Dès sa jeunesse, le génie de Moufdi Zakaria et les signes de sa valeur supérieure étaient comme destinés à une réception peu commode, et non pas à un tapis volant ou à l'ascension machinalement facile dont jouissent d'habitude — mais pour un certain temps seulement —les artisans insignifiants et tapageurs de la grande famille des médiocres. Alors que la France fête le centenaire de la colonisation de l'Algérie et que les poètes « Beni-oui-oui » chantent les « bienfaits des conquérants », Moufdi Zakaria se détache de cet enthousiasme hypocrite et surprend par des poèmes nationalistes bien au-dessus de son âge, mais point au-dessous de son talent. « Il répudie » avec une audace sans bornes, mais couronnée du plus éclatant des succès, toute l'ancienne technique de la versification, toute cette banalité d'images et d'idées que les « poètes du colonialisme » considéraient comme le sommet de la poétique, de l'art, de… « l'engagement »… de « l'intégration ». Les menaces de la police coloniale et les attaques des « écrivaillons-sbires » ne le découragent nullement. Militant actif de l'Etoile nord-africaine, il sera le premier poète algérien emprisonné en cette première moitié du XXe siècle. Il passera l'année 1933 dans la prison de Blida. Libéré en 1934, il redoublera d'audace.Toujours plus attentif au sort de ses concitoyens, Moufdi Zakaria publie ou déclame (dans les meetings du PPA(1)) des poèmes d'une grande portée patriotique, animés d'un acharnement aussi étincelant qu'irréconciliable, tout en étant d'une qualité esthétique et lyrique très nouvelle dans le mouvement de la poésie arabophone en Algérie. Poète de la liberté du changement — y compris dans l'esthétique poétique —, barde de la « Révolution algérienne » (1954-1962), il écrira Kassamen, l'hymne national de l'Algérie, en prison à Serkadji. La souveraineté de l'Algérie recouvrée, Moufdi Zakaria est vite « mis à l'index » par le dictateur Boumediène. Tel un hallebardier doué du don d'ubiquité, qui monterait la garde à toutes les portes d'une Algérie, dont il voyait l'avenir autrement, notre grand poète se revèle, après l'indépendance, une conscience civique vigilante, toujours à l'affût, militant contre l'injustice politique et sociale, contre la corruption et la démagogie, contre la dictature et le despotisme. Après les assassinats de ses amis Khider et Krim Belkacem — qui ont payé de leur vie leur amour pour l'Algérie démocratique et progressiste —, Moufdi Zakaria prend le chemin de l'exil. Il mourra à Tunis. Pour tous les Algériens, Moufdi Zakaria reste un symbole par sa poésie innovatrice, par son patriotisme, par son intégrité, par sa fidélité légendaire aux principes de progrès et par son combat acharné pour une Algérie libre, démocratique et forte par son développement scientifique et industriel. 1) M. Zakaria adhère dès 1929 à l'Etoile nord-africaine (ENA) puis au PPA.