-Suite aux décès liés à des méningites, faut-il craindre une épidémie ? Tous les médecins sont formels : non. La méningite est une maladie qui fait peur. La difficulté à comprendre la nature différente – et la dangerosité différente – des méningites, ainsi que les fausses informations divulguées dans la presse ajoutent à la psychose. «Mais il n'y a pas d'épidémie de méningite en Algérie car nous sommes loin, très loin, du seuil épidémique de 15 nouveaux cas pour 100 000 habitants durant deux semaines consécutives, insiste Slim Belkessam, conseiller au ministère de la Santé. Sur la base des données disponibles et à la lumière de l'évolution de l'épidémiologie de la méningite dans notre pays durant ces dix à quinze dernières années, on peut dire que l'Algérie n'est plus un pays endémo-épidémique en matière de méningite. Les quelques dizaines de cas que nous enregistrons chaque année à pareille période (et jusqu'au début de l'été) sont des cas isolés et éparpillés à travers tout le territoire.» En France, un peu plus de 500 cas sont enregistrés chaque année, ce qui ramené à la population, est à peu près équivalent. «En tenant compte de l'introduction dans notre pays du vaccin contre le méningocoque en 2007, on peut dire que notre situation épidémiologique est en évolution positive et le restera, poursuit le conseiller. Par ailleurs, les services de santé à travers le pays sont mobilisés et disposent de tous les moyens nécessaires au diagnostic et au traitement ainsi qu'à la prise en charge des actions de prophylaxie.» -Quels symptômes doivent nous alerter ? «On doit soupçonner une méningite lors de l'apparition brutale d'une fièvre supérieure à 38°C et de l'un des symptômes suivants : raideur du cou, troubles de la conscience, éruption cutanée, maux de tête importants, douleurs cervicales, énumère-t-on à l'OMS Alger. Chez les enfants de moins d'un an, il faut soupçonner une méningite lorsque la fièvre s'accompagne d'un bombement de la fontanelle (dessus du crâne).» La méningite se transmet habituellement par voie aérienne via les gouttelettes de sécrétions respiratoires lors de contacts étroits comme les baisers, les éternuements ou la toux. La contamination par simple respiration de l'air est impossible. La méningite virale est généralement causée par les entérovirus et le plus souvent propagée par contamination fécale. «Concernant les cas enregistrés dans une clinique privée à Blida, il s'agit de cas par ‘‘inoculation'' par la faute d'instruments non ou imparfaitement stérilisés», souligne Slim Belkessam. -Comment s'en protéger ? Pour lutter contre les maladies d'origine microbienne, Leïla Houti, professeur d'épidémiologie au CHU de Sidi Bel Abbès explique : «Il n'y a pas de secret. Il faut respecter les mesures d'hygiène élémentaires. Il a suffi de distribuer du savon aux populations indiennes pour diviser par deux le taux des maladies liées à l'hygiène. Les méningites sont une inflammation des méninges, le plus souvent d'origine infectieuse.» Une fois une épidémie déclarée, il y a des mesures clairement dictées : port de masque, hygiène des mains, dépistage des sources de contamination, traitement des porteurs, utilisation de la chimioprophylaxie, voire la vaccination. Chez les soignants : hygiène des mains, port de gants et masque, blouses, lunettes de protection. Au ministère de la Santé, on souligne qu'«en plus de la vaccination qui couvre certains types de méningite, une adaptation de nos comportements et l'aération régulière des zones de regroupement (maison comme espaces publics) œuvrent à prévenir les causes de la transmission. Concernant l'entourage et les cas de contact des personnes atteintes, les ressources disponibles en Algérie permettent d'assurer une prophylaxie (traitement préventif) adaptée et conforme à ce qui se fait dans les pays développés». -Comment fonctionne le système de surveillance des épidémies en Algérie ? «Il existe dans notre pays un système informatisé permettant de suivre au quotidien la situation des maladies à déclaration obligatoire dont fait partie la méningite à méningocoque, assure Slim Belkessam du ministère. Ce système est comparable à ce qui se fait dans les pays développés et répond aux critères de la règlementation sanitaire internationale de l'OMS.» En ce qui concerne les épidémies de grippe, «un réseau sentinelle, basé sur des médecins volontaires, a été créé en 2006 dans la région centre, explique Djohar Hannoun, épidémiologiste à l'INSP, responsable du réseau grippe. Du 1er octobre au 31 mars de chaque année, ils répertorient les patients qui présentent des symptômes de grippe et effectuent des