Depuis le déclenchement de ce qu'il convient d'appeler le «Printemps arabe», le monde est à l'affût des effluves révolutionnaires chatouillant enfin les narines des Saoudiens pour qu'ils éructent leur colère muette. Le palais des Al Saoud est évidemment secoué par cette poussée populaire faisant tomber un à un des potentats arabes comme des feuilles mortes. Mais, l'instinct de survie de cette monarchie moyenâgeuse, peuplée de gérontocrates, l'a poussé à jouer, subtilement «contre son camp»… Le royaume du vieux monarque Abdallah s'est ainsi fait l'un des premiers défenseurs du Printemps arabe et donc pourfendeur des dictateurs contestés, quand il vit que l'écume allait irrémédiablement avaler tous ces régimes hors du temps. Par un incroyable changement de rôle, l'Arabie Saoudite qui incarne l'arriération politique par excellence, se présente sous ses beaux (mais faux) atours de défenseur du choix du peuple et d'alliée des mouvements révolutionnaires en Libye, en Tunisie, en Egypte et aujourd'hui en Syrie. Avec l'émirat du Qatar – dont elle partage la nature de son régime foncièrement fermé à l'expression politique libre – elle s'en est allée prêcher, à partir de la tribune du «machin» ligue arabe, les vertus de la démocratie et le droit des Egyptiens, des Tunisiens, des Libyens et des Syriens à se libérer des «Toughates» (dictateurs). L'exercice paraissait hallucinant pour un pays qui, de par son mode de gouvernance archaïque, est absolument allergique à tout ce qui symbolise l'évolution humaine.Sauf que ce faux rôle de parangon de la vertu démocratique dans la sphère arabe bénéficie d'une onction américano-occidentale pour des raisons géopolitiques évidentes. Au royaume du vice et de la vertu En échange, le royaume des Al Saoud paye sa redevance de protection au géant américain en ouvrant à fond les vannes de son immense gisement de pétrole Ghawar, quitte parfois à froisser ses partenaires au sein du cartel de l'OPEP. Eh oui, pour cette monarchie vieillissante, le parapluie américain est une question de vie ou de mort. C'est le prix à payer pour pouvoir mater impunément la minorité chiite à l'est du royaume qui réclame sa part de développement. C'est comme cela aussi que les Al Saoud ont pu envoyer leurs chars achetés aux Etats-Unis pour aller «casser» un printemps prometteur dans le Bahreïn voisin de peur d'une contagion. Si les experts s'accordent à constater que le royaume a réussi jusque-là à mettre ses 28 millions d'habitants hors d'état de nuire à la dynastie, la grogne plus au moins bruyante de la jeunesse reste tout de même bien présente. On estime ainsi qu'entre 3 et 4 millions de Saoudiens vivent en dessous du seuil de pauvreté, c'est-à-dire en Arabie avec moins de 17 dollars par jour dans un pays qui croule sous les pétrodollars. Mais sentant les vents contraires souffler, le monarque a débloqué 130 milliards de dollars pour s'acheter la paix sociale. Il a aussi consenti quelques réformettes somme toutes cosmétiques pour farder un royaume hideux, où la femme est quasiment un sous-citoyen. Ses mentors américano-occidentaux se chargeant d'en couvrir ces réformes en trompe-l'œil d'épithètes racoleuses du genre «historique», «modernes», «osées»… Mais ce discours mystificateur d'une réalité bien rétrograde est vite battu en brèche par la chronique quotidienne rythmée par une répression féroce de la minorité chiite et les exécutions sommaires et publiques de personnes coupables de vol ou de consommation d'alcool. Paris Hilton à La Mecque ! Il y a un peu plus d'un mois (13 mars dernier), sept jeunes hommes condamnés à mort pour attaque à main armée ont été exécutés dans la ville d'Abha, dans le sud du pays, alors que c'étaient des mineurs à l'époque des faits. Les ONG occidentales des droits de l'homme n'ont vu que du… sang. Mais dans ce royaume grand «exportateur» de salfistes des temps modernes, le châtiment ne s'applique pas à tout le monde. Fayhan Ghamdi, un prêcheur radical habitué des chaînes de télévision religieuses, coupable du meurtre de sa propre fille Lama, âgée de 5 ans, dont il a abusé sexuellement, s'en est sorti grâce à son chéquier. 45 000 euros représentant le «prix du sang» et le tour est joué ! Tout se passe comme si les préceptes religieux qu'ils appliquent de façon moyenâgeuse sont à géométrie variable, selon la tête du «client». Et parfois, ce royaume si rigoriste se laisse aller même à des errements hollywoodiens… Dans ce pays où la femme est interdite de conduire sans tuteur, la griffe commerciale de la sulfureuse Paris Hilton trône dans ses cinq boutiques de sacs à main à travers le royaume, dont une depuis novembre dernier au Makkah Mall, à… La Mecque. Le café à l'effigie du sex-symbol Marylin Monroe, situé dans le Jouf Plaza Mall, pourtant autorisé par les gardiens de la foi, a dû fermer sous la pression des dignitaires religieux à travers les réseaux sociaux. C'est dire que le royaume des Al Saoud tient aussi grâce à cet incroyable équilibre entre le vice et la vertu. Ainsi et au-delà des impératifs géopolitiques qui commandent aux Etats-Unis de maintenir en «vie» une famille régnante – au propre et au figuré – pour contenir le spectre de «l'arc chiite» sous la férule de l'Iran, le royaume sait se mettre à la «US fashion» même hard quand cela devenait vital, quitte à perdre la «Qibla» de La Mecque au profit de celle de Hollywood. Tous les habitants du royaume ne sont évidemment pas d'accord avec cette famille qui dicte ses lois selon ses lubies. Mais gare à celui qui oserait ouvrir sa bouche publiquement. Sauf que les masques commencent lentement mais sûrement à tomber dans les réseaux sociaux, où les jeunes Saoudiens s'épanchent à visage découvert. Encore un produit made in USA, mais qui risque celui-là de ne pas être un bon cadeau de l'oncle Sam.