L'annulation de la visite du président Bouteflika par la France est en train de donner lieu à des décisions contribuant à une détérioration de plus en plus poussée des relations entre les deux pays. C'est le cas de l'interdiction faite par le gouvernement aux décideurs des entreprises publiques de ne pas rencontrer l'ambassadeur de France et surtout sa décision de ne pas recevoir le ministre de l'Intérieur français, Brice Hortefeux. Le gouvernement algérien reproche entre autres au gouvernement français, d'une part, l'annulation des accords d'Evian en matière d'émigration, décision qui ferme les perspectives d'accès au marché du travail français pour les Algériens et le refus des entreprises françaises d'investir en Algérie, d'autre part. Du côté français, la demande de circulation humaine faite par Sarkozy, lors de son voyage en Algérie est impossible à réaliser dans le contexte actuel. Une situation en fait indépendante de la volonté du gouvernement algérien, car la cause étant le terrorisme et l'insécurité. Ainsi, les relations entre les deux pays, de plus en plus tendues, vont vers plus de distance et d'éloignement, ce qui amène à se demander si l'Algérie peut se sortir de la dépendance française (émigration, investissements), tellement marquante depuis 1962 ? Répondre à cette question, c'est se demander si l'Algérie en diversifiant ses relations peut acquérir des autres pays les mêmes avantages qu'elle a obtenus et qu'elle souhaite obtenir encore de la France, notamment en matière d'émigration (1,9 million d'Algériens vivent en France) et en investissements directs, créateurs d'emplois. S'agissant de l'émigration, et étant donné le nombre de personnes à la recherche d'un emploi ainsi que l'augmentation de la démographie amenant chaque année de nouveaux demandeurs d'emplois, la demande du gouvernement algérien en la matière sera toujours présente. La fermeture du marché français, qui s'est confirmée par le refus de la France de renouveler les accords d'Evian sur l'émigration, l'orientera vers ses nouveaux partenaires, à savoir l'Italie, l'Allemagne, I'Espagne, l'Angleterre et éventuellement le Canada, qui a reçu 50 000 Algériens au cours des quinze dernières années. Les pays européens iront-ils plus loin que ce que la France a proposé, c'est-à-dire, une émigration basée sur les quotas et fonction des besoins intérieurs ? Apparemment non, car il est difficile d'imaginer, dans les conditions actuelles, un accès massif des Algériens au marché européen comme ce fut le cas avec la France, après 1968, vu que cette mesure est réservée essentiellement aux pays qui sont devenus membres de l'Union européenne. Un scénario fermé à l'Algérie, car la première condition pour prétendre adhérer à l'Europe et aux avantages qu'elle offre est d'être une démocratie libérale. S'agissant des investissements des pays autres que la France, à savoir les Etats-Unis, l'Allemagne, l'Italie, I'Autriche, l'Espagne, ils sont sollicités depuis l'année 2000 par le gouvernement algérien pour prendre en charge des projets industriels. On voit ainsi des chambres de commerce défiler à Alger (Italie, Allemagne, Autriche... ), mais jusqu'à cette date, leur contribution en ce qui a trait aux investissements et à la création d'emplois est minime. Le principe est là. L'intérêt aussi y est. Mais il est trop tôt pour se prononcer sur l'impact qu'elles auront en la matière. Ainsi, depuis 2000, les projets italiens ont créé 1700 emplois, un chiffre dérisoire. En fait, des pays étrangers, la France est le seul qui a un poids dans la création d'emplois, avec une particularité, expliquant l'irritation des officiels algériens, les entreprises françaises ont une politique passive en la matière. Ainsi, si on compare les chiffres dans les trois pays du Maghreb, on remarque, de leur part, une action plus forte au Maroc et en Tunisie. La situation est la suivante : en Algérie, il y a 330 entreprises françaises qui ont assuré la création de 22 000 emplois directs. Au Maroc, leur nombre est de 1000, et elles ont créé 100 000 emplois. A ce chiffre, il faut ajouter 40 000 emplois qui découleront du projet d'une usine de fabrication de voitures qui sera opérationnelle en 2010. En Tunisie, elles sont au nombre de 1200 et elles ont créé 106 000 emplois. A tous ces chiffres, il faut ajouter, dans les trois pays les emplois indirects. Ainsi, il ressort que les entreprises françaises sont plus actives en Tunisie et au Maroc, ce qui a fait dire au gouvernement algérien qu'elles « vendent leurs produits en Algérie et préfèrent investir au Maroc et en Tunisie ». Une démarche effectivement sans grand effet sur le marché de l'emploi algérien qui connaît une situation dramatique, notamment parmi les jeunes soumis à un chômage (25%) aux conséquences parfois tragiques (harraga). Cela dit, le gouvernement algérien peut-il imposer aux entreprises françaises une politique d'investissements plus volontariste ? Non, étant donné la situation interne, à savoir le terrorisme et l'insécurité, qui seront toujours un prétexte pour les entreprises françaises leur permettant de justifier le rythme lent de leurs investissements. Tout au plus y aura-t-il quelques projets, mais dans le contexte actuel, les investissements n'atteindront pas le rythme existant au Maroc et en Tunisie. Comment sortir de cette impasse et débloquer la situation au niveau de la création d'emplois ? La solution consiste à élaborer un partenariat triangulaire entre les entreprises françaises et les capitaux algériens dans l'espace tunisien, par la mise en place de projets industriels le long de la frontière algéro-tunisien accessible, dans une part égale, aussi bien à des travailleurs tunisiens qu'algériens. L'installation du côté tunisien de ces projets leur assurera une sécurité qu'elles n'ont pas du côté algérien, ainsi qu'une facilité d'exportation des produits fabriqués vers le marché européen. Et pour cause, la Tunisie est liée à l'Europe par une association de libre-échange accordant des facilités d'accès aux produits fabriqués en sol tunisien. Avec le Maroc, ce sera plus difficile, étant donné la fermeture des frontières, mais l'idée mérite d'être prise en considération. Et pour cause, le gouvernement marocain insiste pour une réouverture des frontières, un acte pouvant aller de pair avec la réalisation d'une coopération triangulaire englobant l'espace marocain-capitaux algériens-entreprises françaises ou autres nationalités, projets ouverts aussi, dans une part égale à des travailleurs marocains et algériens et ce, en attendant que l'Algérie puisse créer des conditions de sécurité et d'attrait favorables aux investissements directs français et à ceux des autres pays. L'auteur est enseignant