prélèvements. L'INSP et l'Institut Pasteur analysent ces données. Nous confirmons s'il s'agit bien de la grippe et nous précisons sa souche. Il n'y a pas de seuil à partir duquel nous alertons les autorités sanitaires. Mais quand un virus inhabituel apparaît, comme lors de la grippe H1N1, nous informons la direction de la prévention.» En pratique, les experts sont plus nuancés. «Nous n'avons pas de réel système de surveillance, le dispositif est biaisé, dénonce un médecin algérien qui a travaillé dans la région de Tamanrasset. Dans chaque direction de la santé, un médecin spécialiste des épidémies est chargé de récolter toutes les déclarations et d'en faire la synthèse, c'est vrai. Or, dans de nombreux cas, à travers tout le pays, ce sont des infirmiers qui occupent le poste de médecins épidémiologistes. Ces postes sont hautement politiques. Car les épidémies sont comptabilisées par l'Organisation mondiale de la santé (OMS). En cas de recrudescence de certaines maladies, l'OMS oblige les Etats à mettre en place des campagnes de lutte, qui coûtent très cher. Au contraire, si un Etat ne déclare aucun malade, la maladie est considérée comme éradiquée par l'OMS et les campagnes de vaccination ne sont plus obligatoires. C'est pour cette raison qu'il est difficile de déclarer un cas de méningite.» Pour ce médecin, se pose aussi un problème de véracité dans les bilans fournis par les autorités sanitaires lors des campagnes de vaccination. «Si votre enfant se fait vacciner dans une wilaya différente de celle où il réside, le médecin doit obligatoirement envoyer une déclaration de vaccination dans la ville de résidence. Personne ne le fait, affirme-t-il. Ce sont des problèmes de manque de rigueur et de contrôle, mais il y a aussi des considérations politiques. En tant que responsable d'une structure publique, je devais faire un bilan du taux de vaccination contre la polio dans la zone sous ma responsabilité. A l'époque, nous avions souffert d'une rupture de stocks. Nous avions vacciné environ 50% de la population. Lorsque j'ai transmis mon rapport, on m'a reproché de ne pas avoir inscrit 100% de taux de vaccination. Il se trouve que la lutte contre la polio fait partie des critères de l'OMS.» Un autre épidémiologiste poursuit sur cette voie : «Une veille est normalement mise en place pour sentir les petits frémissements lorsqu'il y a quelque chose qui se trame. Les Anglo-Saxons parlent d'‘‘intelligence epidemic'', mal traduit en français en ‘‘veille''. La veille veut que l'on agisse sur les facteurs précurseurs et non sur des situations déjà formées et développées.» Ce que confirme aussi Leïla Houti : «Il faudrait mettre en place un système pérenne de prévention. On ne peut pas étouffer les foyers d'incendie en permanence.» -Quelle est la réactivité des services sanitaires ? Sont-ils capables de contenir une épidémie et de soigner les cas ? «Le personnel de santé est formé et entraîné à réagir et à prendre en charge tout cas suspect de méningite, promet Slim Belkessam au ministère de la Santé. A l'image de ce qui a été fait à M'sila, les équipes en charge de l'épidémiologie et de la prise en charge médicale bénéficient régulièrement de stages de mise à niveau et de rappel des protocoles et des conduites à tenir.» Là encore, si les médecins et les épidémiologistes reconnaissent que sur le papier tout est prévu, la mise en pratique est parfois trop lente, voire défaillante. «Nous avons de bonnes traditions, de l'expérience dans le domaine, nous sommes théoriquement préparés mais tout est question d'efficacité et de réactivité», reconnaît Mohamed Yousfi, chef du service des maladies infectieuses à l'hôpital de Boufarik. «Oui, les services de santé sont capables de maîtriser les épidémies et soigner les cas, mais encore faut-il le faire de façon utile et efficace, ajoute Leïla Houti. Au cours de l'épidémie de méningite survenue à Oran pendant l'été 2000, nous avons pu observer que 58% des enquêtes à domicile ont été réalisées à domicile 6 jours après le début de la maladie, soit au-delà du délai d'incubation du méningocoque qui est de 2 à 4 jours. Quand le traitement prophylactique est administré après ce délai, il devient inutile.» A M'sila, le traitement antituberculeux est «indisponible depuis plusieurs mois», assure un professeur qui compte «un patient décédé dans une clinique mais n'a pas été déclaré aux autorités sanitaires. Dans la même wilaya, des cas d'hépatite ne sont pas signalés. Quant à l'hôpital d'Oran, il n'y a plus de sérum contre la rage !» Saada Chougrani, épidémiologiste à la faculté de médecine d'Oran, résume avec regret : «Ces questions font