La Tunisie bascule. Elle s'est réveillée brutalement avec l'horrible assassinat d'un des porte-voix de la révolution, l'opposant de gauche Chokri Belaïd. Un assassinat politique qui a bouleversé tout le pays. La terrible nouvelle s'est répandue à travers toute la Tunisie, soulevant spontanément des milliers de Tunisiens pour dénoncer un «lâche assassinat qui vise à faire taire les voix de la liberté». Les manifestants ont pris d'assaut le siège du ministère de l'Intérieur scandant des slogans hostiles au parti islamiste Ennahda de Rached Ghannouchi : «La chute pour Rached Ghannouchi, le criminel du peuple… La mort de Chokri ne va pas passer sous silence, tout le peuple tunisien va venger Chokri». La police a usé de gaz lacrymogènes pour disperser les manifestants qui ont érigé des barricades, rapportent des témoins. Une colère nationale contre les islamistes. Dans d'autres villes du pays, des manifestants ont saccagé les locaux du parti islamiste au pouvoir. A Sidi Bouzid, haut lieu de la révolution qui a renversé Ben Ali, des manifestants ont incendié les locaux du parti Ennahda. A Gafsa, bassin minier du centre du pays, des centaines de manifestants en colère s'en sont pris aussi au siège du parti islamiste. Une grande manifestation dans la ville s'en est suivie pour dénoncer le «lâche assassinat politique à travers lequel on cherche à tuer l'esprit de la révolution», témoigne une avocate. L'indignation et la colère ont gagné également les villes de Kasserine, Béja, Bizerte, Kef et Mezzouna où des foules exaspérées criaient «Vengeance, vengeance…». Tous les berceaux de la révolution tunisienne étaient, hier, en colère. Il y règne une situation pré-insurrectionnelle qui rappelle celle de janvier 2011. Prenant pour cible les locaux d'Ennahda, les manifestants appellent à la démission du gouvernement dominé par le parti islamiste, accusé de laxisme envers les extrémistes religieux. Le parti de Rached Ghannouchi s'en défend. Il a nié «toute implication dans ce meurtre», estimant que ses auteurs «veulent un bain de sang» en Tunisie. Il a dénoncé «un acte de terrorisme pas seulement contre Belaïd, mais contre toute la Tunisie». Mais l'épouse de la victime, Besma Khalfaoui, a déclaré que son mari «a été menacé plusieurs fois et avait lancé des avertissements à maintes reprises, sans résultat. On lui répondait qu'il devait assumer le fait d'être un opposant à Ennahda». La veille de son assassinat, Chokri Belaïd avait dénoncé, sur un plateau de Nessma TV, «la stratégie méthodique d'explosion de violence à chaque crise au sein du mouvement Ennahda». Quelques jours auparavant, il avait accusé «les milices d'Ennahda, les fameuses Ligues de protection de la révolution, d'être à l'origine des agressions visant des militants de l'opposition démocratique». Coordinateur général du Parti des patriotes démocrate unifié, de tendance marxiste, Chokri Belaïd était une figure emblématique de l'insurrection de 2011. Farouchement opposé aux islamistes d'Ennahda et grand tribun, il est devenu une icône de la résistance aux velléités hégémoniques des islamistes. A travers son assassinat, c'est l'esprit de la révolution démocratique qui est visé. En proie à une violence extrémiste et à un blocage politique, la Tunisie franchit un cap dangereux dans la spirale de la violence.