, l'administration fermait les yeux à l'époque. Mais depuis cet incident, les mesures d'interdiction sont devenues draconiennes. «Il n'est plus question de cuisiner à l'intérieur des chambres universitaires. C'est interdit», insiste un employé de la direction des œuvres universitaires de la wilaya de Blida. Sit-in dans le campus à Batna «Nous sommes obligés de fermer les restaurants pendant les trêves d'hiver, du printemps et de l'été», affirme le directeur de la résidence universitaire Ben Boulaïd, où vivent quelque 300 étudiants étrangers de diverses nationalités (25). Par ailleurs, Abdelmadjid Benmessaoud, directeur des œuvres universitaires (ONOU), estime que «les étudiants étrangers doivent être traités de la même manière que leurs homologues algériens et que tous les services extra-scolaires, tels que le transport et la restauration, doivent cesser pendant les vacances». Ces fermetures s'accompagnent de la décision de l'administration en charge des œuvres universitaires d'interdire l'utilisation de tout matériel générateur d'énergie à l'intérieur des chambres (résistance, gazinière et autres), privant les étudiants étrangers de la possibilité de se préparer des repas. Cette décision fait suite au drame qui a fait six victimes à l'université de Tlemcen. Pour leur part, ces derniers ont décidé de se faire entendre et ont observé un sit-in à l'intérieur de la cité universitaire durant deux jours. Cette action a poussé les autorités locales à organiser une rencontre avec un membre du cabinet du wali, qui s'est dit sensible à leur cas. «Nous avons instruit le directeur des œuvres universitaires de procéder au règlement de ce problème», leur a-t-on promis. Dans l'attente d'une solution à Tlemcen Depuis le début des vacances d'hiver, les responsables des cités U, sur instruction de leur hiérarchie, ont fermé les restaurants et interdit aux étudiants de cuisiner dans leurs chambres par mesure de sécurité. Une décision jugée irrationnelle. «C'est à ne rien comprendre, on nous ferme le restaurant et on nous empêche de cuisiner, ils veulent nous affamer tout simplement. Devant cette situation, certains se nourrissent de repas froids à l'extérieur du campus avec tous les risques qu'on peut imaginer. Les plus chanceux d'entre nous ont été invités par nos camarades algériens», indique, indigné, un étudiant malien sous le couvert de l'anonymat. Toutefois, une étudiante malienne, rencontrée sur place, affirme que les étudiants n'ont pas de problème pour se nourrir. «Nous n'avons pas de problème d'alimentation. Rien n'a changé pour nous», assure-t-elle. Bizarrement, à la question de savoir si les Subsahariens étaient regroupés dans la même résidence, nos différents interlocuteurs se sont abstenus de répondre, comme si c'était un secret d'Etat. Au niveau des services du rectorat, on reconnaît que la fermeture des restaurants universitaires avec les conséquences que cela engendre pour les étudiants étrangers est un problème sérieux, auquel la tutelle tente de trouver une solution. «Le directeur des œuvres universitaires est en réunion avec ses collègues à Alger pour régler ce problème justement», nous a-t-on assuré. Mobilisation sur fond de souffrance à Oran L'alimentation est devenue un réel problème pendant ces vacances d'hiver pour les étudiants étrangers à Oran qui voient les foyers et les restaurants universitaires fermer leurs portes. Mais ces étudiants ne restent pas les bras croisés : face à ce casse-tête, ils s'organisent. Vendredi matin, à la place du marché hebdomadaire mitoyen du stade de 19 Juin, il est impossible de ne pas remarquer les dizaines d'étudiants étrangers, notamment des Africains, venus faire leurs courses. Ainsi, un universitaire de la résidence Le volontaire, située près de l'IGMO, nous dira : «En raison des possibilités financières limitées, nous fréquentons rarement les gargotes et les restaurants, nous préférons préparer à domicile.» Des groupes sont formés selon les affinités, la communauté, les traditions et les relations d'amitié. Les membres font des cotisations et chaque fin de semaine, une personne de chaque groupe est désignée pour faire les courses et cuisiner durant sept jours. C'est à tour de rôle. Notre interlocuteur ajoutera que «certains cuisinent toute l'année, car ils préfèrent être libres des choix alimentaires». A la cité Le Volontaire, certains apportent de la nourriture avec eux de leur pays pour ne pas se retrouver en manque d'aliments durant les vacances. D'autres se rendent au fast-food du coin parce qu'ils ont fini par s'habituer à cette nourriture rapide, grasse et salée, disponible à tout instant et au prix abordable. Au niveau des deux résidences universitaires de Bel Gaïd (celle des jeunes filles et celle des garçons), le problème s'annonce plus corsé, car l'endroit est désertique et il n'y a donc pas de magasin dans les environs. Les étudiants étrangers doivent prendre le bus et effectuer de longues distances pour s'approvisionner. «C'est pénible et coûteux. Nous avons tenté d'exposer notre problème à l'administration, mais ça n'a rien donné. C'est dur de se retrouver sans nourriture», dit un étudiant étranger. A la cité universitaire de Bir El Djir, les étudiants relatent que les coupures fréquentes d'eau leur infligent un terrible calvaire, puisqu'il leur faut laver les ustensiles et les denrées. Ces résidents craignent pour leur hygiène de vie.