partie des points fondamentaux qui constituent une politique de santé dans un pays. Or, nous n'avons pas de politique de santé dans notre pays. Le document le plus récent de politique de santé est celui de la 4e session du comité central du FLN de décembre 1980, qui a été à la base, avec la Constitution de 1976, de l'élaboration de la loi 85-05 sur la santé. Cette loi a été modifiée ou révisée plus de 6 fois depuis sa promulgation en 1985. Nous vivons des situations anticonstitutionnelles depuis pas mal d'années avec la révision du droit à la santé tel qu'édicté par la Constitution de 1989. Le seul programme de santé algérien qui est digne de cette dénomination est le programme sida. Pourquoi ? Parce qu'il y a des organisations internationales que nous sommes obligés d'informer (Onusida).» -Comment expliquer que des maladies que l'on pensait reléguées aux siècles derniers, type tuberculose ou typhoïde, persistent ? «L'Algérie est toujours en transition épidémiologique, c'est-à-dire qu'elle subit encore le fardeau des maladies infectieuses (des siècles derniers) et déjà le poids des maladies chroniques liées au vieillissement de la population et au développement socioéconomique, analyse Leïla Houti. Pour améliorer l'état de santé des Algériens, il faut une autre prise en charge du système de santé national intégrant les autres secteurs de la vie économique.» Une explication sur laquelle la rejoint un médecin qui était en poste à Tamanrasset. «C'est la conséquence des conditions socioéconomiques de la population. Dans la région de M'sila, par exemple, là où sont décédés les deux jeunes, victimes de la méningite, certaines populations sont encore nomades et ne bénéficient pas de suivi médical. Elles n'ont pas forcément accès à l'eau potable. Certaines wilayas sont abandonnées par les autorités sanitaires, c'est le cas de M'sila.» Pour Mohamed Yousfi, il faut aussi y voir «une conséquence de la déliquescence du système de santé et l'irresponsabilité de beaucoup de collectivités locales». Au ministère, Slim Belkessam se défend : «La tuberculose n'a été éradiquée ni en Algérie ni dans aucun autre pays au monde, y compris les pays industrialisés. En 1962, notre pays connaissait une haute prévalence avec un taux d'incidence de 300 cas pour 100 000 habitants. L'Algérie, grâce aux efforts de lutte entrepris et à la mise en œuvre d'un programme pionnier au niveau international avec les professeurs Chaulet et Laârbaoui, a pu faire baisser cette incidence. Par exemple, nous enregistrons actuellement une stabilisation de l'incidence annuelle de la tuberculose pulmonaire à microscopie positive égale à 21,7 cas pour 100 000 habitants en 2011.» -De nombreuses campagnes de sensibilisation sont axées sur la vaccination, à laquelle de nombreuses personnes restent réticentes, essentiellement parce qu'elles n'ont pas confiance. Alors comment faire en sorte que ces campagnes de sensibilisation aient un maximum d'impact ? «C'est un problème d'information et de sensibilisation, indique Mohamed Yousfi. Il faudrait faire des campagnes à longueur d'année et les intensifier à l'approche de l'hiver à travers les médias lourds. On a vu, par exemple, les nombreuses erreurs qui ont été commises lorsque les médias ont beaucoup parlé du H1N1. Les gens n'ont plus confiance.» Un avis que ne partage pas Djohar Hannoun, responsable du réseau grippe. «Je pense qu'au contraire, il y a une prise de conscience de plus en plus nette de l'importance de la vaccination, sauf peut-être chez les femmes enceintes. C'est un travail de communication que les médecins doivent faire tout au long de l'année auprès des patients qu'ils estiment fragiles.» Slim Belkessam note au contraire que dans le cadre du Programme élargi de vaccination (PEV), «c'est le secteur de la santé qui a eu à subir la grogne de la population face aux dysfonctionnements enregistrés dans la disponibilité des vaccins». Concernant la vaccination contre la grippe, il reconnaît qu'il existe «une marge de progression conséquente même si le taux de couverture vaccinale globale contre la grippe recommandée par le collège des experts est globalement atteint. Parmi les causes qui empêchent un taux plus élevé de vaccination contre la grippe et qui méritent une attention particulière, il reste la peur résiduelle induite par la campagne mondiale anti-vaccination contre la grippe H1N1 ou encore les querelles d'école chez beaucoup de professionnels de la santé qui découragent la vaccination contre la grippe, notamment pour les enfants en bas âge, comme cela a été enregistré cette année dans un certain nombre de structures de santé de proximité.»