Quatre formations de l'opposition -le Front populaire (gauche), le Parti républicain, Al Massar et Nidaa Tounes (centre)- ont appelé à une grève générale jeudi et suspendu leur participation à l'Assemblée nationale constituante, en signe de protestation. Les proches de la victime ont accusé Ennahda d'être responsable du meurtre qui laisse craindre un nouveau cycle de violences en Tunisie, déjà minée par une crise politique sociale et économique et qui peine à se relever de la révolution qui a fait chuter Zine El Abidine Ben Ali en 2011. Dénonçant un "odieux assassinat", le président Moncef Marzouki, un laïc qui entretient des relations tendues avec Ennahda, a annulé sa participation au sommet islamique du Caire pour rentrer d'urgence de France à Tunis. Chokri Belaïd, 48 ans, critique acerbe du gouvernement, a été tué en sortant de chez lui le matin de trois balles tirées à bout portant par un homme portant un vêtement de type burnous, sorte de long manteau traditionnel en laine avec une capuche pointue, selon le Premier ministre Hamadi Jebali. Le ministre de l'Intérieur Ali Larayedh a indiqué, en citant le chauffeur de la victime, qu'un complice attendait l'assaillant pour prendre la fuite à moto. "Mon mari a été menacé plusieurs fois et avait lancé des avertissements à maintes reprises, sans résultat. On lui répondait qu'il devait assumer le fait d'être un opposant à Ennahda", a déclaré Besma Khalfaoui, à l'hôpital, le pantalon taché de sang. Elle et le frère de la victime, Abdelmajid Belaïd, ont accusé le chef d'Ennahda, Rached Ghannouchi, de ce crime, sans cependant étayer leur accusation. "Ghannouchi sale chien", a crié en larmes le père de l'opposant. Mais M. Ghannouchi a nié toute implication dans ce meurtre en estimant que ses auteurs "veulent un bain de sang" en Tunisie. "C'est un acte de terrorisme pas seulement contre Belaïd mais contre toute la Tunisie", a lancé M. Jebali. Après de premiers heurts le matin entre policiers et manifestants, une foule a accompagné l'ambulance transportant le corps de l'opposant qui s'est arrêtée symboliquement avenue Bourguiba à Tunis devant le ministère de l'Intérieur, symbole de répression pour les opposants. "Le peuple veut la chute du régime!" "Le peuple veut une révolution de nouveau", "Ennahda tortionnaire du peuple", ont scandé les manifestants. Après le passage de l'ambulance, une foule de jeunes manifestants a de nouveau attaqué la police avec des pierres. Un blindé de la garde nationale a tiré des gaz lacrymogènes alors que les manifestants utilisaient poubelles, tables de café, barbelés et barrières pour bâtir des barricades. Les affrontements se poursuivaient aussi dans les rues alentours, les policiers armés de matraque pourchassant les protestataires. Ailleurs dans le pays, la police a tiré des gaz lacrymogènes sur des manifestants qui tentaient de prendre d'assaut son siège à Sidi Bouzid (centre-ouest), berceau de la révolte de 2011. A Mezzouna, près de Sidi Bouzid, à Gafsa, (centre) et à Sfax (sud) des protestataires ont incendié et saccagé les locaux d'Ennahda. A Kasserine, Béja et Bizerte, des foules criaient "Vengeance, vengeance". "Ce gouvernement veut nous réduire au silence, nous terroriser", a crié Moufida Abbassi, une amie journaliste de l'opposant tué. A l'étranger, le président français François Hollande a condamné ce meurtre qui "prive la Tunisie d'une de ses voix les plus courageuses et les plus libres". Secrétaire général du parti des Patriotes démocrates, l'opposant avait rejoint avec sa formation une coalition de gauche, le Front populaire, créée en octobre 2011, qui se pose en alternative au pouvoir en place. Mais le poids politique de Chokri Belaïd et de ses alliés demeure une inconnue. La Tunisie est plongée depuis des mois dans une crise politique, faute d'un compromis sur la future Constitution qui bloque l'organisation de nouvelles élections, alors que des membres de la coalition gouvernementale réclament un remaniement pour retirer aux islamistes des ministères régaliens. Face à l'impasse, les violences se sont multipliées et plusieurs opposants ont accusé des milices pro-pouvoir d'orchestrer des attaques contre l'opposition, dont le meurtre d'un responsable du groupe Nidaa Tounes en 2012.